Le don de sang est un geste civique qui vise à sauver la vie d'un ou d'une inconnue. D'instinct, la solidarité ne devrait jamais être limitée. Tout un chacun devrait être autorisé à donner son sang et se montrer solidaire. L'exigence de protection de la santé publique réfrène toutefois cette intuition.
Le scandale sanitaire "du sang contaminé" qu'a connu la France dans les années 80-90 l'a prouvé à suffisance: l'objectif de disposer d'un grand nombre de dons doit se concilier avec l'exigence de sécurité du sang collecté. Or, cet exercice entraîne nécessairement un traitement différencié entre deux catégories de personnes: celles qui peuvent et celles qui ne peuvent pas donner leur sang. En droit, cette différence de traitement doit se fonder sur des critères objectifs et doit être justifiée par un objectif de santé publique et proportionnée à cet objectif.
Que dit la loi belge?
En Belgique, la loi réglemente depuis 1994 le don de sang. Elle prévoit, dans un objectif de santé publique, des critères d'exclusion - permanente ou temporaire - au don de sang.
Une de ces hypothèses d'exclusion a fait question quant au respect des principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination. Il s'agit de l'exclusion temporaire pour les hommes ayant eu un contact sexuel avec un autre homme ("HSH"). Ces personnes sont aujourd'hui encore exclues du don de sang pendant quatre mois à partir du dernier changement de partenaire.
Jusqu'à une récente modification législative du 7 juillet 2022, la période d'abstinence était fixée à 12 mois alors qu'elle était déjà de quatre mois pour la catégorie plus générale des personnes dont "le comportement sexuel à risque" consiste en un "contact sexuel avec un nouveau partenaire". Cette différence de traitement était justifiée par le législateur par l'existence d'un risque accru pour la qualité du sang s'agissant de la catégorie HSH.
L'absence de discrimination découlant de cette hypothèse d'exclusion a été validée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en 2015 et la Cour constitutionnelle en 2019. En substance, les hautes juridictions garantes des droits fondamentaux ont constaté, au regard de l'état actuel de la science, l'absence de mesure moins contraignante qui permettrait d'atteindre le même niveau de protection de la santé publique que le critère HSH. L'analyse de ces juridictions en 2015 s'agissant de la CJUE et 2019 pour la Cour constitutionnelle est bien réalisée au regard des données scientifiques qui sont celles du moment. Notons également que le contrôle que ces juridictions opèrent quant à la validité des données scientifiques avancées par les autorités publiques de santé est un contrôle marginal.
En matière de don de sang, comme pour d'autres questions de santé publique, la question juridique de l'existence d'une discrimination s'apprécie à l'aune des connaissances scientifiques du moment.
L'apport de la science
En matière de don de sang, comme pour d'autres questions de santé publique, la question juridique de l'existence d'une discrimination s'apprécie à l'aune des connaissances scientifiques du moment. Il est donc fondamental pour garantir que la mesure d'exclusion ne fait pas plus loin que nécessaire qu'une réévaluation périodique ait lieu. S'agissant des hypothèses d'exclusion au don de sang, cette réévaluation doit avoir lieu tous les deux ans. Cette évaluation permet de garantir que les exclusions sont bien fondées sur les derniers résultats de la recherche scientifique.
La loi du 7 juillet 2022 qui modifie la période d'exclusion procède d'une telle réévaluation. Dans son processus de réévaluation, le législateur a consulté le Conseil supérieur de la santé (CSS) et les acteurs de terrain, dont notamment la Croix-Rouge.
Dans son rapport, le CSS propose deux mesures: soit l'ajournement des HSH à quatre mois depuis le dernier rapport sexuel avec un homme, soit le remplacement du critère HSH par des techniques offrant le même niveau de protection.
La première mesure se justifie par la baisse du risque majeur de transmission sexuelle du virus de l'hépatite C en Belgique. La moitié des experts du CSS se sont prononcés en faveur de cette mesure.
La seconde mesure suit la voie tracée dernièrement par la France, le Royaume-Uni et 17 autres pays. L'exclusion du don de sang ne se fait plus sur la base de l'appartenance à un "groupe à risque" mais sur l'examen individuel des pratiques à risque. Ce changement de paradigme demande la mise en place de techniques telles que la formation des médecins qui interrogent les donneurs, une précision accrue des questions posées lors de l'entretient pré-don, le recours systématique à des tests sérologiques et ID-NAT. L'autre moitié des experts du CSS considèrent que la mise en place de ces techniques fournit un niveau de protection de la santé publique équivalent à celui offert par le critère HSH, et sont donc en faveur de la seconde mesure.
Dans le cadre des travaux parlementaires, le coût que représenterait la seconde mesure a été soulevé comme étant un obstacle important. Au terme de son examen, le législateur a retenu la première mesure. La période d'abstinence est réduite à quatre mois pour les HSH à partir du 1er juillet 2023.
Groupe à risque, ou non?
Juridiquement, se pose la question de savoir si le critère actuel est bien raisonnable et justifié ou s'il entraîne une discrimination au regard de l'état actuel de la science.
Si l'on applique la grille d'analyse mise en exergue par la CJUE et, dans sa foulée, la Cour constitutionnelle, à propos de l'ancienne période d'exclusion, il faut vérifier si le critère HSH est substituable par des techniques assurant un niveau élevé de protection de la santé des receveurs du sang. Les cours visent, par exemple, l'évaluation des techniques de mise en quarantaine systématique des dons, des tests sanguins systématiques sur les donneurs et l'amélioration des entretiens et questionnaires médicaux pré-don. Le CSS a mis en évidence l'existence de telles techniques. Selon les juridictions, si ces techniques existent, l'Etat doit vérifier si la mise en place de ces techniques entraînerait une charge déraisonnable, notamment au regard de leurs coûts. La question centrale est donc celle de l'existence de ces techniques et de leur coût.
Dès lors que le CSS a proposé les deux options, en optant pour la première mesure, l'État a implicitement considéré que la mise en place de techniques se substituant au critère HSH entraînerait une charge déraisonnable. Le débat ne semble donc plus être celui de l'existence d'alternatives mais celui des implications de leur mise en place. Cette question a malheureusement été très peu débattue dans le cadre de l'adoption de la récente loi.
Pour conclure, on notera que cette modification législative pourrait être une étape vers une suppression du critère d'exclusion HSH. En effet, dans une proposition de résolution déposée à la Chambre des représentants en 2015 et qui n'a pas été formellement adoptée mais dont les travaux préparatoires de la récente loi font état, les auteurs font déjà valoir qu'il appartiendra au législateur d'aller vers des méthodes alternatives qui permettront de garantir une haute sécurité du sang collecté sans exclusion d'un groupe déterminé.
Le scandale sanitaire "du sang contaminé" qu'a connu la France dans les années 80-90 l'a prouvé à suffisance: l'objectif de disposer d'un grand nombre de dons doit se concilier avec l'exigence de sécurité du sang collecté. Or, cet exercice entraîne nécessairement un traitement différencié entre deux catégories de personnes: celles qui peuvent et celles qui ne peuvent pas donner leur sang. En droit, cette différence de traitement doit se fonder sur des critères objectifs et doit être justifiée par un objectif de santé publique et proportionnée à cet objectif. En Belgique, la loi réglemente depuis 1994 le don de sang. Elle prévoit, dans un objectif de santé publique, des critères d'exclusion - permanente ou temporaire - au don de sang. Une de ces hypothèses d'exclusion a fait question quant au respect des principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination. Il s'agit de l'exclusion temporaire pour les hommes ayant eu un contact sexuel avec un autre homme ("HSH"). Ces personnes sont aujourd'hui encore exclues du don de sang pendant quatre mois à partir du dernier changement de partenaire. Jusqu'à une récente modification législative du 7 juillet 2022, la période d'abstinence était fixée à 12 mois alors qu'elle était déjà de quatre mois pour la catégorie plus générale des personnes dont "le comportement sexuel à risque" consiste en un "contact sexuel avec un nouveau partenaire". Cette différence de traitement était justifiée par le législateur par l'existence d'un risque accru pour la qualité du sang s'agissant de la catégorie HSH. L'absence de discrimination découlant de cette hypothèse d'exclusion a été validée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en 2015 et la Cour constitutionnelle en 2019. En substance, les hautes juridictions garantes des droits fondamentaux ont constaté, au regard de l'état actuel de la science, l'absence de mesure moins contraignante qui permettrait d'atteindre le même niveau de protection de la santé publique que le critère HSH. L'analyse de ces juridictions en 2015 s'agissant de la CJUE et 2019 pour la Cour constitutionnelle est bien réalisée au regard des données scientifiques qui sont celles du moment. Notons également que le contrôle que ces juridictions opèrent quant à la validité des données scientifiques avancées par les autorités publiques de santé est un contrôle marginal. En matière de don de sang, comme pour d'autres questions de santé publique, la question juridique de l'existence d'une discrimination s'apprécie à l'aune des connaissances scientifiques du moment. Il est donc fondamental pour garantir que la mesure d'exclusion ne fait pas plus loin que nécessaire qu'une réévaluation périodique ait lieu. S'agissant des hypothèses d'exclusion au don de sang, cette réévaluation doit avoir lieu tous les deux ans. Cette évaluation permet de garantir que les exclusions sont bien fondées sur les derniers résultats de la recherche scientifique. La loi du 7 juillet 2022 qui modifie la période d'exclusion procède d'une telle réévaluation. Dans son processus de réévaluation, le législateur a consulté le Conseil supérieur de la santé (CSS) et les acteurs de terrain, dont notamment la Croix-Rouge. Dans son rapport, le CSS propose deux mesures: soit l'ajournement des HSH à quatre mois depuis le dernier rapport sexuel avec un homme, soit le remplacement du critère HSH par des techniques offrant le même niveau de protection. La première mesure se justifie par la baisse du risque majeur de transmission sexuelle du virus de l'hépatite C en Belgique. La moitié des experts du CSS se sont prononcés en faveur de cette mesure. La seconde mesure suit la voie tracée dernièrement par la France, le Royaume-Uni et 17 autres pays. L'exclusion du don de sang ne se fait plus sur la base de l'appartenance à un "groupe à risque" mais sur l'examen individuel des pratiques à risque. Ce changement de paradigme demande la mise en place de techniques telles que la formation des médecins qui interrogent les donneurs, une précision accrue des questions posées lors de l'entretient pré-don, le recours systématique à des tests sérologiques et ID-NAT. L'autre moitié des experts du CSS considèrent que la mise en place de ces techniques fournit un niveau de protection de la santé publique équivalent à celui offert par le critère HSH, et sont donc en faveur de la seconde mesure. Dans le cadre des travaux parlementaires, le coût que représenterait la seconde mesure a été soulevé comme étant un obstacle important. Au terme de son examen, le législateur a retenu la première mesure. La période d'abstinence est réduite à quatre mois pour les HSH à partir du 1er juillet 2023. Juridiquement, se pose la question de savoir si le critère actuel est bien raisonnable et justifié ou s'il entraîne une discrimination au regard de l'état actuel de la science. Si l'on applique la grille d'analyse mise en exergue par la CJUE et, dans sa foulée, la Cour constitutionnelle, à propos de l'ancienne période d'exclusion, il faut vérifier si le critère HSH est substituable par des techniques assurant un niveau élevé de protection de la santé des receveurs du sang. Les cours visent, par exemple, l'évaluation des techniques de mise en quarantaine systématique des dons, des tests sanguins systématiques sur les donneurs et l'amélioration des entretiens et questionnaires médicaux pré-don. Le CSS a mis en évidence l'existence de telles techniques. Selon les juridictions, si ces techniques existent, l'Etat doit vérifier si la mise en place de ces techniques entraînerait une charge déraisonnable, notamment au regard de leurs coûts. La question centrale est donc celle de l'existence de ces techniques et de leur coût. Dès lors que le CSS a proposé les deux options, en optant pour la première mesure, l'État a implicitement considéré que la mise en place de techniques se substituant au critère HSH entraînerait une charge déraisonnable. Le débat ne semble donc plus être celui de l'existence d'alternatives mais celui des implications de leur mise en place. Cette question a malheureusement été très peu débattue dans le cadre de l'adoption de la récente loi. Pour conclure, on notera que cette modification législative pourrait être une étape vers une suppression du critère d'exclusion HSH. En effet, dans une proposition de résolution déposée à la Chambre des représentants en 2015 et qui n'a pas été formellement adoptée mais dont les travaux préparatoires de la récente loi font état, les auteurs font déjà valoir qu'il appartiendra au législateur d'aller vers des méthodes alternatives qui permettront de garantir une haute sécurité du sang collecté sans exclusion d'un groupe déterminé.