Depuis plusieurs décennies, toutes les branches de la médecine se féminisent. La notion de féminisation ne décrit pas seulement l'accroissement quantitatif de la part de femmes dans une profession, mais revêt également un caractère qualitatif. Dans la littérature médicale, cette féminisation est principalement abordée selon trois aspects: premièrement, les différences genrées dans les pratiques individuelles, qui permettraient une humanisation de la profession en lui apportant des qualités considérées comme "féminines". Deuxièmement, son impact sur la charge de travail, plusieurs auteur·rices craignant que certains choix de carrière des femmes ne provoquent ou exacerbent une pénurie de médecins. Troisièmement, l'existence d'un plafond de verre et d'un manque de représentation des femmes dans les instances académiques et de défense de la profession, ne leur permettant que trop peu d'influencer les politiques publiques et les recommandations de bonne pratique.

En Belgique, si les femmes représentent la grande majorité des jeunes médecins généralistes, elles semblent peu nombreuses dans les instances professionnelles, scientifiques et académiques de médecine générale.

Méthodologie

Une enquête démographique a été réalisée en recensant l'âge et le genre des membres de neuf instances de médecine générale belges francophones (départements universitaires de médecine générale, syndicats, associations professionnelles et scientifiques) et en les comparant aux données des cadastres existants.

Des entretiens individuels semi-dirigés ont été menés auprès des représentant·es de ces neuf instances de médecine générale. Les résultats des entretiens ont été analysés par codage thématique en émergence puis classés en catégories et conceptualisés grâce à un outil de mind-mapping.

Résultats

En 2021, les femmes représentaient 45% des médecins généralistes exerçant en Région wallonne et occupaient 32% des postes dans les instances étudiées.

L'âge exerce une influence, car les postes de décision sont traditionnellement occupés par des médecins plus expérimenté·es, issu·es de cohortes de médecins généralistes où les hommes sont largement majoritaires. Cependant, en divisant les médecins en deux groupes selon l'âge (> 40 ans et < 40 ans), on constate dans chaque groupe une sous-représentation des femmes dans les instances par rapport à leur proportion dans la population correspondante de médecins généralistes.

Cette sous-représentation féminine est un phénomène complexe, qui prend racine à différents niveaux. Certains éléments explicatifs sont les conséquences de facteurs sociétaux (responsabilités familiales) et générationnels (évolution du rapport au travail). Cependant, plusieurs éléments sont spécifiques au fonctionnement des instances: la disponibilité et l'investissement demandés, les biais de genre et l'entre-soi masculin, une expression différente de l'ambition et un complexe d'imposture, et le désintérêt pour certaines activités "politiques" au profit d'une plus grande priorité donnée aux patient·es. La diversité dans la représentation est pourtant perçue comme une richesse et une nécessité.

Discussion

Comprendre le phénomène permet d'identifier les facteurs sur lesquels agir. De nombreux aspects de la problématique dépassent largement le champ de la médecine générale. En revanche, comme l'ont souligné les participant·es, il est possible de changer le mode de fonctionnement des instances.

Nous mettons en évidence deux axes sur lesquels travailler: augmenter l'attrait de la représentation professionnelle pour favoriser l'envie de s'y impliquer, et adapter le mode de fonctionnement des instances afin de réduire les obstacles à l'implication des femmes et des jeunes.

Créer l'envie. Mesures pour augmenter l'attractivité: recrutement et information ; sensibiliser aux missions des différentes instances ; intégrer la formation à la défense professionnelle au cursus de base ; mettre en évidence les modèles de rôle féminins.

Réduire les barrières. Mesures pour diminuer les obstacles: adapter les horaires et la flexibilité (télétravail, temps partiel,...) ; favoriser le travail d'équipe et la répartition des tâches ; transition vers une hiérarchie moins pyramidale ; proposer une rémunération adéquate ; bannir les comportements sexistes, sensibiliser aux biais genrés implicites ; politiques institutionnelles favorisant la diversité ; stratégies d'écolage et de mentoring ; établir un environnement de travail collaboratif et respectueux (respect du temps de parole,...).

Conclusion

La profession a besoin de modèles de rôle féminins qui reflètent l'évolution du métier et influenceront son avenir. Des politiques institutionnelles doivent être envisagées pour augmenter l'attractivité des instances et adapter leur mode de fonctionnement, afin d'offrir aux femmes ainsi qu'aux jeunes un environnement de travail où iels peuvent s'épanouir de façon durable.

Titre complet: Où sont les femmes: comment expliquer la sous-représentation féminine dans les instances de médecine générale?

Auteur: Dr Sarah Cumps (UCLouvain)

Promotrice: Dr Aurore Girard

Master de spécialisation en médecine générale.

Année académique 2021-2022

Humanité et écoute

Un "coup de foudre" lors de son premier stage est à l'origine de son choix pour la médecine générale: "J'ai été émerveillée de découvrir la façon dont travaillait ma maître de stage, l'étendue de ses connaissances, son talent pour l'écoute bienveillante et la confiance totale que lui accordaient les patients", s'enthousiasme, aujourd'hui encore, Sarah Cumps. Puis un doute naît lors de stages suivants: pourquoi pas la gynécologie? Ou alors l'oncologie? Deux spécialités où la relation humaine est fort présente aussi... "Mais je suis vite revenue à mon premier amour, et je ne le regrette pas une seconde: l'avantage de la médecine générale, c'est d'offrir le meilleur de tous les mondes!", explique la jeune généraliste, qui travaille actuellement à Woluwe-Saint-Pierre, en remplacement d'un congé de maternité.

Son parcours a débuté à Kraainem avec sa maître de stage qui lui a donc refilé le virus de la MG, puis est passé par Charleroi - six mois aux urgences... en pleine première vague de covid. "Ensuite, j'ai exercé dans plusieurs cabinets de groupe à Tubize, Ohain et Schaerbeek. J'ai aussi eu l'occasion de vivre une expérience très enrichissante en travaillant pendant quelques mois à la SSMG pour un temps partiel de recherche en parallèle avec mon assistanat 'classique'", complète Sarah Cumps.

Ce qu'elle préfère dans le métier? Écouter! "J'ai choisi la médecine générale par amour de la relation humaine, donc évidemment ce que j'adore dans mon métier, c'est d'écouter les gens. Alors que dans la vie de tous les jours, je suis une grande bavarde, pendant mes consultations, c'est tout l'inverse : j'aime me taire et simplement écouter ce que les patients ont à dire, qu'ils me racontent leurs plaintes et leurs douleurs, mais aussi leurs doutes, leurs frustrations, leur histoire de vie. Je trouve qu'il y a quelque chose de vraiment unique qui se crée lors du colloque singulier. Avec le temps, médecin et patient apprennent à se connaître, et il y a une vraie relation de confiance qui s'installe." Mais elle apprécie également les réflexions plus globales sur la santé publique, la qualité des soins, la pédagogie etc. "J'ai finalement mis le doigt sur l'équilibre qui me convient : la clinique et le contact avec les patients, c'est ce qui me nourrit. Et les activités scientifiques et de représentation professionnelle, c'est ce qui me motive.".

Ce qu'elle apprécie le moins? "Forcément, ce qui me déplaît c'est tout ce qui retire de l'humanité au métier, et principalement le temps perdu en paperasse inutile... Passer une longue journée auprès de patients, c'est fatigant mais gratifiant. Alors que peu de choses sont plus décourageantes qu'une soirée interminable au cabinet pour remplir des dossiers d'assurances, diverses demandes de remboursements ou d'absurdes certificats..."

L'exercice de la médecine correspond-il à ce qu'elle imaginait en entamant ses études? "Je pense que ma plus grande surprise a été de réaliser que la médecine n'est pas une science exacte. La recherche progresse à une vitesse folle, de nouveaux traitements apparaissent, d'autres sont finalement déconseillés après avoir été massivement recommandés pendant des années... En médecine générale particulièrement, nous jonglons quotidiennement avec les trois piliers de l'EBM - les meilleures données de la littérature et les recommandations de bonne pratique, mais également, et surtout, les moyens que nous avons à notre disposition, les limitations de notre système de soins, et évidemment les préférences de nos patients, ce qu'ils sont prêts à accepter ou non, ce qu'ils attendent de nous comme soignants. Avant de commencer mes études, j'imaginais que la "gestion de l'incertitude" était une sorte de faille du médecin, un échec face à une vérité unique que nous aurions dû dominer. Aujourd'hui, je réalise pleinement que cette incertitude fait partie intégrante de notre métier." Pour Sarah, c'est cela, "l'art de soigner".

La qualité la plus précieuse d'un médecin généraliste, aux yeux de la jeune généraliste, est son humanité: "Quand on se soucie réellement de la personne qu'on a en face de nous, naturellement, on la prend mieux en charge : on réfléchit sérieusement, on est consciencieux, empathique, à l'écoute de ses besoins... Je pense qu'on fait de la meilleure médecine quand on exerce avec plaisir. D'où l'importance aussi de connaître ses propres limites, et de prendre soin de soi-même pour se protéger du burn out."

Et comment voit-elle l'avenir de la médecine générale? "Je pense qu'on le voit déjà : les prises en charge vont continuer de se complexifier, et il va être de plus en plus essentiel de travailler en réseau, avec des collègues paramédicaux mais aussi avec la deuxième ligne. La technologie va aussi progressivement prendre une place plus importante - avec des outils comme l'échographie par exemple, ou des logiciels de plus en plus sophistiqués d'aide au diagnostic et à la décision thérapeutique. Le rôle du médecin traitant va vraiment être de rester l'humain, la personne de confiance au milieu de tout ça, pour accompagner les patients."

Des aspects de la profession qui pourraient être améliorés? "Forcément, un sujet auquel je me suis beaucoup intéressée pendant mon TFE : je pense qu'on ne met pas assez en avant toutes les manières de contribuer à l'avancement de la profession autres que la clinique en tant que telle. Je pense par exemple à tout ce qui touche à la recherche académique ou à l'enseignement, mais également la défense syndicale, l'organisation sur le terrain (via les cercles notamment) ou la concertation avec le monde politique. C'est tout un pan du métier qui est méconnu, ou trop peu valorisé, or il a une importance capitale pour façonner l'avenir des soins que nous pourrons offrir à nos patients."

La Dr Cumps a-t-elle des projets, à terme, en rapport avec sa formation et sa carrière? "Je suis de plus en plus impliquée à la SSMG et au Collège de MG, qui bourdonnent toujours d'idées pour améliorer la qualité de la médecine générale. La difficulté est plutôt de savoir dire non de temps en temps, pour ne pas me retrouver débordée ! J'ai également récemment commencé à travailler sur un projet de recherche, que je trouve passionnant. Et évidemment, j'aimerais aussi bientôt lancer mon propre cabinet - si j'ai le temps..."

Enfin, côté loisirs, Sarah a enfin pu renouer avec la lecture: "J'ai toujours été une avide lectrice, mais les études de médecine m'avaient fait arrêter la lecture, par manque de temps. Je m'y suis remise il y a trois ans, et j'ai vraiment retrouvé ma bulle d'évasion, qui me fait énormément de bien. J'essaie de lire au moins un livre par semaine, et de diversifier les genres littéraires pour varier les plaisirs : je dévore énormément de romans -aussi bien des classiques littéraires que de la fantasy ou de la romance - mais aussi des recueils de poésie, des essais politiques ou des livres de médecine... Tout y passe ! Et comme je prône la diversité : je veille à lire au moins autant d'autrices que d'auteurs - ce qui est plus difficile qu'on ne le pense, si on n'y prête pas attention."

Depuis plusieurs décennies, toutes les branches de la médecine se féminisent. La notion de féminisation ne décrit pas seulement l'accroissement quantitatif de la part de femmes dans une profession, mais revêt également un caractère qualitatif. Dans la littérature médicale, cette féminisation est principalement abordée selon trois aspects: premièrement, les différences genrées dans les pratiques individuelles, qui permettraient une humanisation de la profession en lui apportant des qualités considérées comme "féminines". Deuxièmement, son impact sur la charge de travail, plusieurs auteur·rices craignant que certains choix de carrière des femmes ne provoquent ou exacerbent une pénurie de médecins. Troisièmement, l'existence d'un plafond de verre et d'un manque de représentation des femmes dans les instances académiques et de défense de la profession, ne leur permettant que trop peu d'influencer les politiques publiques et les recommandations de bonne pratique. En Belgique, si les femmes représentent la grande majorité des jeunes médecins généralistes, elles semblent peu nombreuses dans les instances professionnelles, scientifiques et académiques de médecine générale. Une enquête démographique a été réalisée en recensant l'âge et le genre des membres de neuf instances de médecine générale belges francophones (départements universitaires de médecine générale, syndicats, associations professionnelles et scientifiques) et en les comparant aux données des cadastres existants. Des entretiens individuels semi-dirigés ont été menés auprès des représentant·es de ces neuf instances de médecine générale. Les résultats des entretiens ont été analysés par codage thématique en émergence puis classés en catégories et conceptualisés grâce à un outil de mind-mapping. En 2021, les femmes représentaient 45% des médecins généralistes exerçant en Région wallonne et occupaient 32% des postes dans les instances étudiées. L'âge exerce une influence, car les postes de décision sont traditionnellement occupés par des médecins plus expérimenté·es, issu·es de cohortes de médecins généralistes où les hommes sont largement majoritaires. Cependant, en divisant les médecins en deux groupes selon l'âge (> 40 ans et < 40 ans), on constate dans chaque groupe une sous-représentation des femmes dans les instances par rapport à leur proportion dans la population correspondante de médecins généralistes. Cette sous-représentation féminine est un phénomène complexe, qui prend racine à différents niveaux. Certains éléments explicatifs sont les conséquences de facteurs sociétaux (responsabilités familiales) et générationnels (évolution du rapport au travail). Cependant, plusieurs éléments sont spécifiques au fonctionnement des instances: la disponibilité et l'investissement demandés, les biais de genre et l'entre-soi masculin, une expression différente de l'ambition et un complexe d'imposture, et le désintérêt pour certaines activités "politiques" au profit d'une plus grande priorité donnée aux patient·es. La diversité dans la représentation est pourtant perçue comme une richesse et une nécessité. Comprendre le phénomène permet d'identifier les facteurs sur lesquels agir. De nombreux aspects de la problématique dépassent largement le champ de la médecine générale. En revanche, comme l'ont souligné les participant·es, il est possible de changer le mode de fonctionnement des instances. Nous mettons en évidence deux axes sur lesquels travailler: augmenter l'attrait de la représentation professionnelle pour favoriser l'envie de s'y impliquer, et adapter le mode de fonctionnement des instances afin de réduire les obstacles à l'implication des femmes et des jeunes. Créer l'envie. Mesures pour augmenter l'attractivité: recrutement et information ; sensibiliser aux missions des différentes instances ; intégrer la formation à la défense professionnelle au cursus de base ; mettre en évidence les modèles de rôle féminins. Réduire les barrières. Mesures pour diminuer les obstacles: adapter les horaires et la flexibilité (télétravail, temps partiel,...) ; favoriser le travail d'équipe et la répartition des tâches ; transition vers une hiérarchie moins pyramidale ; proposer une rémunération adéquate ; bannir les comportements sexistes, sensibiliser aux biais genrés implicites ; politiques institutionnelles favorisant la diversité ; stratégies d'écolage et de mentoring ; établir un environnement de travail collaboratif et respectueux (respect du temps de parole,...). La profession a besoin de modèles de rôle féminins qui reflètent l'évolution du métier et influenceront son avenir. Des politiques institutionnelles doivent être envisagées pour augmenter l'attractivité des instances et adapter leur mode de fonctionnement, afin d'offrir aux femmes ainsi qu'aux jeunes un environnement de travail où iels peuvent s'épanouir de façon durable.