Nous ignorons encore réellement pourquoi mais, nonobstant une sous-estimation du nombre de morts Covid en Chine, l'Europe de l'Ouest et l'Amérique du Nord ont été, à l'évidence, les plus touchées par le Sras-Cov-2. La Belgique est 4e au monde en surmortalité et 1ère en morts par million d'habitant. Population vieillissante ? Densité de population ? Réaction tardive et sous-estimation du danger ? Prédisposition génétique ? Co-morbidité liée aux maladies de civilisation ? Impéritie dans les maisons de repos ? Météo ? Absence de contrôles aux frontières et dans les aéroports pour les nationaux revenus d'Italie et des sports d'hiver ? Peut-être un peu de tout cela dans notre pays.
Si on avait eu assez de tests, de masques, on n'aurait peut-être pas dû imposer de lockdown...
Italie première à confiner
Une fois le danger dûment évalué, la réponse des pays touchés a été à géométrie variable. En Europe, l'Italie a été le premier pays à confiner sa population fermement. La France, l'Espagne et la Belgique ont suivi avec une observance variable, moins stricte en Belgique où les promenades et les courses étaient autorisées à n'importe quel moment, contrairement à la France où une libéralité d'une heure était accordée après envoi d'un Q/R code. Les Pays-Bas et la Grande-Bretagne ont un temps misé sur l'immunité de groupe. Les Bataves ont ensuite opté pour un confinement " intelligent ". Tout au long de la crise, les magasins sont restés ouverts et les habitants étaient libres de sortir. Aujourd'hui, si on tient compte du comptage moins généreux des cas suspectés, les Pays-Bas n'offrent pas un tableau idyllique avec 5.962 décès pour 17 millions d'habitants (au 4 juin).
L'Italie est à la fois un des pays les plus touchés en surmortalité par million (3e derrière l'Espagne et la Grande-Bretagne) et celui qui a mis en place le confinement le plus strict au Nord. Le 27 mars dernier, l'Italie avait enregistré le plus grand nombre de décès dus au virus en une journée, avec 969 morts. Dimanche 18 mai, l'épidémie de coronavirus a causé la mort de " seulement " 145 personnes sur les dernières 24 heures, soit le plus faible bilan quotidien depuis le début du confinement le 9 mars, selon la Protection civile italienne. Une bonne performance à mettre sur le compte du confinement ?
Confinement précoce
C'est la thèse adoptée par une longue enquête publiée par le Financial Times. Le journal économique britannique estime que les mauvaises performances de la Grande-Bretagne en surmortalité, surmortalité par million d'habitant et surmortalité comparée à la moyenne des dernières années (le critère considéré comme le meilleur au monde pour les comparaisons) est le fait que la Grande-Bretagne a longtemps hésité à prendre des mesures strictes de confinement. Dans une étude comparative, le FT conclut que le confinement à un stade précoce de la pandémie diminue le taux de surmortalité. En effet, l'Italie et la France sont deux pays classés 3e et 7e les plus mauvais en surmortalité par million en dépit d'un confinement strict mais, en fait, ils sont surtout touchés dans certains clusters : Lombardie et Paris/Grand Est. Le reste du territoire de ces deux pays est relativement épargné. Au contraire, en Grande-Bretagne, toutes les régions du pays ont connu une forte surmortalité entre mars et mai. Circonstance aggravante : contrairement la " malchanceuse " Italie, le Royaume-Uni avait le temps de voir venir la pandémie.
Suède mi-figue mi-raisin
En Suède, seuls les gestes barrières et la distanciation sociale ont été recommandés. Avec plus de 4.000 morts le 3 juin dernier pour 10,3 millions d'habitants, cette mortalité est décrite par l'épidémiologiste suédois Anders Tegnell, de l'Agence de santé publique comme " vraiment trop élevée ". " Le pays a maintenu ouverts les écoles pour les enfants de moins de seize ans, cafés, bars, restaurants et entreprises, demandant à chacun d'observer les recommandations de distanciation sociale et de "prendre ses responsabilités" ", relève-t-il. " La population a été incitée à travailler à domicile, à limiter ses contacts et à se laver les mains régulièrement. Seules contraintes majeures, les rassemblements de plus de 50 personnes ont été interdits, de même que les visites dans les maisons de retraite. "
La Norvège, qui a fermé bars et restaurants pendant deux mois et demi, affiche moins de morts alors que son profil démographique et géographique est un peu semblable. La Finlande affiche aussi de bien meilleurs résultats que la Suède alors qu'elle a rouvert 10.000 bars et restaurants seulement la semaine dernière mais à moitié de leur capacité jusque... fin octobre là où la Suède a maintenu ouvert le secteur de l'Horeca pendant la crise. " La Finlande, forte de 5,5 millions d'habitants et où complexes sportifs et sites culturels ont également rouvert lundi [1er juin], a enregistré 314 décès liés à la maladie Covid-19. La Norvège compte à ce jour (4 juin) 236 décès pour une population quasi-identique à la Suède. "
Des indices qui montrent que le confinement y a été efficace ? Les exemples d'autres pays relativisent ce constat.
Europe centrale épargnée
Les pays d'Europe centrale (la Pologne en particulier) et l'Autriche ont été peu atteints. Or le confinement y a été de courte durée. Une explication génétique a été avancée pour les Européens de l'Est qui seraient protégés du coronavirus. Concernant l'Autriche, les larges étendues de montagnes séparant les grandes villes pourraient expliquer cette belle performance ou le fait que, voisine de la Lombardie, l'Autriche a été très vigilante. La Suisse qui n'a presque pas confiné obtient aussi d'excellents résultats. L'air des montagnes là-aussi ?
En Asie, la Chine a confiné totalement la province de Wuhan avec plateaux-repas amenés chaque jour au domicile et interdiction de sortir de son logement pendant environ 70 jours. Le déconfinement s'est fait avec port du masque obligatoire. Proches ou voisins de la Chine, les dragons asiatiques ont davantage misé sur le dépistage à l'aide des Big Data et le confinement des seules populations à risque ou positives avec une grande vigilance aux frontières et dans les aéroports. Ces pays ou villes-Etats (Singapour, Corée du Sud, Taïwan, Macao, Hong-Kong) restent très peu touchés encore dans les bilans actuels. Idem pour Israël qui a utilisé les mêmes méthodes et dont les frontières sont historiquement très hermétiques pour des raisons de sécurité. Précisons que ces pays d'Asie, au contraire de la Belgique, la France et l'Italie, avaient à disposition des équipements de protection et des tests en suffisance, échaudés par les crises pandémiques Sras-Cov-1, Mers et grippes aviaires. La pollution des villes asiatiques et l'hygiénisme qui y règnent font aussi que le port du masque est récurrent dans les déplacements, même en temps normal. On a évoqué le confucianisme qui entraîne l'autodiscipline mais les Asiatiques sont plus bordéliques qu'on ne le pense, de leur propre aveux.
Des comparaisons entre États américains pourraient aussi apporter des réponses. L'État de New York, par exemple, malgré un confinement assez strict, a été responsable au début de la crise de près de 40% des morts Covid de l'ensemble des États-Unis. Au Brésil, l'absence de confinement fait que ce pays est aujourd'hui l'épicentre de l'épidémie en Amérique du Sud mais dans un contexte d'offre hospitalière bien insuffisante.
L'infectiologue Emmanuel André, un temps porte-parole interfédéral Coronavirus résume bien la quadrature du cercle : " Si tout avait été en place dès le début, si on avait eu assez de tests, de masques, on n'aurait peut-être pas dû imposer de lockdown... "
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Confinement, plus de tort que de bien ?
Le 21 mai dernier, scientifiques, médecins et intellectuels donnaient, dans une capsule vidéo, un avis plutôt critique sur le (dé-)confinement.
Pour Bruno Humbeek, psychopédagogue à l'UMons, qui insiste sur l'angoisse de recevoir en permanence des informations contradictoires, " le déconfinement est beaucoup plus angoissant que le confinement. Le confinement est rassurant. Par contre on en sort 'à l'aveugle'. Le déconfinement devait être une grande fête. Or on regarde de travers ceux qui se déconfinent. "
Selon Michel Dechamps, pédiatre à SOS enfants (ONE), le confinement a augmenté les risques de maltraitance.
" On n'a plus prêté attention aux autres maladies comme l'infarctus, la péritonite, les AVC ", enfonce le Pr Pierre-François Laterre, chef de l'USI des Cliniques Saint-Luc (Bruxelles). " On va rajouter une mortalité à une surmortalité causée par le Covid19. Les pays où le confinement a été moins important ont déconfiné plus vite et ils ont une courbe de surmortalité inférieure à la nôtre. En Scandinavie, l'immunité est bien plus élevée que la nôtre. L'objectif est d'arriver à 50-60% de la population. Pourquoi n'a-t-on pas déconfiné plus rapidement la population jeune dont on sait qu'elle n'a pas les mêmes risques de décès ? On ne peut pas estimer le nombre de vies épargnées mais on verra par contre le nombre de vies qu'on va perdre avec ce confinement. "
Pour Étienne De Callataÿ, économiste chez Orcadia Asset Management, " le confinement nous aura fait perdre 10% du PIB, soit 50 milliards dont 10% dans les soins de santé, autrement dit 5 milliards évanouis (ndlr : c'est approximativement le budget des moyens financiers). C'est astronomique. Tout ce que l'on aurait pu faire avec cet argent en santé publique ! ".
Nul doute qu'il manquera de l'argent pour alimenter divers plans comme celui de lutte contre le cancer. Le Dr Mélanie Dechamps, cheffe de clinique adjointe de l'USI des Cliniques Saint-Luc rappelle qu'en Belgique, le tabac tuera plus de gens en 2020 que le coronavirus et le tabagisme va continuer...