Notre pays, ainsi que la plupart des pays européens d'ailleurs, a besoin d'une politique du troisième âge cohérente et d'une large discussion sociale sur la voie à suivre. Si nous voulons vivre plus longtemps dans une société confortable et de qualité, il n'existe, à mon sens, pas d'autre solution que d'investir correctement davantage de moyens.

Dans le Knack du 22/11/2017, Luc Van Gorp, président de la Mutualité chrétienne, avance quelques idées intéressantes sur la façon dont nous pourrions faire face au vieillissement de la population.

Un des éléments qu'il déplore est l'obsession de notre culture sanitaire de vivre le plus longtemps possible. Ce n'est toutefois pas le souhait de la plupart des personnes âgées, qui préfèrent une vie de qualité.

Le but n'est pas de continuer à investir dans toujours plus d'années de vie : tout investissement dans les soins de santé doit avoir pour objectif de faire vivre les personnes le plus longtemps possible en bonne santé. Et l'âge n'a pas sa place dans l'équation ! Pour le formuler en termes d'économie sanitaire, il ne faut pas se concentrer sur les années de vie en soi, mais bien sur les Quality Adjusted Life Years (QALY).

Mentalité de comptable

À l'instar de la politique de santé, les soins aux personnes âgées sont trop souvent perçus d'un point de vue comptable. Les normes en matière de personnel dans les centres d'hébergement et de soins sont beaucoup trop justes, ce qui empêche les établissements d'employer suffisamment d'infirmiers et d'aides-soignants par manque de moyens financiers. Peut-être suffisent-elles aux actes techniques, mais le temps manque lorsqu'il s'agit de faire un brin de causette avec les résidents. Et puis, il est hors de question de tomber malade, enceinte ou d'être en congé (ce qui est presque tout le temps le cas), faute de quoi le personnel vient à manquer. Il faut non seulement élargir les normes, mais il faut également tenir compte de l'aspect humain. Cela vaut d'ailleurs aussi pour la formation des infirmiers et aides-soignants qui se concentre encore trop souvent sur les compétences techniques.

L'augmentation du nombre de personnes âgées cause un problème de capacité dans de nombreux établissements résidentiels. Qui plus est, ces personnes préfèrent alors rester vivre le plus longtemps possible dans leur domicile - tendance que nous soutenons pleinement, cela étant dit - et font appel à un centre d'hébergement et de soins lorsque plus aucune autre solution ne se présente. Ces établissements rencontrent dès lors des situations de nécessités de soins plus lourdes par rapport à quelques décennies auparavant.

De même, pour des raisons financières, de plus en plus de maisons de repos détricotent leur fonction d'animation, laquelle vise justement à égayer les journées des résidents.

Cependant, il faut considérer les problèmes dans un spectre plus large : notre obsession des économies n'est effectivement pas neuve, mais date des années 80 déjà. Et la pression de l'Europe n'a fait que s'intensifier avec les normes de Maastricht, les fondements de notre monnaie européenne. Nous faisons fausse route, et tant que nous poursuivrons l'orthodoxie budgétaire, et tant que des budgets convenables ne seront pas dégagés pour les soins aux personnes âgées, le problème persistera.

Cela vaut également par extension pour notre politique de santé. Tandis que les différents gouvernements dans ce pays se concentrent uniquement sur les quotas visant à limiter l'augmentation du nombre de médecins, les pénuries dans certaines professions médicales (médecins généralistes, gériatres et psychiatres) ne font que se creuser. C'est la raison pour laquelle il faut encourager dès le départ les étudiants en médecine à se tourner vers ces spécialités et certainement ne pas attendre la fin de leurs études.

Un aspect étroitement lié à l'orthodoxie budgétaire est la mentalité de la motivation et de la preuve : les médecins et infirmiers perdent une bonne partie de leur temps à remplir des listes et formulaires sur leur ordinateur, en croisant les doigts pour que tout fonctionne bien, au dépit de l'attention portée aux patients et aux habitants. D'autant plus que formulaires incomplets riment avec perte de revenus...

Certains scientifiques estiment que la solution à ce manque de personnel réside dans l'introduction des robots aides-soignants. Dans l'euphorie de l'avènement de cette innovation technologique, beaucoup en oublient qu'elle constitue une excuse pour valoriser davantage une machine au-delà des professionnels. Je n'assure toutefois pas que certaines applications technologiques n'auraient aucune utilité dans les soins.

Qu'en est-il de l'humain ?

L'attention limitée aux aspects techniques est au détriment du côté relationnel des soins. Faut-il alors s'étonner que nombreux de nos aînés n'espèrent plus rien de la vie ?

Dès lors, Luc Van Gorp défend une culture du lâcher-prise, c'est-à-dire la possibilité pour une personne, qui se plaint de sa lassitude de vivre, de demander l'euthanasie (bien que ce ne soit pas une question médicale). Je m'oppose à l'idée d'associer banalement la vieillesse à la dépendance de soins. Les personnes lourdement tributaires de soins sont représentées dans toutes les catégories d'âge. De même, l'attention doit également se concentrer, dans les soins aux personnes âgées, sur ce qu'elles sont encore capables de faire.

Outre l'approche physique, l'un des principaux problèmes des personnes âgées dépendantes est la solitude. Les infirmiers et aides-soignants sont dès lors parfois les seuls interlocuteurs avec qui ces personnes peuvent bavarder. Or ils ont bien souvent peu de temps à leur consacrer, car ils sont attendus ailleurs. Dans le plan pluriannuel que nous avons établi en 2016 avec toutes les mutualités, nous défendons d'ailleurs l'idée de porter une attention particulière au sens dans le processus des soins.

Nombre de problèmes soulevés ont naturellement trait à l'organisation de notre société. Luc Van Gorp propose de faire des soins aux personnes âgées les compétences de base des citoyens plutôt que de les professionnaliser.

Les médecins et infirmiers perdent une bonne partie de leur temps à remplir des listes et formulaires sur leur ordinateur, en croisant les doigts pour que tout fonctionne bien.

C'est également une idée pouvant aller dans plusieurs sens. Ce ne serait évidemment pas une mauvaise chose de réapprendre à s'entraider et de reprendre, dans la mesure du possible, quelques tâches sanitaires à l'intention de nos aînés. C'était une évidence à l'époque : les enfants s'occupaient de leurs parents. Mais les temps ont fondamentalement changé et il est assez irréaliste de présenter cette proposition comme la solution dans le contexte social actuel.

Quel temps disponible peut-on réellement estimer dans une société où les deux partenaires travaillent généralement, où le nombre de divorces et de séparations est élevé, avec toutes les conséquences pratiques que cela entraîne ? Pas étonnant que la courbe du nombre de dépressions et de burnouts soit à la hausse.

Le report de l'âge de la pension et la suppression des régimes de prépension n'ont apporté aucune amélioration. Comme le nombre moyen d'enfants par ménage est à la baisse depuis le début du siècle dernier, et comme l'espérance de vie suit la tendance inverse, un nombre toujours plus restreint de personnes devra se farcir les soins de personnes tributaires toujours plus nombreuses.

Et n'oublions pas l'effet des immenses problèmes de mobilité : chaque heure supplémentaire à passer dans les bouchons ou dans les transports en commun est une heure perdue à consacrer aux soins.

Pas de solution miracle

Soyons clairs : il n'existe aucune solution miracle aux problèmes à résoudre. Peut-être certaines suggestions apporteront-elles l'une ou l'autre solution. Bon nombre de personnes ne sont pas prêtes à entrer dans le troisième âge qui les guette. Devenir tributaire de soins signifie dépendre d'autrui et donc céder une partie de sa liberté. Ce n'est pas chose facile, mais notre société et les organisations du troisième âge et les associations d'aidants proches des mutualités pourraient apprendre aux gens à "vieillir" dignement.

Le respect mutuel entre générations, pour chacun d'entre nous, est essentiel ! Cette notion doit également être appliquée davantage dans l'éducation et les diverses formations.

Des services de soutien doivent se tenir prêts lorsque les aidants proches ne parviennent plus à accomplir leur mission de soins aux personnes âgées tributaires. Il en existe et les mutualités travaillent dur pour les rapprocher du grand public. La qualité est bonne, mais des améliorations sont toujours possibles.

(Geert Messiaen s'exprime à titre personnel)

Notre pays, ainsi que la plupart des pays européens d'ailleurs, a besoin d'une politique du troisième âge cohérente et d'une large discussion sociale sur la voie à suivre. Si nous voulons vivre plus longtemps dans une société confortable et de qualité, il n'existe, à mon sens, pas d'autre solution que d'investir correctement davantage de moyens.Dans le Knack du 22/11/2017, Luc Van Gorp, président de la Mutualité chrétienne, avance quelques idées intéressantes sur la façon dont nous pourrions faire face au vieillissement de la population.Un des éléments qu'il déplore est l'obsession de notre culture sanitaire de vivre le plus longtemps possible. Ce n'est toutefois pas le souhait de la plupart des personnes âgées, qui préfèrent une vie de qualité.Le but n'est pas de continuer à investir dans toujours plus d'années de vie : tout investissement dans les soins de santé doit avoir pour objectif de faire vivre les personnes le plus longtemps possible en bonne santé. Et l'âge n'a pas sa place dans l'équation ! Pour le formuler en termes d'économie sanitaire, il ne faut pas se concentrer sur les années de vie en soi, mais bien sur les Quality Adjusted Life Years (QALY).À l'instar de la politique de santé, les soins aux personnes âgées sont trop souvent perçus d'un point de vue comptable. Les normes en matière de personnel dans les centres d'hébergement et de soins sont beaucoup trop justes, ce qui empêche les établissements d'employer suffisamment d'infirmiers et d'aides-soignants par manque de moyens financiers. Peut-être suffisent-elles aux actes techniques, mais le temps manque lorsqu'il s'agit de faire un brin de causette avec les résidents. Et puis, il est hors de question de tomber malade, enceinte ou d'être en congé (ce qui est presque tout le temps le cas), faute de quoi le personnel vient à manquer. Il faut non seulement élargir les normes, mais il faut également tenir compte de l'aspect humain. Cela vaut d'ailleurs aussi pour la formation des infirmiers et aides-soignants qui se concentre encore trop souvent sur les compétences techniques.L'augmentation du nombre de personnes âgées cause un problème de capacité dans de nombreux établissements résidentiels. Qui plus est, ces personnes préfèrent alors rester vivre le plus longtemps possible dans leur domicile - tendance que nous soutenons pleinement, cela étant dit - et font appel à un centre d'hébergement et de soins lorsque plus aucune autre solution ne se présente. Ces établissements rencontrent dès lors des situations de nécessités de soins plus lourdes par rapport à quelques décennies auparavant.De même, pour des raisons financières, de plus en plus de maisons de repos détricotent leur fonction d'animation, laquelle vise justement à égayer les journées des résidents.Cependant, il faut considérer les problèmes dans un spectre plus large : notre obsession des économies n'est effectivement pas neuve, mais date des années 80 déjà. Et la pression de l'Europe n'a fait que s'intensifier avec les normes de Maastricht, les fondements de notre monnaie européenne. Nous faisons fausse route, et tant que nous poursuivrons l'orthodoxie budgétaire, et tant que des budgets convenables ne seront pas dégagés pour les soins aux personnes âgées, le problème persistera.Cela vaut également par extension pour notre politique de santé. Tandis que les différents gouvernements dans ce pays se concentrent uniquement sur les quotas visant à limiter l'augmentation du nombre de médecins, les pénuries dans certaines professions médicales (médecins généralistes, gériatres et psychiatres) ne font que se creuser. C'est la raison pour laquelle il faut encourager dès le départ les étudiants en médecine à se tourner vers ces spécialités et certainement ne pas attendre la fin de leurs études.Un aspect étroitement lié à l'orthodoxie budgétaire est la mentalité de la motivation et de la preuve : les médecins et infirmiers perdent une bonne partie de leur temps à remplir des listes et formulaires sur leur ordinateur, en croisant les doigts pour que tout fonctionne bien, au dépit de l'attention portée aux patients et aux habitants. D'autant plus que formulaires incomplets riment avec perte de revenus...Certains scientifiques estiment que la solution à ce manque de personnel réside dans l'introduction des robots aides-soignants. Dans l'euphorie de l'avènement de cette innovation technologique, beaucoup en oublient qu'elle constitue une excuse pour valoriser davantage une machine au-delà des professionnels. Je n'assure toutefois pas que certaines applications technologiques n'auraient aucune utilité dans les soins.L'attention limitée aux aspects techniques est au détriment du côté relationnel des soins. Faut-il alors s'étonner que nombreux de nos aînés n'espèrent plus rien de la vie ?Dès lors, Luc Van Gorp défend une culture du lâcher-prise, c'est-à-dire la possibilité pour une personne, qui se plaint de sa lassitude de vivre, de demander l'euthanasie (bien que ce ne soit pas une question médicale). Je m'oppose à l'idée d'associer banalement la vieillesse à la dépendance de soins. Les personnes lourdement tributaires de soins sont représentées dans toutes les catégories d'âge. De même, l'attention doit également se concentrer, dans les soins aux personnes âgées, sur ce qu'elles sont encore capables de faire.Outre l'approche physique, l'un des principaux problèmes des personnes âgées dépendantes est la solitude. Les infirmiers et aides-soignants sont dès lors parfois les seuls interlocuteurs avec qui ces personnes peuvent bavarder. Or ils ont bien souvent peu de temps à leur consacrer, car ils sont attendus ailleurs. Dans le plan pluriannuel que nous avons établi en 2016 avec toutes les mutualités, nous défendons d'ailleurs l'idée de porter une attention particulière au sens dans le processus des soins.Nombre de problèmes soulevés ont naturellement trait à l'organisation de notre société. Luc Van Gorp propose de faire des soins aux personnes âgées les compétences de base des citoyens plutôt que de les professionnaliser.C'est également une idée pouvant aller dans plusieurs sens. Ce ne serait évidemment pas une mauvaise chose de réapprendre à s'entraider et de reprendre, dans la mesure du possible, quelques tâches sanitaires à l'intention de nos aînés. C'était une évidence à l'époque : les enfants s'occupaient de leurs parents. Mais les temps ont fondamentalement changé et il est assez irréaliste de présenter cette proposition comme la solution dans le contexte social actuel.Quel temps disponible peut-on réellement estimer dans une société où les deux partenaires travaillent généralement, où le nombre de divorces et de séparations est élevé, avec toutes les conséquences pratiques que cela entraîne ? Pas étonnant que la courbe du nombre de dépressions et de burnouts soit à la hausse.Le report de l'âge de la pension et la suppression des régimes de prépension n'ont apporté aucune amélioration. Comme le nombre moyen d'enfants par ménage est à la baisse depuis le début du siècle dernier, et comme l'espérance de vie suit la tendance inverse, un nombre toujours plus restreint de personnes devra se farcir les soins de personnes tributaires toujours plus nombreuses.Et n'oublions pas l'effet des immenses problèmes de mobilité : chaque heure supplémentaire à passer dans les bouchons ou dans les transports en commun est une heure perdue à consacrer aux soins.Soyons clairs : il n'existe aucune solution miracle aux problèmes à résoudre. Peut-être certaines suggestions apporteront-elles l'une ou l'autre solution. Bon nombre de personnes ne sont pas prêtes à entrer dans le troisième âge qui les guette. Devenir tributaire de soins signifie dépendre d'autrui et donc céder une partie de sa liberté. Ce n'est pas chose facile, mais notre société et les organisations du troisième âge et les associations d'aidants proches des mutualités pourraient apprendre aux gens à "vieillir" dignement.Le respect mutuel entre générations, pour chacun d'entre nous, est essentiel ! Cette notion doit également être appliquée davantage dans l'éducation et les diverses formations.Des services de soutien doivent se tenir prêts lorsque les aidants proches ne parviennent plus à accomplir leur mission de soins aux personnes âgées tributaires. Il en existe et les mutualités travaillent dur pour les rapprocher du grand public. La qualité est bonne, mais des améliorations sont toujours possibles.(Geert Messiaen s'exprime à titre personnel)