La Cour des comptes est chargée d'établir un rapport, tous les trois ans, sur la base des documents qui lui sont transmis par ces intercommunales. L'analyse financière des intercommunales comprend trois volets: l'analyse sectorielle, l'analyse d'un échantillon d'intercommunales qui sont davantage exposées à un risque financier, ainsi que l'analyse des intercommunales détenant des participations.

Qu'en retenir?

On apprend d'abord le poids du secteur médico-social, essentiellement composé d'intercommunales hospitalières. Il pèse 76% des effectifs comptabilisés dans toutes intercommunales et 72% du total des charges.

Ensuite, très rapidement, on constate que le secteur est parmi les plus exposés aux risques financiers "en raison d'une sensibilité importante à l'endettement et d'un résultat de l'exercice négatif". Ainsi, les intercommunales hospitalières présentent souvent une trésorerie négative, un endettement significatif, une capacité d'autofinancement insuffisante et des pertes en fin d'exercice.

Cette situation a pour conséquence l'intervention récurrente des associés pour combler les pertes et garantir la continuité des activités. Associés qui, pour rappel, sont les communes et les provinces.

Les réviseurs d'entreprise de la Cour des comptes pointent l'une des origines du mal, spécifique au secteur hospitalier: l'impact des rattrapages enregistrés en comptabilité générale sur la base du budget des moyens financiers des hôpitaux (BMF, essentiellement la partie B, le budget de fonctionnement), alors que ce budget n'a pas encore été définitivement arrêté par le SPF Santé publique pour chaque année concernée.

Une explication qui peut paraître complexe, mais qui s'explique par le fait que les hôpitaux sont financés sur base prospective. Ils reçoivent une dotation dont ils connaissent la valeur réelle parfois bien des années plus tard, lenteur administrative aidant. "Un rattrapage est le décalage entre les provisions octroyées et le montant définitif auquel l'hôpital a droit pour une comptable donnée. Ce rattrapage peut soit être positif, soit négatif", explique Michel Mahaux, économiste de la santé et ancien directeur général adjoint de Santhea.

Le système des rattrapages est un problème sérieux pour les gestionnaires car il s'agit de montants non-négligeables sur lesquels pèsent une incertitude. C'est un travail d'équilibriste pour les directions hospitalières.

Un problème connu

Ce problème des rattrapages est un problème connu de longue date, confirme Michel Mahaux. "C'est un fait également relevé par l'étude Maha chaque année. Le montant des rattrapages peut être important et il est complexe à calculer. De plus, il est souvent sujet à interprétation: les hôpitaux ne manquent souvent pas de réagir à une proposition de l'administration. C'est donc terriblement difficile, pour les gestionnaires hospitaliers, d'évaluer le rattrapage. C'est la raison pour laquelle une série de réviseurs de la Cour des comptes émettent des réserves concernant les intercommunales hospitalières. C'est compréhensible, mais les gestionnaires ne sont pas pour autant coupables d'imprévoyance."

Pour l'économiste, il y a aujourd'hui un décalage tel, un retard tel de la part de l'administration, qu'il faudrait peut-être envisager de changer totalement le modèle de financement . "Il en est question, car tant que l'on travaille avec un calcul définitif du budget qui se fait plusieurs années après, l'hôpital est obligé d'évaluer le montant qui lui sera octroyé ou qu'il devra rembourser au final, sans aucune certitude et avec des marges d'erreurs parfois importantes."

Pour rappel, la majorité de la partie A du BMF (infrastructure et matériel) a été régionalisée. L'occasion pour la Région wallonne, sous l'impulsion des ministres wallons de la Santé de l'époque, Maxime Prévot et Alda Gréoli, de penser un système de financement avec moins d'incertitudes financières: le Plan régional de constructions hospitalières. Une piste de réflexion pour une future révision du financement du budget de fonctionnement des hôpitaux, qui lui est resté fédéral.

Pourquoi l'intervention des pouvoirs publics est inévitable

La Cour des comptes met en exergue que le risque financier élevé des intercommunales hospitalières est synonyme d'intervention accrue des pouvoirs publics - provinces et communes - afin de combler les pertes et garantir la continuité des activités.

Pour Michel Mahaux, c'est inévitable et attendu. "Il ne faut pas faire fi de l'histoire. Le secteur des intercommunales hospitalières a été créé il y a plusieurs dizaines d'années dans l'objectif de fournir des services - urgences, maternité ou autre - à la population dans des zones où cela s'avère complexe. L'exemple le plus parlant est celui de la province de Luxembourg où les quelques hôpitaux privés présents n'étaient plus en capacité d'offrir les services que l'on attendait d'eux. La province et les communes ont alors décidé de s'impliquer dans ces hôpitaux en créant l'intercommunale qui deviendra Vivalia. Cela a permis d'offrir des services qui n'existaient pas, ou plus, car ils étaient structurellement déficitaires, le bassin de soins n'étant pas suffisamment grand."

Pour comprendre pourquoi les intercommunales hospitalières présentent un risque financier élevé, il faut comprendre leur histoire, à l'instar de celle de Vivalia en province de Luxembourg, sans qui les déserts médicaux seraient légion., Thierry Strickaert
Pour comprendre pourquoi les intercommunales hospitalières présentent un risque financier élevé, il faut comprendre leur histoire, à l'instar de celle de Vivalia en province de Luxembourg, sans qui les déserts médicaux seraient légion. © Thierry Strickaert

Et l'économiste d'avancer que l'hôpital privé vise l'équilibre financier et pourra se permettre d'investir là où la rentabilité est attendue et se désintéresser d'autres services moins rentables. L'hôpital public, quant à lui, a pour première vocation d'offrir un service à la population, même si ce service s'avère structurellement déficitaire et implique une participation financière des pouvoirs publics. "L'idée n'est donc pas que les pouvoirs locaux compensent une mauvaise gestion, mais plutôt un service à la population qui a un coût et assument un choix qui est, à la base, politique."

Est-ce qu'il faut accepter ce risque financier?

Reste la question à un milliard d'euros: si l'intention est louable, est-ce que les communes et les provinces ont encore les moyens de soutenir les hôpitaux publics? Autrement dit, est-ce qu'il ne serait pas temps de mettre fin à l'intercommunale de soins de santé? "La question est pertinente. Les pouvoirs locaux - communes comme provinces - vous répondront qu'ils n'ont plus les moyens. En principe, l'intervention des pouvoirs publics dans l'organisation des soins est une évidence. Sinon, ce sont les intervenants privés qui prendront les choses en main, avec des intérêts privés. Je pense que le bien public est une responsabilité des pouvoirs publics. Ils doivent donc garder une capacité d'intervention sur la programmation et le maillage sanitaire d'un territoire. Sinon, on va se retrouver face à des déserts sanitaires, ou encore face à des problèmes de tarifs excessifs."

"Est-ce que les communes représentent le bon niveau de pouvoir pour gérer cela? Je vous répondrais que non. Je pense que cela doit être ramené au niveau de la région. La Région wallonne est suffisamment proche des citoyens que pour assurer ces services, notamment au niveau de la programmation des équipements de soins. Ce serait à elle d'assurer le risque financier, et plus les pouvoirs locaux, avec une meilleure vision globale des besoins et de l'offre de soins. Il faut évidemment être en phase avec les regroupements qui s'opèrent dans la mise en place des réseaux et du renouvellement du paysage hospitalier."

Nous publierons dans une prochaine édition une analyse chiffrée des conclusions de la Cour des comptes.

La Cour des comptes est chargée d'établir un rapport, tous les trois ans, sur la base des documents qui lui sont transmis par ces intercommunales. L'analyse financière des intercommunales comprend trois volets: l'analyse sectorielle, l'analyse d'un échantillon d'intercommunales qui sont davantage exposées à un risque financier, ainsi que l'analyse des intercommunales détenant des participations. On apprend d'abord le poids du secteur médico-social, essentiellement composé d'intercommunales hospitalières. Il pèse 76% des effectifs comptabilisés dans toutes intercommunales et 72% du total des charges. Ensuite, très rapidement, on constate que le secteur est parmi les plus exposés aux risques financiers "en raison d'une sensibilité importante à l'endettement et d'un résultat de l'exercice négatif". Ainsi, les intercommunales hospitalières présentent souvent une trésorerie négative, un endettement significatif, une capacité d'autofinancement insuffisante et des pertes en fin d'exercice. Cette situation a pour conséquence l'intervention récurrente des associés pour combler les pertes et garantir la continuité des activités. Associés qui, pour rappel, sont les communes et les provinces. Les réviseurs d'entreprise de la Cour des comptes pointent l'une des origines du mal, spécifique au secteur hospitalier: l'impact des rattrapages enregistrés en comptabilité générale sur la base du budget des moyens financiers des hôpitaux (BMF, essentiellement la partie B, le budget de fonctionnement), alors que ce budget n'a pas encore été définitivement arrêté par le SPF Santé publique pour chaque année concernée. Une explication qui peut paraître complexe, mais qui s'explique par le fait que les hôpitaux sont financés sur base prospective. Ils reçoivent une dotation dont ils connaissent la valeur réelle parfois bien des années plus tard, lenteur administrative aidant. "Un rattrapage est le décalage entre les provisions octroyées et le montant définitif auquel l'hôpital a droit pour une comptable donnée. Ce rattrapage peut soit être positif, soit négatif", explique Michel Mahaux, économiste de la santé et ancien directeur général adjoint de Santhea. Ce problème des rattrapages est un problème connu de longue date, confirme Michel Mahaux. "C'est un fait également relevé par l'étude Maha chaque année. Le montant des rattrapages peut être important et il est complexe à calculer. De plus, il est souvent sujet à interprétation: les hôpitaux ne manquent souvent pas de réagir à une proposition de l'administration. C'est donc terriblement difficile, pour les gestionnaires hospitaliers, d'évaluer le rattrapage. C'est la raison pour laquelle une série de réviseurs de la Cour des comptes émettent des réserves concernant les intercommunales hospitalières. C'est compréhensible, mais les gestionnaires ne sont pas pour autant coupables d'imprévoyance."Pour l'économiste, il y a aujourd'hui un décalage tel, un retard tel de la part de l'administration, qu'il faudrait peut-être envisager de changer totalement le modèle de financement . "Il en est question, car tant que l'on travaille avec un calcul définitif du budget qui se fait plusieurs années après, l'hôpital est obligé d'évaluer le montant qui lui sera octroyé ou qu'il devra rembourser au final, sans aucune certitude et avec des marges d'erreurs parfois importantes."Pour rappel, la majorité de la partie A du BMF (infrastructure et matériel) a été régionalisée. L'occasion pour la Région wallonne, sous l'impulsion des ministres wallons de la Santé de l'époque, Maxime Prévot et Alda Gréoli, de penser un système de financement avec moins d'incertitudes financières: le Plan régional de constructions hospitalières. Une piste de réflexion pour une future révision du financement du budget de fonctionnement des hôpitaux, qui lui est resté fédéral. La Cour des comptes met en exergue que le risque financier élevé des intercommunales hospitalières est synonyme d'intervention accrue des pouvoirs publics - provinces et communes - afin de combler les pertes et garantir la continuité des activités. Pour Michel Mahaux, c'est inévitable et attendu. "Il ne faut pas faire fi de l'histoire. Le secteur des intercommunales hospitalières a été créé il y a plusieurs dizaines d'années dans l'objectif de fournir des services - urgences, maternité ou autre - à la population dans des zones où cela s'avère complexe. L'exemple le plus parlant est celui de la province de Luxembourg où les quelques hôpitaux privés présents n'étaient plus en capacité d'offrir les services que l'on attendait d'eux. La province et les communes ont alors décidé de s'impliquer dans ces hôpitaux en créant l'intercommunale qui deviendra Vivalia. Cela a permis d'offrir des services qui n'existaient pas, ou plus, car ils étaient structurellement déficitaires, le bassin de soins n'étant pas suffisamment grand."Et l'économiste d'avancer que l'hôpital privé vise l'équilibre financier et pourra se permettre d'investir là où la rentabilité est attendue et se désintéresser d'autres services moins rentables. L'hôpital public, quant à lui, a pour première vocation d'offrir un service à la population, même si ce service s'avère structurellement déficitaire et implique une participation financière des pouvoirs publics. "L'idée n'est donc pas que les pouvoirs locaux compensent une mauvaise gestion, mais plutôt un service à la population qui a un coût et assument un choix qui est, à la base, politique."Reste la question à un milliard d'euros: si l'intention est louable, est-ce que les communes et les provinces ont encore les moyens de soutenir les hôpitaux publics? Autrement dit, est-ce qu'il ne serait pas temps de mettre fin à l'intercommunale de soins de santé? "La question est pertinente. Les pouvoirs locaux - communes comme provinces - vous répondront qu'ils n'ont plus les moyens. En principe, l'intervention des pouvoirs publics dans l'organisation des soins est une évidence. Sinon, ce sont les intervenants privés qui prendront les choses en main, avec des intérêts privés. Je pense que le bien public est une responsabilité des pouvoirs publics. Ils doivent donc garder une capacité d'intervention sur la programmation et le maillage sanitaire d'un territoire. Sinon, on va se retrouver face à des déserts sanitaires, ou encore face à des problèmes de tarifs excessifs.""Est-ce que les communes représentent le bon niveau de pouvoir pour gérer cela? Je vous répondrais que non. Je pense que cela doit être ramené au niveau de la région. La Région wallonne est suffisamment proche des citoyens que pour assurer ces services, notamment au niveau de la programmation des équipements de soins. Ce serait à elle d'assurer le risque financier, et plus les pouvoirs locaux, avec une meilleure vision globale des besoins et de l'offre de soins. Il faut évidemment être en phase avec les regroupements qui s'opèrent dans la mise en place des réseaux et du renouvellement du paysage hospitalier."