Formé en tant que médecin à Damas, Moustapha Hamdi a poursuivi sa formation chirurgicale en Belgique où il exerce la chirurgie mammaire depuis plus de 30 ans. Fort de sa renommée, il a créé une fondation active en Belgique et au Moyen-Orient, et publie un second ouvrage, après " Twee Borsten " en 2007, en français cette fois où, conjointement à des témoignages de patientes, y sont exposés les derniers développements en termes de reconstruction mammaire, en parallèle avec un volet prévention, primordial.

Un ouvrage où le discours scientifique abordable se mêle aux témoignages poignants recueillis par Véronique Barbier, présentatrice du JT elle-même victime du " crabe " et qui s'est reconstruite, illustrés des 'seines' et respectueuses photographies de patientes portraitisées par Véronique Pipers. Rencontre avec un médecin de renom, avant tout un homme animé par la volonté de guérir et réparer, un chirurgien... mais de sein.

Le journal du Médecin: Quel est le rôle exact de votre fondation?

Pr Moustapha Hamdi : La carrière médicale débute par une période de formation ; ensuite, on se fait une place dans sa spécialisation et parfois un nom, une réputation. Ensuite, on se demande ce que l'on peut faire de plus pour le métier, pour soi-même et pour les autres. C'est la raison pour laquelle j'ai créé cette fondation, dont la première mission est de sensibiliser davantage à la reconstruction mammaire.

L'autre raison, tout à fait personnelle, étant originaire de Syrie, d'un Proche-Orient en grande souffrance, je souhaite tenter d'établir des ponts entre la Belgique, l'Europe et cette région du monde tant au niveau scientifique, médical, mais aussi un peu culturel. D'où l'idée, entre autres, de ce livre. Par ailleurs, nous attribuons des bourses de recherche, accueillons des médecins du monde entier qui reçoivent une formation spécifique. J'effectue également des missions, notamment en Syrie, où la situation est encore pire depuis la fin de la guerre.

Un troisième volet est politico-médical. Bien que la Belgique soit bien placée au niveau des remboursements des frais médicaux à tous niveaux, certains produits ne sont pas remboursés par l'Inami dans le cas des cancers. Voici sept ans, nous avons entamé des discussions avec le ministre de la Santé en vue du remboursement de la reconstruction mammaire, ce qu'on appelle les " Diep " (Deep Inferior Epigastric artery Perforator). Dans le passé, les personnes sans assurance se voyaient demander entre guillemets des suppléments esthétiques. Suite à trois ans de travail intensif, nous avons réussi à obtenir un remboursement doublé de la mutuelle, l'intégralité pour les patientes qui disposent d'une assurance, pour que l'on cesse de demander de l'argent pour la reconstruction mammaire après un cancer du sein. Au travers du collège d'oncologie, nous tentons désormais d'élargir le parapluie de couverture et de remboursement à des cas plus atypiques afin que ces patientes puissent bénéficier d'un remboursement pour la reconstruction mammaire.

Dr Google

" Le médecin a le savoir, mais le patient lui, a l'expérience propre de sa maladie. C'est une expérience qui se joue à deux, mais la communication est souvent verticale (univoque, NdlR) entre le médecin et le patient. Heureusement, des choses changent et la médecine intégrative gagne du terrain ", explique Delphine Rémy, une des témoins du livre...

Depuis une dizaine d'années, existe "Dr Google ", accessible à tout le monde et gratuit. Les patients, et c'est normal, cherchent l'information dite correcte, partielle, même... incorrecte. Ce qui leur donne l'opportunité de prendre part au débat. Les patientes viennent donc me voir en étant déjà informées, en sachant plus ou moins quelles sont les différentes techniques. Nous sommes dorénavant confrontés à des patientes qui ont une idée claire de ce qu'elles souhaitent, même si parfois nous devons les dissuader. Mais je préfère avoir affaire à une patiente informée, plutôt qu'à une autre ignorante, passive, sans réaction.

De nos jours, un médecin ne peut plus imposer une seule information, une seule méthode, un seul traitement, sans en discuter avec les patients.

Le livre évoque la sororité du lien entre des patientes qui ont un cancer du sein et qui sont en contact...

Oui, de nouveau cela peut avoir lieu grâce à l'informatique. Il existe nombre de forums où les patientes échangent leur expérience. C'est d'une valeur indéniable, mais de nouveau, il faut faire attention. Malheureusement, la médecine n'est pas garantie à 100 %. Des complications peuvent parfois survenir, et des médecins se voient injustement attaqués. Mais certains forums sont très bien gérés par des organisations comme la Ligue contre le cancer ou d'autres organisations. Lors des journées mondiales consacrées à la reconstruction mammaire, à l'oncologie ou au cancer du sein, beaucoup de patients sont sur place, se parlent, échangent... Ce qui se révèle un trésor d'informations. Je peux raconter ce que je veux, la patiente est la plus à même de décrire sa propre expérience des douleurs, de la revalidation, de la récupération, des relations avec le partenaire. Le cancer du sein possède cet élément très spécifique au niveau du stress émotionnel, sexuel, familial qu'il engendre, et on ne peut sous-estimer l'impact sur la famille et le couple.

Cancer et libido

Au niveau de la sexualité, peut-on parfois comparer l'ablation du sein à une sorte d'excision mentale?

Fort de mon expérience de trois décennies, j'ai vu défilé tout un panel de cas dans mon bureau. J'ai vu arriver des patientes complètement cassées, certaines tristes, d'autres qui arrivent fâchées, celles qui décident d'affronter la maladie soutenue par leur partenaire. J'ai connu beaucoup de cas de divorces à cause du cancer du sein. Mais j'ai également connu des couples magnifiques qui se soudent d'autant plus. Je me souviens d'une patiente qui a refusé d'avoir un traitement hormonal parce qu'il diminuerait sa libido. Un cas extrême, mais qui a le mérite de faire avancer la discussion sur l'approche à avoir. Les oncologues n'ont malheureusement ni les moyens ni le temps d'expliquer davantage les enjeux. Normalement, dans chaque hôpital, dans chaque groupe de clinique du sein, des infirmières ou des psychologues sont présents en soutien, mais pas en nombre suffisant. La Belgique fait bonne figure parmi les pays européens, mais il y a cependant une carence au niveau émotionnel et psychologique.

Il y a notamment la question de l'allaitement pour les jeunes femmes qui leur est désormais interdit...

Oui, ce n'est pas simple à annoncer. Mais elles veulent d'abord vivre. Raison pour laquelle j'insiste sur le coût esthétique, parce qu'après deux ans, quand le plus lourd est derrière, les patientes se "réveillent", se rendent compte, se penchent sur tous les détails, commencent à parler. Mais ce qui est enlevé est perdu : la glande est réséquée, l'allaitement n'est plus envisageable. Ce sera peut-être possible dans un avenir plus ou moins proche, mais cela ne l'est pas actuellement. Ceci étant, la médecine de l'avenir reste avant tout la prévention.

Une fois l'opération terminée, l'entourage souhaite souvent tourner la page. Pourtant, faire le deuil de son sein, c'est important?

Évidemment, dans les situations où l'on ne peut procéder à une reconstruction immédiate. Ce qui produit un impact psychologique important, ce qu'on appelle aussi le deuil. Paradoxalement, ces femmes-là sont beaucoup plus contentes du résultat de la reconstruction parce qu'elles ont connu la véritable amputation. Une jeune femme qui vient " simplement " pour vider ses seins et les remplir à nouveau ne connaîtra pas cette période difficile. Elle se focalisera beaucoup plus sur les détails esthétiques, par rapport à la première patiente qui n'y pense même pas. Nous le voyons au travers des études de qualité de vie et des questionnaires que nous demandons aux patientes de remplir.

Psychologiquement, votre travail doit également être d'une précision chirurgicale...

Certains médecins ont la capacité de parler avec les patients. Il existe des chirurgiens qui sont de véritables orfèvres au plan technique, mais ne sont pas vraiment aimés par leurs patientes du fait d'un manque de communication.

© Véronique Pipers

L'empathie, la façon d'aborder le sujet, de répondre, de regarder sont très importantes.

Parce que la reconstruction est à la fois physique et psychologique ?

Oui, le plasticien a un rôle à jouer pour lequel il n'est pas forcément formé. Surtout que le mental affiché par la patiente peut varier en fonction de la personnalité et des circonstances.

Est-ce important pour les femmes que vous soyez un homme ?

Je ne sais pas : durant ma formation, ma patronne qui était une femme pensait mieux comprendre ses congénères. C'est une forme de sexisme... Mais j'ai parfois l'impression que la plupart des femmes préfèrent avoir affaire à un homme. Bizarrement, elles croient souvent peut-être qu'il est plus technique qu'une femme : ce qui n'est pas vrai...

Mais elles peuvent aussi peut-être souhaiter avoir le regard d'un homme sur leur nouveau sein, sans préjugé sexuel ?

Non, je ne crois pas. Par contre, certaines femmes s'imaginent par exemple qu'un homme est plus résistant au stress, ce qui les fait choisir un homme gynécologue au cas où il y aurait un problème au moment de l'accouchement. Encore un préjugé qui imprègne une partie de la société. Sauf que les femmes l'entretiennent parfois elles-mêmes...

Le livre qui multiplie les témoignages émouvants, évoque aussi le cas d'une patiente musulmane. Est-ce une population plus compliquée à sensibiliser ?

Pour cette catégorie de population, il y a une certaine culture qui peut, dans certains cas, limiter l'accès à la reconstruction. Pratiquant en Belgique depuis 33 ans, je constate que ce phénomène tend à disparaître : avec la deuxième ou troisième génération, nous n'avons plus affaire à des femmes débarquées de leur village berbère. Une jeune marocaine a désormais la même attitude que n'importe quelle femme belge. En revanche, nous connaissons parfois des difficultés à convaincre les autres membres de la famille à effectuer un test génétique. J'ai été confronté à des situations au Proche-Orient, où l'on souhaitait cacher un cancer génétique, ce qui compromettait la possibilité d'un mariage. Mais c'est bien plus culturel que religieux. L'opération s'effectuera alors dans un autre pays en toute discrétion. Mais cela tend à disparaître, car le monde devient un grand village.

En tant que médecin du Moyen-Orient, vous considérez vous comme un nouvel Avicenne ?

Je ne peux évidemment pas me comparer à lui. Avicenne est l'une des idoles de notre culture, de notre histoire. J'ai vécu en Syrie jusqu'à mes 23 ans et ai reçu une éducation hypernationaliste, qui prétendait que la nation arabe avait une histoire incomparable. Sans doute... Sauf que nous nous trouvons dans un cycle historique le plus bas qui soit actuellement depuis la naissance de la culture arabe. Cela me fait de la peine pour une telle nation, qui a produit des scientifiques, philosophes, médecins depuis l'Inde jusqu'à l'Espagne. On l'a oublié aujourd'hui car les vainqueurs réécrivent l'histoire : en chirurgie, on n'évoque jamais les chirurgiens arabes qui ont établi les principes de chirurgie moderne, ce qui me peine. Ma peine, surtout, de voir ce qui se passe au Proche-Orient au niveau de la barbarie. Je me pose la question : où est passée l'époque d'Avicenne, d'Albucasis, premier chirurgien moderne qui pratiquait la chirurgie plastique à l'époque de l'Espagne arabe ? Mais je reste convaincu qu'une nation qui a pu donner naissances à ces grands noms sera capable, peut-être d'ici un siècle ou deux, de connaître un renouveau, une renaissance et de nouveau de grands scientifiques.

Vous considérez-vous comme un " sein homme " ?

Joli jeu de mots! À mon tour de vous livrer une anecdote amusante: il m'arrive parfois au restaurant de croiser des femmes qui me regardent avec insistance, s'approchent et me disent: "Bonjour Docteur, vous ne me connaissez pas?" "Non, je suis désolé, pour vous reconnaître, il aurait fallu que je voie vos seins" (rires).

Moustapha Hamdi, Véronique Barbier, photographies de Véronique Pipers (2023). Aux seins d'une famille, les histoires des femmes fortes, émouvantes, inspirantes. Borgerhoff & Lamberigts - Hamdi Foundation.

Formé en tant que médecin à Damas, Moustapha Hamdi a poursuivi sa formation chirurgicale en Belgique où il exerce la chirurgie mammaire depuis plus de 30 ans. Fort de sa renommée, il a créé une fondation active en Belgique et au Moyen-Orient, et publie un second ouvrage, après " Twee Borsten " en 2007, en français cette fois où, conjointement à des témoignages de patientes, y sont exposés les derniers développements en termes de reconstruction mammaire, en parallèle avec un volet prévention, primordial.Un ouvrage où le discours scientifique abordable se mêle aux témoignages poignants recueillis par Véronique Barbier, présentatrice du JT elle-même victime du " crabe " et qui s'est reconstruite, illustrés des 'seines' et respectueuses photographies de patientes portraitisées par Véronique Pipers. Rencontre avec un médecin de renom, avant tout un homme animé par la volonté de guérir et réparer, un chirurgien... mais de sein.Le journal du Médecin: Quel est le rôle exact de votre fondation? Pr Moustapha Hamdi : La carrière médicale débute par une période de formation ; ensuite, on se fait une place dans sa spécialisation et parfois un nom, une réputation. Ensuite, on se demande ce que l'on peut faire de plus pour le métier, pour soi-même et pour les autres. C'est la raison pour laquelle j'ai créé cette fondation, dont la première mission est de sensibiliser davantage à la reconstruction mammaire.L'autre raison, tout à fait personnelle, étant originaire de Syrie, d'un Proche-Orient en grande souffrance, je souhaite tenter d'établir des ponts entre la Belgique, l'Europe et cette région du monde tant au niveau scientifique, médical, mais aussi un peu culturel. D'où l'idée, entre autres, de ce livre. Par ailleurs, nous attribuons des bourses de recherche, accueillons des médecins du monde entier qui reçoivent une formation spécifique. J'effectue également des missions, notamment en Syrie, où la situation est encore pire depuis la fin de la guerre. Un troisième volet est politico-médical. Bien que la Belgique soit bien placée au niveau des remboursements des frais médicaux à tous niveaux, certains produits ne sont pas remboursés par l'Inami dans le cas des cancers. Voici sept ans, nous avons entamé des discussions avec le ministre de la Santé en vue du remboursement de la reconstruction mammaire, ce qu'on appelle les " Diep " (Deep Inferior Epigastric artery Perforator). Dans le passé, les personnes sans assurance se voyaient demander entre guillemets des suppléments esthétiques. Suite à trois ans de travail intensif, nous avons réussi à obtenir un remboursement doublé de la mutuelle, l'intégralité pour les patientes qui disposent d'une assurance, pour que l'on cesse de demander de l'argent pour la reconstruction mammaire après un cancer du sein. Au travers du collège d'oncologie, nous tentons désormais d'élargir le parapluie de couverture et de remboursement à des cas plus atypiques afin que ces patientes puissent bénéficier d'un remboursement pour la reconstruction mammaire." Le médecin a le savoir, mais le patient lui, a l'expérience propre de sa maladie. C'est une expérience qui se joue à deux, mais la communication est souvent verticale (univoque, NdlR) entre le médecin et le patient. Heureusement, des choses changent et la médecine intégrative gagne du terrain ", explique Delphine Rémy, une des témoins du livre...Depuis une dizaine d'années, existe "Dr Google ", accessible à tout le monde et gratuit. Les patients, et c'est normal, cherchent l'information dite correcte, partielle, même... incorrecte. Ce qui leur donne l'opportunité de prendre part au débat. Les patientes viennent donc me voir en étant déjà informées, en sachant plus ou moins quelles sont les différentes techniques. Nous sommes dorénavant confrontés à des patientes qui ont une idée claire de ce qu'elles souhaitent, même si parfois nous devons les dissuader. Mais je préfère avoir affaire à une patiente informée, plutôt qu'à une autre ignorante, passive, sans réaction. Le livre évoque la sororité du lien entre des patientes qui ont un cancer du sein et qui sont en contact...Oui, de nouveau cela peut avoir lieu grâce à l'informatique. Il existe nombre de forums où les patientes échangent leur expérience. C'est d'une valeur indéniable, mais de nouveau, il faut faire attention. Malheureusement, la médecine n'est pas garantie à 100 %. Des complications peuvent parfois survenir, et des médecins se voient injustement attaqués. Mais certains forums sont très bien gérés par des organisations comme la Ligue contre le cancer ou d'autres organisations. Lors des journées mondiales consacrées à la reconstruction mammaire, à l'oncologie ou au cancer du sein, beaucoup de patients sont sur place, se parlent, échangent... Ce qui se révèle un trésor d'informations. Je peux raconter ce que je veux, la patiente est la plus à même de décrire sa propre expérience des douleurs, de la revalidation, de la récupération, des relations avec le partenaire. Le cancer du sein possède cet élément très spécifique au niveau du stress émotionnel, sexuel, familial qu'il engendre, et on ne peut sous-estimer l'impact sur la famille et le couple.Au niveau de la sexualité, peut-on parfois comparer l'ablation du sein à une sorte d'excision mentale? Fort de mon expérience de trois décennies, j'ai vu défilé tout un panel de cas dans mon bureau. J'ai vu arriver des patientes complètement cassées, certaines tristes, d'autres qui arrivent fâchées, celles qui décident d'affronter la maladie soutenue par leur partenaire. J'ai connu beaucoup de cas de divorces à cause du cancer du sein. Mais j'ai également connu des couples magnifiques qui se soudent d'autant plus. Je me souviens d'une patiente qui a refusé d'avoir un traitement hormonal parce qu'il diminuerait sa libido. Un cas extrême, mais qui a le mérite de faire avancer la discussion sur l'approche à avoir. Les oncologues n'ont malheureusement ni les moyens ni le temps d'expliquer davantage les enjeux. Normalement, dans chaque hôpital, dans chaque groupe de clinique du sein, des infirmières ou des psychologues sont présents en soutien, mais pas en nombre suffisant. La Belgique fait bonne figure parmi les pays européens, mais il y a cependant une carence au niveau émotionnel et psychologique.Il y a notamment la question de l'allaitement pour les jeunes femmes qui leur est désormais interdit...Oui, ce n'est pas simple à annoncer. Mais elles veulent d'abord vivre. Raison pour laquelle j'insiste sur le coût esthétique, parce qu'après deux ans, quand le plus lourd est derrière, les patientes se "réveillent", se rendent compte, se penchent sur tous les détails, commencent à parler. Mais ce qui est enlevé est perdu : la glande est réséquée, l'allaitement n'est plus envisageable. Ce sera peut-être possible dans un avenir plus ou moins proche, mais cela ne l'est pas actuellement. Ceci étant, la médecine de l'avenir reste avant tout la prévention. Une fois l'opération terminée, l'entourage souhaite souvent tourner la page. Pourtant, faire le deuil de son sein, c'est important? Évidemment, dans les situations où l'on ne peut procéder à une reconstruction immédiate. Ce qui produit un impact psychologique important, ce qu'on appelle aussi le deuil. Paradoxalement, ces femmes-là sont beaucoup plus contentes du résultat de la reconstruction parce qu'elles ont connu la véritable amputation. Une jeune femme qui vient " simplement " pour vider ses seins et les remplir à nouveau ne connaîtra pas cette période difficile. Elle se focalisera beaucoup plus sur les détails esthétiques, par rapport à la première patiente qui n'y pense même pas. Nous le voyons au travers des études de qualité de vie et des questionnaires que nous demandons aux patientes de remplir.Psychologiquement, votre travail doit également être d'une précision chirurgicale... Certains médecins ont la capacité de parler avec les patients. Il existe des chirurgiens qui sont de véritables orfèvres au plan technique, mais ne sont pas vraiment aimés par leurs patientes du fait d'un manque de communication.Parce que la reconstruction est à la fois physique et psychologique ? Oui, le plasticien a un rôle à jouer pour lequel il n'est pas forcément formé. Surtout que le mental affiché par la patiente peut varier en fonction de la personnalité et des circonstances.Est-ce important pour les femmes que vous soyez un homme ? Je ne sais pas : durant ma formation, ma patronne qui était une femme pensait mieux comprendre ses congénères. C'est une forme de sexisme... Mais j'ai parfois l'impression que la plupart des femmes préfèrent avoir affaire à un homme. Bizarrement, elles croient souvent peut-être qu'il est plus technique qu'une femme : ce qui n'est pas vrai...Mais elles peuvent aussi peut-être souhaiter avoir le regard d'un homme sur leur nouveau sein, sans préjugé sexuel ? Non, je ne crois pas. Par contre, certaines femmes s'imaginent par exemple qu'un homme est plus résistant au stress, ce qui les fait choisir un homme gynécologue au cas où il y aurait un problème au moment de l'accouchement. Encore un préjugé qui imprègne une partie de la société. Sauf que les femmes l'entretiennent parfois elles-mêmes...Le livre qui multiplie les témoignages émouvants, évoque aussi le cas d'une patiente musulmane. Est-ce une population plus compliquée à sensibiliser ? Pour cette catégorie de population, il y a une certaine culture qui peut, dans certains cas, limiter l'accès à la reconstruction. Pratiquant en Belgique depuis 33 ans, je constate que ce phénomène tend à disparaître : avec la deuxième ou troisième génération, nous n'avons plus affaire à des femmes débarquées de leur village berbère. Une jeune marocaine a désormais la même attitude que n'importe quelle femme belge. En revanche, nous connaissons parfois des difficultés à convaincre les autres membres de la famille à effectuer un test génétique. J'ai été confronté à des situations au Proche-Orient, où l'on souhaitait cacher un cancer génétique, ce qui compromettait la possibilité d'un mariage. Mais c'est bien plus culturel que religieux. L'opération s'effectuera alors dans un autre pays en toute discrétion. Mais cela tend à disparaître, car le monde devient un grand village. En tant que médecin du Moyen-Orient, vous considérez vous comme un nouvel Avicenne ? Je ne peux évidemment pas me comparer à lui. Avicenne est l'une des idoles de notre culture, de notre histoire. J'ai vécu en Syrie jusqu'à mes 23 ans et ai reçu une éducation hypernationaliste, qui prétendait que la nation arabe avait une histoire incomparable. Sans doute... Sauf que nous nous trouvons dans un cycle historique le plus bas qui soit actuellement depuis la naissance de la culture arabe. Cela me fait de la peine pour une telle nation, qui a produit des scientifiques, philosophes, médecins depuis l'Inde jusqu'à l'Espagne. On l'a oublié aujourd'hui car les vainqueurs réécrivent l'histoire : en chirurgie, on n'évoque jamais les chirurgiens arabes qui ont établi les principes de chirurgie moderne, ce qui me peine. Ma peine, surtout, de voir ce qui se passe au Proche-Orient au niveau de la barbarie. Je me pose la question : où est passée l'époque d'Avicenne, d'Albucasis, premier chirurgien moderne qui pratiquait la chirurgie plastique à l'époque de l'Espagne arabe ? Mais je reste convaincu qu'une nation qui a pu donner naissances à ces grands noms sera capable, peut-être d'ici un siècle ou deux, de connaître un renouveau, une renaissance et de nouveau de grands scientifiques.Vous considérez-vous comme un " sein homme " ? Joli jeu de mots! À mon tour de vous livrer une anecdote amusante: il m'arrive parfois au restaurant de croiser des femmes qui me regardent avec insistance, s'approchent et me disent: "Bonjour Docteur, vous ne me connaissez pas?" "Non, je suis désolé, pour vous reconnaître, il aurait fallu que je voie vos seins" (rires).