En ces temps de guerre en Ukraine, l'Occident se gargarise et se rassure de vivre tout de même dans des démocraties libérales, où le droit de la personne et les droits humains sont respectés... au contraire de ces pays comme la Russie, où un simple vernis démocratique ne suffit pas à camoufler la dérive autoritaire du régime.

C'est oublier un peu vite qu'il convient d'être attentif, et que si, dans nos démocraties, la liberté individuelle est un principe, elle n'est pas forcément un axiome de base. Pour preuve, le cas du lanceur d'alerte et journaliste Julian Assange que le covid, la guerre en Ukraine et la réputation qu'il lui fut faite, ont fait disparaître des écrans radars au seuil de son extradition, 13 ans après avoir osé révéler les crimes de guerre et camouflages de la plus grande puissance mondiale.

Un livre, un de plus, sorti en septembre sans avoir le retentissement qu'il méritait, reprend depuis le début la saga de celui qui fut présenté comme un violeur fuyard, un hackeur terroriste ou un pervers paranoïaque.

Une précision chirurgicale

L'intérêt majeur de "L'affaire Assange" est qu'il n'est pas l'oeuvre d'un de ses affidés: Nils Melzer est professeur de Droit international, et fut longtemps rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres traitements cruels. De plus, jusqu'en 2018, il ne voyait Assange que par le prisme par lequel la plupart des médias le décrivaient: le portrait peu amène d'un génie de l'informatique malfaisant qui, par ses agissements, mettait en danger la plus grande démocratie du monde et ses agents.

Nils Melzer est professeur de Droit international et fut longtemps rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres traitements cruels.

Reprenant tout l'historique de l'affaire Assange, ce livre édifiant, stupéfiant et révoltant, reprend méticuleusement, avec la précision chirurgicale d'un professeur de droit, la manière dont, entre autres, l'accusation de viol en Suède a bafoué tous les principes de l'enquête, de la défense... et même de l'accusation, poussant les deux jeunes femmes consentantes à accuser Assange de viol, alors qu'elles réclamaient seulement qu'il se soumette à un simple dépistage HIV.

Dès le départ, à savoir dès la mise en ligne notamment de la vidéo montrant des militaires américains tuant des civils irakiens désarmés en 2010, l'intention est politique: l'accusation de viol par la Suède permettant à cette dernière d'extrader Assange aux États-Unis, contrairement à la Grande-Bretagne où il se trouvait, et pas où il avait fui, lorsque le mandat d'arrêt fut lancé par la justice suédoise contre lui. C'est que la Grande-Bretagne à l'époque ne pouvait l'extrader à son tour aux USA, l'accord liant les deux pays stipulant que cette extradition ne pouvait intervenir pour des raisons politiques.

Le harassement judiciaire - et souvent illégal, comme le montre très bien Melzer qui est à moitié suédois et saisit donc parfaitement les attendus rendus par ce pays et dont fut victime Assange - consiste en effet en Suède ou en Grande-Bretagne, en Équateur (pays dans l'ambassade duquel il s'était réfugié à Londres) ou en Australie, son pays natal, en un... viol, en effet, de l'état de droit, et a pour but de décourager de futurs lanceurs d'alerte à l'avenir.

Attaquer le messager plutôt que le message

En décrivant Assange de la sorte, un État démocratique comme les États-Unis détourne les projecteurs braqués par l'opinion sur ses agissements illicites sur le transmetteur de ces révélations, Assange. Lorsqu'on ne peut s'attaquer au message, autant s'attaquer à la personne, la discréditer, ce qui rend ses affirmations nulles et non avenues.

Car nos démocraties, dont nous sommes si fiers, qui donnent des leçons de respect des droits humains à certains (pas à tous) à juste titre, se devraient à leur tour d'être irréprochables sur le sujet et bien d'autres. Or, elles ne le sont pas, et l'opinion ne doit pas et ne veut pas le savoir, préférant le déni à la remise à cause. Il est vrai qu'à la décharge du citoyen lambda, cette analyse attentive du fonctionnement occulte d'une partie de nos régimes exige du temps et de l'énergie.

Une fonction que devrait normalement exercer le quatrième pouvoir qui, s'il s'est jeté sur les premières révélations de WikiLeaks (le New York Times, le Guardian, Der Spiegel et Le Monde, notamment), a depuis lâché totalement son fondateur, effrayé sans doute par la réputation de violeur paranoïde qui lui fut faite, mais aussi par lâcheté, autocensure, peur de la coercition du pouvoir... et de la perte de recettes publicitaires.

Purges soviétiques

Assange attend son extradition à l'issue d'un procès qui ressembla à ceux, sinistres, des purges soviétiques dans les années 30: justice pourtant rendue dans ce qui est paraît-il la plus vieille démocratie du monde, la Grande-Bretagne, et qui semble en effet perdre la mémoire.

Outre les écrans de fumée procéduriers et la façon sournoise dont la justice a été détournée au fil des années dans cette affaire Assange, l'une des constatations les plus frappantes du livre se révèle être, pour qui en douterait encore, le rapport de vassalité des alliés de l'Amérique: celui de la Grande-Bretagne et de sa 'special relationship' était connue, moins celui de pays comme la Suède, l'Australie, l'Allemagne ou même l'Équateur. Un rapport de servilité même, par rapport au "grand frère" américain, déjà observé dans le cas de l'affaire Snowden.

Certains crieront au complotisme (également une façon de balayer d'un revers de la main toute assertion), histoire de se complaire dans un petit confort démocratique illusoire, mais l'Histoire, et celle-ci en particulier, démontre que les conspirations d'États (démocratiques) peuvent exister et que c'est au citoyen de rester attentif. Car il est dans la nature humaine de profiter d'un pouvoir exercé sans contrôle...

Terminons par cette citation de l'ancien président américain Jimmy Carter, cité dans le livre de Melzer, qui lui ne fit pas la chasse aux lanceurs d'alerte comme son sémillant collègue démocrate Barak Obama: "Je n'ai pas à déplorer les révélations de Wikileaks. Elles ont simplement rendu public ce qui était en fait la vérité. La plupart du temps, la révélation de la vérité, même si elle est désagréable, est bénéfique (...) Je pense que, presque invariablement, le secret est conçu pour dissimuler des activités inappropriées et non pour le bien-être du grand public."

*Nils Melzer. L'affaire Assange : Histoire d'une persécution politique. Éditions Critiques. Infos: https://editionscritiques.fr/produit/laffaire-assange/

" Ithaka - A fight to free Julian Assange ", à voir au Festival Millenium

" Ithaka - A fight to free Julian Assange "

Présenté ce 31 mars au Festival du documentaire Millenium qui se déroule du 26 mars au 6 avril, " Ithaka - A fight to free Julian Assange ", de Ben Lawrence, évoque la détention du lanceur d'alerte au travers des yeux de ceux qui l'attendent : son épouse Stella (qui viendra présenter le film le 31 mars), ses deux enfants et son père, John.

Frappant de voir à quel point John Shipton ressemble à un Julian Assange encore plus vieilli par les épreuves. Septuagénaire fringuant, celui qui a disparu de la vie de Julian lorsqu'il avait trois ans, avant de réapparaître une fois ce dernier adulte, se révèle un militant antiguerre, également supérieurement intelligent et souffrant du syndrome d'Asperger.

Dans ce film, on le voit luttant au côté de Stella, l'épouse d'Assange, multipliant les voyages en Europe et aux États-Unis afin de plaider la cause de son fils, depuis sa capture dans l'ambassade d'Équateur de Londres en 2019, jusqu'à son premier procès en extradition en 2021, extradition refusée à l'époque, mais qui le maintenait dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, notamment destinée aux terroristes (" trois suicides et un meurtre en un mois ", entendons-nous soupirer le père d'Assange, au sortir de l'institution pénitentiaire).

" Ithaka - A fight to free Julian Assange "

B.R.

En ces temps de guerre en Ukraine, l'Occident se gargarise et se rassure de vivre tout de même dans des démocraties libérales, où le droit de la personne et les droits humains sont respectés... au contraire de ces pays comme la Russie, où un simple vernis démocratique ne suffit pas à camoufler la dérive autoritaire du régime. C'est oublier un peu vite qu'il convient d'être attentif, et que si, dans nos démocraties, la liberté individuelle est un principe, elle n'est pas forcément un axiome de base. Pour preuve, le cas du lanceur d'alerte et journaliste Julian Assange que le covid, la guerre en Ukraine et la réputation qu'il lui fut faite, ont fait disparaître des écrans radars au seuil de son extradition, 13 ans après avoir osé révéler les crimes de guerre et camouflages de la plus grande puissance mondiale.Un livre, un de plus, sorti en septembre sans avoir le retentissement qu'il méritait, reprend depuis le début la saga de celui qui fut présenté comme un violeur fuyard, un hackeur terroriste ou un pervers paranoïaque. L'intérêt majeur de "L'affaire Assange" est qu'il n'est pas l'oeuvre d'un de ses affidés: Nils Melzer est professeur de Droit international, et fut longtemps rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres traitements cruels. De plus, jusqu'en 2018, il ne voyait Assange que par le prisme par lequel la plupart des médias le décrivaient: le portrait peu amène d'un génie de l'informatique malfaisant qui, par ses agissements, mettait en danger la plus grande démocratie du monde et ses agents. Reprenant tout l'historique de l'affaire Assange, ce livre édifiant, stupéfiant et révoltant, reprend méticuleusement, avec la précision chirurgicale d'un professeur de droit, la manière dont, entre autres, l'accusation de viol en Suède a bafoué tous les principes de l'enquête, de la défense... et même de l'accusation, poussant les deux jeunes femmes consentantes à accuser Assange de viol, alors qu'elles réclamaient seulement qu'il se soumette à un simple dépistage HIV. Dès le départ, à savoir dès la mise en ligne notamment de la vidéo montrant des militaires américains tuant des civils irakiens désarmés en 2010, l'intention est politique: l'accusation de viol par la Suède permettant à cette dernière d'extrader Assange aux États-Unis, contrairement à la Grande-Bretagne où il se trouvait, et pas où il avait fui, lorsque le mandat d'arrêt fut lancé par la justice suédoise contre lui. C'est que la Grande-Bretagne à l'époque ne pouvait l'extrader à son tour aux USA, l'accord liant les deux pays stipulant que cette extradition ne pouvait intervenir pour des raisons politiques. Le harassement judiciaire - et souvent illégal, comme le montre très bien Melzer qui est à moitié suédois et saisit donc parfaitement les attendus rendus par ce pays et dont fut victime Assange - consiste en effet en Suède ou en Grande-Bretagne, en Équateur (pays dans l'ambassade duquel il s'était réfugié à Londres) ou en Australie, son pays natal, en un... viol, en effet, de l'état de droit, et a pour but de décourager de futurs lanceurs d'alerte à l'avenir. En décrivant Assange de la sorte, un État démocratique comme les États-Unis détourne les projecteurs braqués par l'opinion sur ses agissements illicites sur le transmetteur de ces révélations, Assange. Lorsqu'on ne peut s'attaquer au message, autant s'attaquer à la personne, la discréditer, ce qui rend ses affirmations nulles et non avenues. Car nos démocraties, dont nous sommes si fiers, qui donnent des leçons de respect des droits humains à certains (pas à tous) à juste titre, se devraient à leur tour d'être irréprochables sur le sujet et bien d'autres. Or, elles ne le sont pas, et l'opinion ne doit pas et ne veut pas le savoir, préférant le déni à la remise à cause. Il est vrai qu'à la décharge du citoyen lambda, cette analyse attentive du fonctionnement occulte d'une partie de nos régimes exige du temps et de l'énergie. Une fonction que devrait normalement exercer le quatrième pouvoir qui, s'il s'est jeté sur les premières révélations de WikiLeaks (le New York Times, le Guardian, Der Spiegel et Le Monde, notamment), a depuis lâché totalement son fondateur, effrayé sans doute par la réputation de violeur paranoïde qui lui fut faite, mais aussi par lâcheté, autocensure, peur de la coercition du pouvoir... et de la perte de recettes publicitaires. Assange attend son extradition à l'issue d'un procès qui ressembla à ceux, sinistres, des purges soviétiques dans les années 30: justice pourtant rendue dans ce qui est paraît-il la plus vieille démocratie du monde, la Grande-Bretagne, et qui semble en effet perdre la mémoire. Outre les écrans de fumée procéduriers et la façon sournoise dont la justice a été détournée au fil des années dans cette affaire Assange, l'une des constatations les plus frappantes du livre se révèle être, pour qui en douterait encore, le rapport de vassalité des alliés de l'Amérique: celui de la Grande-Bretagne et de sa 'special relationship' était connue, moins celui de pays comme la Suède, l'Australie, l'Allemagne ou même l'Équateur. Un rapport de servilité même, par rapport au "grand frère" américain, déjà observé dans le cas de l'affaire Snowden. Certains crieront au complotisme (également une façon de balayer d'un revers de la main toute assertion), histoire de se complaire dans un petit confort démocratique illusoire, mais l'Histoire, et celle-ci en particulier, démontre que les conspirations d'États (démocratiques) peuvent exister et que c'est au citoyen de rester attentif. Car il est dans la nature humaine de profiter d'un pouvoir exercé sans contrôle... Terminons par cette citation de l'ancien président américain Jimmy Carter, cité dans le livre de Melzer, qui lui ne fit pas la chasse aux lanceurs d'alerte comme son sémillant collègue démocrate Barak Obama: "Je n'ai pas à déplorer les révélations de Wikileaks. Elles ont simplement rendu public ce qui était en fait la vérité. La plupart du temps, la révélation de la vérité, même si elle est désagréable, est bénéfique (...) Je pense que, presque invariablement, le secret est conçu pour dissimuler des activités inappropriées et non pour le bien-être du grand public." *Nils Melzer. L'affaire Assange : Histoire d'une persécution politique. Éditions Critiques. Infos: https://editionscritiques.fr/produit/laffaire-assange/