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Les expériences de mort imminente (EMI), qui surviennent dans le cadre d'un arrêt cardiaque ou d'un traumatisme crânien, et leurs analogues, les EMI-like, qui peuvent se manifester alors que la vie du sujet n'est pas en danger, comme à la suite d'un stress aigu, de la prise de drogues psychédéliques ou encore d'une syncope, se caractérisent par la coexistence de différents phénomènes qu'il n'est pas nécessaire d'avoir tous vécus pour être qualifié d'expérienceur, c'est-à-dire de personne ayant été confrontée à une EMI ou une EMI-like. Quelles sont les possibles composantes de ces épisodes hors du commun? Le Coma Science Group du GIGA-Consciousness de l'ULiège en a répertorié onze: vision d'une lumière, rencontre avec des défunts ou avec un être mystique, hyperlucidité, narration de scènes, sensation d'être dans l'obscurité, expérience de décorporation (Out-of-body experience - OBE), impression d'être mort, souvenir d'événements vécus, sensation d'entrer dans l'expérience de mort imminente, sensation de rentrer dans le monde réel au terme de l'expérience, perception altérée du temps. Les EMI ont donné lieu à des théories explicatives de nature spirituelle, psychologique et neurophysiologique. Celles qui ressortissent aux deux premières catégories sont bâties sur des sables mouvants. À l'instar d'autres équipes de recherche, le Coma Science Group mise sur une théorie neurophysiologique dont l'hypothèse cardinale est que chaque composante d'une EMI résulterait d'un dysfonctionnement d'une ou plusieurs régions cérébrales spécifiques à la suite d'un traumatisme crânien ou d'une hypoxie qui les auraient affectées. Un indice fort plaide pour cette approche: la stimulation accidentelle (Genève) puis expérimentale (Genève, Anvers) de la jonction temporo-pariétale droite du cerveau a été à l'origine d'expériences de décorporation. En outre, d'autres régions ont été décrites comme étant de potentiels "supports" d'autres composantes d'EMI. Ainsi, en 2009, des études réalisées en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) par des neuroscientifiques de l'Université de Californie ont mis en évidence, chez des religieux, que le cortex pariétal postérieur pourrait servir de soubassement à la sensation que l'on peut éprouver d'une union avec le cosmos ou d'un accès à une expérience spirituelle. Lors d'un arrêt cardiaque ou d'un traumatisme crânien, certaines régions cérébrales souffrent plus que d'autres, notamment en réponse au manque d'oxygène. Ce sont elles dont les chercheurs de l'ULiège suspectent l'implication dans les expériences de mort imminente. "La sensibilité des techniques d'imagerie nous permet de rechercher, même des années après un épisode d'EMI, de minuscules cicatrices, une infime activité épileptique, de petits oedèmes ou de légers dépôts de sang témoignant de microlésions dans telle ou telle région cérébrale", explique le Pr Steven Laureys, responsable du GIGA-Consciousness. Ces anomalies sont vouées à être mises en relation avec les caractéristiques des EMI rapportées par des expérienceurs. La recherche des corrélats neuronaux des différentes composantes des EMI est évidemment très ardue, en particulier parce qu'elle ne peut s'opérer en situation, c'est-à-dire en temps réel lors de la survenue d'un arrêt cardiaque ou d'un traumatisme crânien. La méthode susmentionnée d'une quête a posteriori de signes associables à des composantes d'épisodes d'EMI se heurte cependant à de possibles écueils malaisés à contourner: d'une part, la présence de restructurations dictées par la plasticité cérébrale ; d'autre part, la difficulté d'établir un lien de causalité entre un arrêt cardiaque ou un traumatisme crânien déjà anciens et des microlésions cérébrales dont on pourrait soupçonner qu'elles aient sous-tendu des composantes d'EMI. "Il s'agit d'un travail délicat", commente le Pr Laureys. Le recours à des méthodes indirectes de détection des corrélats neuronaux est également à l'ordre du jour. Elles font appel à des EMI-like provoquées expérimentalement chez des volontaires. Ces travaux semblent d'autant plus pertinents que selon un article des neuroscientifiques liégeois publié en 2014 dans Frontiers in Human Neuroscience, il n'existerait aucune différence marquante quant à la nature et à l'intensité des souvenirs rapportés après une EMI classique - que le coma ait été provoqué par un arrêt cardiaque ou un traumatisme crânien - ou après une NDE-like. Dans une expérience du Coma Science Group en attente de publication, de jeunes participants ont été placés en état de syncope via une hyperventilation induite par des manoeuvres de Valsalva. En 1994, à l'occasion de travaux sur les effets physiologiques et comportementaux de la syncope, le Pr Thomas Lempert, de la Clinique universitaire Rudolf Virchow à Berlin, avait montré que des volontaires mis en syncope à la suite de manoeuvres de Valsalva relataient parfois des souvenirs similaires à des souvenirs d'EMI. Lors de l'expérience entreprise à Liège, au cours de laquelle les corrélats neuronaux des composantes d'EMI ont été recherchés par électroencéphalographie à haute densité (256 électrodes), huit participants sur 22 rapportèrent des souvenirs conformes à ceux d'une EMI-like. Pour l'heure, les chercheurs attendent la publication de leurs résultats avant d'en dire plus sur les corrélats neuronaux qu'ils auraient éventuellement découverts. Par ailleurs, les neuroscientifiques du Coma Science Group se sont intéressés à un trait de personnalité à propos duquel ils ont formulé l'hypothèse qu'il puisse favoriser la production de souvenirs d'EMI. En collaboration avec l'Université de Maastricht, ils ont en effet mené une étude centrée sur la notion de "fantasy proneness", une inclination au fantasme et à l'imaginaire, laquelle n'est pas sans lien avec la créativité. Publiée en 2018 dans Frontiers in Psychiatry, l'étude regroupait 228 participants, dont 51 ayant eu une EMI classique et 57 une EMI-like. Les 120 autres volontaires constituaient deux groupes contrôles, l'un composé de personnes ayant connu une situation de danger de mort sans EMI et l'autre, d'individus en bonne santé n'ayant jamais été confrontés ni à un tel danger ni à une EMI. Tous les participants furent soumis à un questionnaire baptisé The creative experiences questionnaire (CEQ), une mesure d'auto-évaluation reposant sur 25 items. "Notre hypothèse était que les individus qui rapportaient des souvenirs d'EMI étaient ceux qui obtenaient de hauts scores au CEQ. Ce qui n'exclut pas que certaines personnes qui ont vécu une expérience de ce type puissent l'avoir oubliée. Cela, cependant, on ne le saura jamais", indique Charlotte Martial, neuropsychologue responsable, au sein du Coma Science Group, des recherches sur les expériences de mort imminente. Il apparut que les sujets ayant relaté une EMI-like présentaient une propension plus grande à capturer des états de conscience interne que les membres des deux groupes contrôles, mais également que les participants du groupe "EMI classiques". Se pourrait-il dès lors que chez ceux qui se sont trouvés à la lisière de la mort, l'expérience ait été d'une telle intensité que sa remémoration ne nécessitait pas une inclination à pousser les portes de l'imaginaire alors que cette tendance était requise pour se souvenir d'EMI-like? La question est posée. Une des caractéristiques qui ressort souvent de la prise de drogues psychédéliques est que les consommateurs de ces substances font fréquemment une expérience appelée "ego dissolution" qui se traduit par un estompage de la frontière entre soi et l'environnement, donc de la perception de soi. "Or", rappelle Charlotte Martial, "nombre d'expérienceurs déclarent avoir été connectés à leur environnement, à l'univers, à la nature, parfois à d'autres êtres qu'ils ont pu rencontrer durant leur EMI. Nous avons voulu mener une étude sur la question." 80 volontaires ayant connu une EMI classique et 20 autres une EMI-Like ont été soumis à un questionnaire relevant de l'échelle Ego Dissolution Inventory (EDI), qui permet de quantifier la dissolution de l'ego. Résultat? Une corrélation positive entre le score à l'EDI et le score recueilli à l'échelle Near-Death Experience Content scale, élaborée à Liège en 2020 pour dépasser certaines limites de l'échelle de Greyson traditionnellement utilisée jusque-là pour déterminer la réalité et l'intensité d'une EMI. Autrement dit, plus l'expérience de mort imminente avait été intense dans le souvenir des expérienceurs, plus la dissolution de l'ego l'avait été également. En outre, une corrélation du même ordre fut mise en évidence entre l'intensité des épisodes rapportés de décorporation et le score à l'EDI. Ces conclusions furent publiées en ligne, en 2021, dans Brain Sciences. Des choses troublantes ont été racontées à propos de certaines EMI. Ainsi, d'aucuns affirment que, une fois réanimés, des patients ont pu reconstituer les conversations et les actes du personnel médical occupé à les maintenir en vie et même décrire ce qui s'était passé dans les pièces voisines. Mais la relation de cas isolés pèse de peu de poids en science ; la crédibilité passe par la méthodologie scientifique contrôlée et la loi du nombre. Car il faut faire la part du hasard statistique, des interprétations peu rigoureuses et de la fumisterie. D'autant que les EMI ont parfois suscité les récits d'"illuminés de bonne foi" ou tracé le sillon d'un opportunisme mercantile. Tel auteur vous dira avoir acquis le don de parler aux fées. Tel autre vous enseignera la manière de prendre connaissance de vos vies antérieures... Manipulation? Autopersuasion? ... En outre, on ne peut exclure que des patients aient eu des flashes de conscience durant lesquels ils ont vu, entendu ou ressenti des choses. D'autant que, menée sur 2.060 patients entre 2008 et 2012 sous la direction de Sam Parnia de l'Université de Southampton, l'étude multicentrique Aware concluait que le cerveau humain conserve une activité consciente durant une période évaluée à trois minutes après un arrêt cardiaque. "Que le cerveau reste actif un certain temps est démontré, mais je trouve assez hasardeux d'avancer un chiffre pour la durée de cet épisode", commente le Pr Laureys. Pour certains, les expériences de mort imminente constituent la preuve de l'existence d'une vie après la mort. D'où le titre du best-seller du psychologue et médecin américain Raymond Moody: La vie après la vie (1975). Quelles que soient les convictions de chacun à propos de l'âme et de l'au-delà, il ne devrait échapper à personne que ce raisonnement est sans fondement. En effet, par définition, aucun de ceux qui ont rapporté un vécu (bien réel) d'EMI n'a connu la mort au moment de cette expérience hors du commun, sinon il n'aurait pu la relater ensuite. "Quand la mort est là, nous ne sommes plus", disait le philosophe grec Épicure. Toutefois, comme le soulignait la neuropsychologue Vanessa Charland-Verville, alors chercheuse au Coma Science Group, "la démarche scientifique doit rester à la fois ouverte et sceptique et continuer à tester des hypothèses". Les tenants de la conception d'une âme extérieure au corps se fondent principalement sur le fait que 80% des personnes ayant connu une expérience de décorporation déclarent avoir assisté, d'une position surélevée, à la scène de leur réanimation. Dans le cadre de l'une ou l'autre recherche, dont l'étude Aware, des chercheurs eurent l'idée de dissimuler, à proximité du plafond de blocs opératoires, des images invisibles à un patient couché sur la table d'opération. Ils partaient du principe que si elles étaient vues, cela accréditerait l'idée que la conscience est dissociable du corps. Pour l'heure, aucun expérienceur ne put faire état de leur présence. Les neuroscientifiques de l'ULiège veulent néanmoins pousser les investigations plus loin en essayant de tester de façon aussi rigoureuse que possible la réalité des éléments troublants rapportés dans le cadre de certaines OBE. "Outre des images posées en hauteur, nous placerons des caméras en salle de réanimation afin de pouvoir confronter l'expérience subjective relatée par les expérienceurs avec les données objectives recueillies sur nos vidéos", indique Charlotte Martial. En cas de concordance, il faudrait alors caractériser le phénomène. "Un défi que nous sommes incapables de relever actuellement", souligne la chercheuse. Une chose est certaine: certaines données de la littérature scientifique seraient invalidées, comme le fait que la pensée soit indissociable du fonctionnement cérébral.