Le journal du Médecin: Après un an de Covid-19, quel est l'élément le plus dramatique qui vous paraît surnager parmi vos patients au niveau émotionnel?

Dr Carl Vanwelde: L'image d'une patiente âgée à qui je dus annoncer le décès imminent de son fils. Je vis son visage se décomposer et elle reste pour moi l'image même du malheur. Plus diffuse fut l'anxiété qui s'installa rapidement. Du plus modeste au plus favorisé, la pandémie de Covid-19 nous a fait prendre conscience de notre fragilité, individuelle et sociétale. Les patients se sont retrouvés désemparés face à une affection sans traitement connu, appelés à se cloîtrer chez eux dans des villes fantômes, soumis à des bulletins d'actualités déversant en continu la progression des chiffres de contagion. S'installa ce symptôme pire que la maladie: la peur de la maladie, et la peur de l'autre. De toutes les séquelles répertoriées, je crains que cette peur de l'autre soit la plus rebelle.

S'installa ce symptôme pire que la maladie: la peur de l'autre.

Même question quant à votre vécu personnel de médecin généraliste?

2020 fut une année éprouvante. Peut-être pas aussi dramatique qu'on l'attendrait à l'échelle réduite d'une patientèle, mais pleine de paradoxes. Je me suis ainsi interrogé sur la douzaine de décès survenus durant les trois mois précédant le début de l'épidémie, et les trois seuls patients perdus sur le restant de l'année, coïncidant avec la disparition presque complète des autres pathologies que le Covid-19. Consultations désertées par les malades habituels craignant la contagion, disparition demeurée inexpliquée à ce jour des infarctus et accidents vasculaires, absence de demandes de dépistage. Ce fut pénible, fatigant, mais cette confrontation intensive à l'incertitude demeurera comme une des plus fortes expériences de ma pratique médicale.

En tant que vétéran et professeur émérite de médecine générale, diriez-vous que c'est quelque part "une chance" pour les jeunes médecins car cette terrible épreuve les renforce et fera d'eux des médecins encore meilleurs?

Tout sauf une chance. Les débuts d'une pratique nécessitent un cadre rassurant, du temps pour les questions, de l'espace pour réfléchir et s'informer face aux cas complexes, une multiplicité de pathologies variées et une place pour la prévention. Tout cela a éclaté, remplacé par un chaos d'hypothèses incertaines, une surcharge administrative épuisante, la crainte permanente d'être infecté au contact des patients, une absence de réponse thérapeutique, une incertitude quant à l'évolution de chaque patient diagnostiqué. La disparition instantanée de toutes les autres causes de consultation et de pathologies habituellement bien présentes ne fut guère propice à un apprentissage idéal de la médecine.

Comprenez-vous que des vaccins qui proposent de nouvelles technologies un peu "science-fiction" (ARNm) et qui apparaissent "miraculeusement" après un an puissent susciter l'incrédulité parmi vos patients? Est-on complotiste quand on pose des questions?

Se poser des questions n'est pas être complotiste, ni mettre en doute des théories que le temps démontera peut-être. La science a progressé par déconstructions successives de vérités qui paraissaient inamovibles. Les craintes des patients face aux innovations vaccinales reposent sur leur réel souci de s'informer, de préserver leur bagage génétique et celui de leur descendance.

Vous-mêmes en tant que scientifique, arrivez-vous à vous informer convenablement sur le Covid-19?

Oui, ce fut une efflorescence, l'abondance étant parfois aussi malaisée à gérer que la disette. S'en plaindra-t-on? Des forums médicaux et académiques tombés en léthargie ont ressuscité, animés comme jamais ils ne le furent par des questions et des échanges de grande qualité. Le défi posé par une pathologie inconnue, aux symptômes sans cesse évolutifs, sans traitement prédéfini, sans test diagnostique accessible en première ligne au début, les défis éthiques rencontrés, les choix sanitaires successifs fut une aubaine pour les esprits curieux. Les ressources offertes en ligne étaient variées et de qualité.

Nous avons publié en couverture un article intitulé "Vaccination: éviter le fiasco". Était-ce prévisible étant donné les nombreux échecs dans la lutte contre la pandémie?

Rien n'est jamais prévisible, et le désordre qui paraît présider à la mise en route du plan de vaccination surprend autant qu'il désole. On s'attendait qu'instruits par les difficultés du dépistage et du traçage, nos responsables prennent les devants pour une organisation optimale de la vaccination, d'autant plus que cette perspective se dessinait dès la fin de la première vague. Ces échecs sont révélateurs de l'absence d'une politique de santé coordonnée. Quand on découvre que dans un pays aussi petit que la Belgique les prioritaires pour être vaccinés sont les plus de 65 ans en Wallonie, les plus de 75 ans à Bruxelles et les plus de 85 ans en Flandre, on s'interroge. Hier un patient nonagénaire a tenté, avec l'aide de son fils, de prendre rendez-vous en ligne pour sa première dose, et a été prié de se présenter au Heysel le 10 avril 2022. On en sourit, mais lui pas...

Quelle est votre sentiment par rapport aux "thérapies expérimentales": ivermectine, colchicine, hydroxychloriquine, etc. Comprenez-vous les généralistes qui prescrivent lesdites substances ou des antibiotiques car au-delà du "primum non nocere", il faut traiter les patients avant tout?

L'intensité des anathèmes et des invectives réciproques à chaque hypothèse émise m'a surpris. Les arguments avancés dans les deux sens manquaient parfois de l'humilité nécessaire pour faire progresser la science. Répondre dans certains cas à la demande d'un patient anxieux qui implore qu'on tente quelque chose n'est jamais risible, et je peux aisément comprendre les généralistes qui expérimentèrent des pistes non-argumentées. Ce ne fut pas mon choix, tout en reconnaissant que ces thérapies expérimentales tant dénigrées pour leurs effets secondaires font partie de notre arsenal thérapeutique de longue date et ne se sont guère révélées toxiques dans le passé aux doses usuelles préconisées. De récentes études sur les bénéfices potentiels de médications déjà testées dans d'autres indications comme l'ivermectine (ndlr: lire l'interview d'Alain Maskens dans le jdM n°2663), associée ou non à une antibiothérapie, méritent mieux que du dédain ou de l'ironie.

Le journal du Médecin: Après un an de Covid-19, quel est l'élément le plus dramatique qui vous paraît surnager parmi vos patients au niveau émotionnel? Dr Carl Vanwelde: L'image d'une patiente âgée à qui je dus annoncer le décès imminent de son fils. Je vis son visage se décomposer et elle reste pour moi l'image même du malheur. Plus diffuse fut l'anxiété qui s'installa rapidement. Du plus modeste au plus favorisé, la pandémie de Covid-19 nous a fait prendre conscience de notre fragilité, individuelle et sociétale. Les patients se sont retrouvés désemparés face à une affection sans traitement connu, appelés à se cloîtrer chez eux dans des villes fantômes, soumis à des bulletins d'actualités déversant en continu la progression des chiffres de contagion. S'installa ce symptôme pire que la maladie: la peur de la maladie, et la peur de l'autre. De toutes les séquelles répertoriées, je crains que cette peur de l'autre soit la plus rebelle. Même question quant à votre vécu personnel de médecin généraliste? 2020 fut une année éprouvante. Peut-être pas aussi dramatique qu'on l'attendrait à l'échelle réduite d'une patientèle, mais pleine de paradoxes. Je me suis ainsi interrogé sur la douzaine de décès survenus durant les trois mois précédant le début de l'épidémie, et les trois seuls patients perdus sur le restant de l'année, coïncidant avec la disparition presque complète des autres pathologies que le Covid-19. Consultations désertées par les malades habituels craignant la contagion, disparition demeurée inexpliquée à ce jour des infarctus et accidents vasculaires, absence de demandes de dépistage. Ce fut pénible, fatigant, mais cette confrontation intensive à l'incertitude demeurera comme une des plus fortes expériences de ma pratique médicale. En tant que vétéran et professeur émérite de médecine générale, diriez-vous que c'est quelque part "une chance" pour les jeunes médecins car cette terrible épreuve les renforce et fera d'eux des médecins encore meilleurs? Tout sauf une chance. Les débuts d'une pratique nécessitent un cadre rassurant, du temps pour les questions, de l'espace pour réfléchir et s'informer face aux cas complexes, une multiplicité de pathologies variées et une place pour la prévention. Tout cela a éclaté, remplacé par un chaos d'hypothèses incertaines, une surcharge administrative épuisante, la crainte permanente d'être infecté au contact des patients, une absence de réponse thérapeutique, une incertitude quant à l'évolution de chaque patient diagnostiqué. La disparition instantanée de toutes les autres causes de consultation et de pathologies habituellement bien présentes ne fut guère propice à un apprentissage idéal de la médecine. Comprenez-vous que des vaccins qui proposent de nouvelles technologies un peu "science-fiction" (ARNm) et qui apparaissent "miraculeusement" après un an puissent susciter l'incrédulité parmi vos patients? Est-on complotiste quand on pose des questions? Se poser des questions n'est pas être complotiste, ni mettre en doute des théories que le temps démontera peut-être. La science a progressé par déconstructions successives de vérités qui paraissaient inamovibles. Les craintes des patients face aux innovations vaccinales reposent sur leur réel souci de s'informer, de préserver leur bagage génétique et celui de leur descendance. Vous-mêmes en tant que scientifique, arrivez-vous à vous informer convenablement sur le Covid-19? Oui, ce fut une efflorescence, l'abondance étant parfois aussi malaisée à gérer que la disette. S'en plaindra-t-on? Des forums médicaux et académiques tombés en léthargie ont ressuscité, animés comme jamais ils ne le furent par des questions et des échanges de grande qualité. Le défi posé par une pathologie inconnue, aux symptômes sans cesse évolutifs, sans traitement prédéfini, sans test diagnostique accessible en première ligne au début, les défis éthiques rencontrés, les choix sanitaires successifs fut une aubaine pour les esprits curieux. Les ressources offertes en ligne étaient variées et de qualité. Nous avons publié en couverture un article intitulé "Vaccination: éviter le fiasco". Était-ce prévisible étant donné les nombreux échecs dans la lutte contre la pandémie? Rien n'est jamais prévisible, et le désordre qui paraît présider à la mise en route du plan de vaccination surprend autant qu'il désole. On s'attendait qu'instruits par les difficultés du dépistage et du traçage, nos responsables prennent les devants pour une organisation optimale de la vaccination, d'autant plus que cette perspective se dessinait dès la fin de la première vague. Ces échecs sont révélateurs de l'absence d'une politique de santé coordonnée. Quand on découvre que dans un pays aussi petit que la Belgique les prioritaires pour être vaccinés sont les plus de 65 ans en Wallonie, les plus de 75 ans à Bruxelles et les plus de 85 ans en Flandre, on s'interroge. Hier un patient nonagénaire a tenté, avec l'aide de son fils, de prendre rendez-vous en ligne pour sa première dose, et a été prié de se présenter au Heysel le 10 avril 2022. On en sourit, mais lui pas... Quelle est votre sentiment par rapport aux "thérapies expérimentales": ivermectine, colchicine, hydroxychloriquine, etc. Comprenez-vous les généralistes qui prescrivent lesdites substances ou des antibiotiques car au-delà du "primum non nocere", il faut traiter les patients avant tout? L'intensité des anathèmes et des invectives réciproques à chaque hypothèse émise m'a surpris. Les arguments avancés dans les deux sens manquaient parfois de l'humilité nécessaire pour faire progresser la science. Répondre dans certains cas à la demande d'un patient anxieux qui implore qu'on tente quelque chose n'est jamais risible, et je peux aisément comprendre les généralistes qui expérimentèrent des pistes non-argumentées. Ce ne fut pas mon choix, tout en reconnaissant que ces thérapies expérimentales tant dénigrées pour leurs effets secondaires font partie de notre arsenal thérapeutique de longue date et ne se sont guère révélées toxiques dans le passé aux doses usuelles préconisées. De récentes études sur les bénéfices potentiels de médications déjà testées dans d'autres indications comme l'ivermectine (ndlr: lire l'interview d'Alain Maskens dans le jdM n°2663), associée ou non à une antibiothérapie, méritent mieux que du dédain ou de l'ironie.