Le journal du Médecin: Pour un scientifique comme vous, le covid, c'est un beau cas d'étude?

Michel Goldman: On s'en serait bien passé! J'ai été admis à l'éméritat il y a deux ans, j'ai donné ma dernière leçon sur le covid. Je l'ai présenté effectivement comme un cas d'étude, en insistant sur la nécessité des approches multidisciplinaires.

En tant qu'immunologiste et terminant ma mission de recherche et d'enseignement à l'université, le covid m'a donné une bonne raison de rester actif. J'ai pensé que je pouvais continuer à être utile d'une autre manière, en donnant des conférences, en aidant les journalistes à faire les analyses les plus cohérentes possible, en participant à des forums de réflexion...

C'est une des motivations du livre: dans ce qu'on lit et que l'on entend, il m'a semblé qu'il y avait des aspects qui n'étaient pas suffisamment couverts voire passés sous silence - pour de bonnes et mauvaises raisons - et que j'avais donc un rôle à jouer.

Votre livre se lit comme un appel pour attirer l'attention sur des points qui vous inquiètent comme l'hésitation vaccinale, l'obscurantisme, la littératie en santé et l'accès aux médicaments innovants.

Mes contacts avec les journalistes m'ont convaincu qu'il était possible de présenter les choses de façon simple, en partant des faits établis par la science et en reconnaissant les incertitudes. Encore faut-il que les auditeurs et les lecteurs aient une connaissance de base de la santé et la médecine.

Cette connaissance élémentaire, ce que l'on appelle la littératie en santé, devrait faire partie de l'éducation des enfants dès l'école primaire. J'essaie d'y contribuer en allant dans les écoles expliquer les principales maladies infectieuses, les menaces qu'elles font peser sur nos populations, et la manière d'y répondre, notamment par la vaccination.

La littératie en santé est essentielle pour prendre en charge sa santé tout au long de la vie. Au moment où on parle du rôle du patient dans son traitement, des outils connectés, il faut que les citoyens puissent appréhender les avantages et inconvénients de ces nouvelles approches basées sur des technologies innovantes.

Hésitation vaccinale

Avez-vous été étonné par l'hésitation vaccinale, notamment dans le corps médical?

Non, parce que l'hésitation vaccinale existe depuis l'aube de la vaccination. Il n'est pas étonnant qu'elle soit toujours présente puisqu'une des conséquences de la vaccination est de réduire l'impact de la maladie et de la faire disparaître du champ des préoccupations. Aujourd'hui, le complotisme et la méfiance vis-à-vis de l'élite donnent évidemment du grain à moudre aux acteurs des mouvements anti-vaccin.

Pour ce qui est de la réticence de certains médecins, on peut l'expliquer par le fait que ces vaccins ont été développés en un temps record et qu'on n'a sans doute pas bien expliqué que toutes les précautions prises habituellement pour les vaccins l'ont été aussi pour les vaccins anti-covid et que s'il y avait eu des effets secondaires graves fréquents, on les aurait vus.

Certains effets rares ont en effet été identifiés. Je plaide beaucoup pour qu'on continue à les surveiller. Pour garantir la transparence, il est important de reconnaître les rares événements graves, de les comprendre et d'identifier les personnes à risque. Rassurer sur la sécurité, c'est avant tout être transparent et, expliquer que s'il devait y avoir d'autres effets secondaires exceptionnels encore inconnus, tout est fait pour les identifier.

La transparence, c'est aussi reconnaître que si les vaccins actuels sont extraordinairement efficaces pour prévenir les formes graves du covid, ils sont très peu performants pour prévenir la transmission et donc la circulation du virus.

Le covid a aussi mis en évidence la nécessité de la collaboration pluridisciplinaire pour la médecine de demain. Les jeunes médecins, pharmaciens, kinés... sont-ils formés dans cet objectif?

Je rappelle toujours que c'est parce que des chercheurs chinois ont divulgué très tôt la séquence génétique du SARS-CoV-2, dès janvier 2020, que d'autres équipes ont pu immédiatement travailler pour développer des candidats vaccins. La collaboration a été essentielle. Pas seulement entre virologues, immunologistes et biologistes moléculaires. La multidisciplinarité indispensable est allée bien au-delà. Je pense notamment aux chimistes qui ont permis le développement des nanoparticules lipidiques, un composant essentiel des vaccins à ARNm. Elles protègent l'ARN d'une dégradation rapide et assurent l'effet adjuvant à l'origine de l'efficacité remarquable des vaccins anti-covid.

Pr Goldman: "Il faut revoir les conditions d'exercice de la médecine en particulier pour les généralistes qui sont en première ligne. Je crains fort que nous ne souffrions dans les années à venir d'une pénurie de médecins et d'infirmières.

A côté de ces aspects purement scientifiques, il a fallu la collaboration de biotechs innovantes et l'entrée dans le jeu des "Big pharmas" qui ont permis de produire les vaccins en très grandes quantités et d'assurer leur distribution dans le monde.

Je suis plus critique sur la manière dont la recherche clinique a été conduite à travers l'Europe. C'est en Angleterre et aux États-Unis que les études les plus concluantes ont été conduites. Il y a beaucoup à faire pour rendre les réseaux européens plus performants. Il s'agit notamment de prendre en charge la mission de recherche des hôpitaux universitaires dans leur financement.

Les partenariats public-privé ont un rôle essentiel à jouer, pour promouvoir la recherche et l'innovation, de même que la philanthropie. L'Europe est très en retard à cet égard par rapport aux États-Unis.

Quant à la question de la formation, il y a un autre livre à écrire à ce sujet. Elle doit aller au-delà des connaissances encyclopédiques sur le corps humain, les maladies et leurs traitements. Il faut accepter que la formation médicale de six ans ne permet pas de tout apprendre, et encore moins de tout connaître. Il faut former les futurs médecins à utiliser les nouvelles technologies pour synthétiser les informations recueillies par les différents examens, à tenir compte de la situation individuelle du patient, à définir avec lui l'approche thérapeutique qui lui convient le mieux. C'est très bien expliqué dans le livre Better doctors, better patients, better decisions de G. Gigerenzer et J.A. Muir Gray (MIT Press).

Malgré les failles du système mises en évidence par la crise sanitaire, vous relevez certains motifs d'espoir comme le nouveau réseau de recherche clinique européen.

Oui, je pense que l'état d'esprit des différents acteurs de la santé évolue favorablement et des moyens importants sont développés pour mieux répondre à de nouvelles pandémies. Cependant, il reste beaucoup de choses à faire pour les pays pauvres. Comme l'a dit le directeur général de l'OMS, on en sortira vraiment que quand tout le monde sera protégé. A défaut, on restera toujours sous la menace d'une résurgence de la pandémie. Il y a encore trop d'inégalités dans les couvertures vaccinales à travers le monde. C'est tout le problème de la gestion des brevets et des capacités de production dans les pays riches.

Sommes-nous mieux préparés à une nouvelle épidémie?

En tout cas, il y a une prise de conscience de la nécessité de nouvelles approches. Tout le monde réalise aujourd'hui qu'il faut des réactions plus rapides, plus intenses et plus diversifiées. Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique contribue à la prévention des pandémies.

En Europe, on attend beaucoup de la nouvelle agence HERA (Health Emergency Preparedness and Response Authority), dans laquelle je suis impliqué en tant que représentant de la société civile. Elle a déjà pris des mesures utiles lorsque la variole du singe est apparue. Reste à savoir si les moyens qui lui sont alloués sont suffisants. J'ai quelques doutes dans la situation économique actuelle...

A présent qu'on sort de cette pandémie, ne craignez-vous pas que les choses retombent à plat?

En effet, beaucoup considèrent déjà le covid comme un mauvais souvenir. Ils oublient que le virus continue à circuler et à menacer les personnes les plus vulnérables. Je pense en particulier aux immunodéprimés. Dans ce contexte, il n'est pas évident que l'on saura tirer toutes les leçons du covid. J'espère que mon livre inspirera ceux qui ont en charge les politiques de santé et les incitera à se projeter dans le futur.

Une chose est sûre: il faut revoir les conditions d'exercice de la médecine en particulier pour les généralistes qui sont en première ligne. Je crains fort que nous ne souffrions dans les années à venir d'une pénurie de médecins et d'infirmières. Il nous faut des forces vives pour affronter les nouvelles menaces qui ne manqueront pas de surgir!

La médecine d'après, Leçons du Covid-19, Michel Goldman, Académie royale de Belgique. https://bit.ly/3hOonSS

Le journal du Médecin: Pour un scientifique comme vous, le covid, c'est un beau cas d'étude? Michel Goldman: On s'en serait bien passé! J'ai été admis à l'éméritat il y a deux ans, j'ai donné ma dernière leçon sur le covid. Je l'ai présenté effectivement comme un cas d'étude, en insistant sur la nécessité des approches multidisciplinaires. En tant qu'immunologiste et terminant ma mission de recherche et d'enseignement à l'université, le covid m'a donné une bonne raison de rester actif. J'ai pensé que je pouvais continuer à être utile d'une autre manière, en donnant des conférences, en aidant les journalistes à faire les analyses les plus cohérentes possible, en participant à des forums de réflexion... C'est une des motivations du livre: dans ce qu'on lit et que l'on entend, il m'a semblé qu'il y avait des aspects qui n'étaient pas suffisamment couverts voire passés sous silence - pour de bonnes et mauvaises raisons - et que j'avais donc un rôle à jouer. Votre livre se lit comme un appel pour attirer l'attention sur des points qui vous inquiètent comme l'hésitation vaccinale, l'obscurantisme, la littératie en santé et l'accès aux médicaments innovants. Mes contacts avec les journalistes m'ont convaincu qu'il était possible de présenter les choses de façon simple, en partant des faits établis par la science et en reconnaissant les incertitudes. Encore faut-il que les auditeurs et les lecteurs aient une connaissance de base de la santé et la médecine. Cette connaissance élémentaire, ce que l'on appelle la littératie en santé, devrait faire partie de l'éducation des enfants dès l'école primaire. J'essaie d'y contribuer en allant dans les écoles expliquer les principales maladies infectieuses, les menaces qu'elles font peser sur nos populations, et la manière d'y répondre, notamment par la vaccination. La littératie en santé est essentielle pour prendre en charge sa santé tout au long de la vie. Au moment où on parle du rôle du patient dans son traitement, des outils connectés, il faut que les citoyens puissent appréhender les avantages et inconvénients de ces nouvelles approches basées sur des technologies innovantes. Avez-vous été étonné par l'hésitation vaccinale, notamment dans le corps médical? Non, parce que l'hésitation vaccinale existe depuis l'aube de la vaccination. Il n'est pas étonnant qu'elle soit toujours présente puisqu'une des conséquences de la vaccination est de réduire l'impact de la maladie et de la faire disparaître du champ des préoccupations. Aujourd'hui, le complotisme et la méfiance vis-à-vis de l'élite donnent évidemment du grain à moudre aux acteurs des mouvements anti-vaccin. Pour ce qui est de la réticence de certains médecins, on peut l'expliquer par le fait que ces vaccins ont été développés en un temps record et qu'on n'a sans doute pas bien expliqué que toutes les précautions prises habituellement pour les vaccins l'ont été aussi pour les vaccins anti-covid et que s'il y avait eu des effets secondaires graves fréquents, on les aurait vus. Certains effets rares ont en effet été identifiés. Je plaide beaucoup pour qu'on continue à les surveiller. Pour garantir la transparence, il est important de reconnaître les rares événements graves, de les comprendre et d'identifier les personnes à risque. Rassurer sur la sécurité, c'est avant tout être transparent et, expliquer que s'il devait y avoir d'autres effets secondaires exceptionnels encore inconnus, tout est fait pour les identifier. La transparence, c'est aussi reconnaître que si les vaccins actuels sont extraordinairement efficaces pour prévenir les formes graves du covid, ils sont très peu performants pour prévenir la transmission et donc la circulation du virus. Le covid a aussi mis en évidence la nécessité de la collaboration pluridisciplinaire pour la médecine de demain. Les jeunes médecins, pharmaciens, kinés... sont-ils formés dans cet objectif? Je rappelle toujours que c'est parce que des chercheurs chinois ont divulgué très tôt la séquence génétique du SARS-CoV-2, dès janvier 2020, que d'autres équipes ont pu immédiatement travailler pour développer des candidats vaccins. La collaboration a été essentielle. Pas seulement entre virologues, immunologistes et biologistes moléculaires. La multidisciplinarité indispensable est allée bien au-delà. Je pense notamment aux chimistes qui ont permis le développement des nanoparticules lipidiques, un composant essentiel des vaccins à ARNm. Elles protègent l'ARN d'une dégradation rapide et assurent l'effet adjuvant à l'origine de l'efficacité remarquable des vaccins anti-covid. A côté de ces aspects purement scientifiques, il a fallu la collaboration de biotechs innovantes et l'entrée dans le jeu des "Big pharmas" qui ont permis de produire les vaccins en très grandes quantités et d'assurer leur distribution dans le monde. Je suis plus critique sur la manière dont la recherche clinique a été conduite à travers l'Europe. C'est en Angleterre et aux États-Unis que les études les plus concluantes ont été conduites. Il y a beaucoup à faire pour rendre les réseaux européens plus performants. Il s'agit notamment de prendre en charge la mission de recherche des hôpitaux universitaires dans leur financement. Les partenariats public-privé ont un rôle essentiel à jouer, pour promouvoir la recherche et l'innovation, de même que la philanthropie. L'Europe est très en retard à cet égard par rapport aux États-Unis. Quant à la question de la formation, il y a un autre livre à écrire à ce sujet. Elle doit aller au-delà des connaissances encyclopédiques sur le corps humain, les maladies et leurs traitements. Il faut accepter que la formation médicale de six ans ne permet pas de tout apprendre, et encore moins de tout connaître. Il faut former les futurs médecins à utiliser les nouvelles technologies pour synthétiser les informations recueillies par les différents examens, à tenir compte de la situation individuelle du patient, à définir avec lui l'approche thérapeutique qui lui convient le mieux. C'est très bien expliqué dans le livre Better doctors, better patients, better decisions de G. Gigerenzer et J.A. Muir Gray (MIT Press). Malgré les failles du système mises en évidence par la crise sanitaire, vous relevez certains motifs d'espoir comme le nouveau réseau de recherche clinique européen. Oui, je pense que l'état d'esprit des différents acteurs de la santé évolue favorablement et des moyens importants sont développés pour mieux répondre à de nouvelles pandémies. Cependant, il reste beaucoup de choses à faire pour les pays pauvres. Comme l'a dit le directeur général de l'OMS, on en sortira vraiment que quand tout le monde sera protégé. A défaut, on restera toujours sous la menace d'une résurgence de la pandémie. Il y a encore trop d'inégalités dans les couvertures vaccinales à travers le monde. C'est tout le problème de la gestion des brevets et des capacités de production dans les pays riches. Sommes-nous mieux préparés à une nouvelle épidémie? En tout cas, il y a une prise de conscience de la nécessité de nouvelles approches. Tout le monde réalise aujourd'hui qu'il faut des réactions plus rapides, plus intenses et plus diversifiées. Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique contribue à la prévention des pandémies. En Europe, on attend beaucoup de la nouvelle agence HERA (Health Emergency Preparedness and Response Authority), dans laquelle je suis impliqué en tant que représentant de la société civile. Elle a déjà pris des mesures utiles lorsque la variole du singe est apparue. Reste à savoir si les moyens qui lui sont alloués sont suffisants. J'ai quelques doutes dans la situation économique actuelle... A présent qu'on sort de cette pandémie, ne craignez-vous pas que les choses retombent à plat? En effet, beaucoup considèrent déjà le covid comme un mauvais souvenir. Ils oublient que le virus continue à circuler et à menacer les personnes les plus vulnérables. Je pense en particulier aux immunodéprimés. Dans ce contexte, il n'est pas évident que l'on saura tirer toutes les leçons du covid. J'espère que mon livre inspirera ceux qui ont en charge les politiques de santé et les incitera à se projeter dans le futur. Une chose est sûre: il faut revoir les conditions d'exercice de la médecine en particulier pour les généralistes qui sont en première ligne. Je crains fort que nous ne souffrions dans les années à venir d'une pénurie de médecins et d'infirmières. Il nous faut des forces vives pour affronter les nouvelles menaces qui ne manqueront pas de surgir!