Les débats se sont centrés sur ce que chaque fédération a réalisé et réalise encore pour combattre la crise. Le thème porteur, c'est bien entendu les maisons de repos et de soins et la surmortalité en leur sein, et plus singulièrement la non-acceptation supposée de patients issus des MRS dans les hôpitaux. Chaque intervenant a eu l'occasion de se positionner dans ce sujet désormais longuement débattu. C'est le Dr Jean-François Moreau, président de l'Association francophone des médecins coordinateurs et conseillers en MRS (Aframeco), qui résume le mieux la situation : " Nous n'avons pas réalisé un tri à la Pearl Harbor, avec un coup de rouge à lèvres sur le front pour savoir qui on garde et qui on ne garde pas. On l'a fait bien plus adéquatement et plus éthiquement, parce que l'on a donné toute une série de recommandations. "

Dr Fabio Taccone : " On entend beaucoup parler d'experts. Pour être expert d'une maladie, il faut la connaître. Cette maladie était inconnue. Il n'y a pas d'expert.

" Nous nous préparions à une vraie catastrophe, pire que ce que nous avons vécu. On se préparait à avoir des gens qui auraient pu justifier un séjour aux soins intensifs, mais avec trop de personnes pour y prétendre et pas assez de lits ", corrobore le Dr Guy Delrée, président de la Fédération des associations de généralistes de la Région wallonne (FAGW).

L'absence de projets thérapeutiques

D'aucuns ont également pointé l'absence de projets thérapeutiques pour de nombreux patients, ce qui a compliqué les choix pris dans l'urgence. Le Dr Xavier Wittebole, ancien président de la Société belge de médecine intensive (Siz Medica) estime effectivement que la planification des soins est à revoir. Mais c'est un constat qui ne date pas d'hier et qui n'est pas nécessairement lié à la pandémie actuelle.

" C'est un problème qui existe chroniquement depuis des années. Certains médecins le font, d'autres ne le font pas. On s'est retrouvé dans la crise avec des patients pour lesquels il n'y avait pas cette prise de décision ou des prises de décision qui ont été faites en urgence. Il y a un problème culturel à ce niveau-là, parce que, en Flandre, la majorité des patients ont des projets de soins, en francophonie, c'est beaucoup moins le cas. "

Quid des plans pandémie antérieurs ?

Ils ont également été maintes fois abordés, ces fameux plans pandémie de 2006 et 2009 notamment. Pour le Dr Fabio Taccone, intensiviste à Érasme et futur président de la Société belge de soins intensifs, il n'y a aucun expert aujourd'hui capable de comprendre l'actuelle pandémie. " Cette maladie était inconnue. Il n'y a pas d'expert. Les gens qui ont préparé quelque chose pour une pathologie qui n'a jamais existé auparavant ne peuvent pas appliquer ces recommandations à la pandémie actuelle. Je n'ai pas dit qu'elles sont mauvaises, mais c'est très facile de dire a posteriori que l'on aurait dû suivre telle recommandation. Il y a d'autres pays beaucoup plus grands que la Belgique qui ont des guidances en cas de problèmes, de nombreux malades à traiter et qui n'ont pas été plus performants que la Belgique. "

Le Dr Moreau est tout aussi excédé par cette focalisation sur les plans antérieurs. " C'est super sur papier, mais si vous n'avez pas d'alcool-gel, pas de masques, pas de gants, pas de bulles, que faites-vous ? Votre plan ne sert à rien. C'est réglé, à mes yeux en tout cas, c'est ce que j'en pense. "

Solidarité et collaboration renforcées

Malgré la situation actuelle, on ne peut pas dire que tout ait été négatif pendant la crise. " La crise a permis la rencontre de différents secteurs, l'interdisciplinarité et la solidarité entre soignants ", exprime Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones (FMMCSF). " Franchement, cela a été une belle complémentarité entre des professionnels qui ont des connaissances de la gestion de l'urgence et d'autres professionnels qui ont la connaissance des localités sur le terrain. "

Un point de vue partagé par les gériatres. " Fort heureusement, les relations avec les médecins traitants ont été plus fortes, surtout avec les coordinateurs de maisons de repos ", relate le Dr Nicolas Berg, président de la Société belge de gérontologie et de gériatrie (SBGG).

Autre point positif relevé par les médecins : le rôle assumé par les instances politiques, particulièrement régionales. " Il y a eu une réelle réactivité des politiques à tous les niveaux. Vos administrations ont été remarquables. Il faut souligner leur présence permanente, jour et nuit, samedi et dimanche compris. Je pense que certains vont craquer et il faut les féliciter pour tout ce qu'ils ont fait ", insiste le président de l'Aframeco. " Personne n'était préparé et il y a donc eu des imperfections, ce qui est normal dans une situation comme celle-là. "

Le Dr Paul De Munck, sous sa casquette de président de la Plateforme de première ligne wallonne (PPLW), abonde dans le même sens. " La collaboration avec les pouvoirs publics, localement, s'est renforcée. "

Recommandations

Les médecins ont évidemment apporté leur lot de recommandations pendant cette commission. Sans être exhaustif, voici quelques morceaux choisis.

1. Repenser la prise en charge des personnes âgées

Le modèle des MRS actuel descend droit du secteur hospitalier. La tendance était déjà au changement avec le modèle " Tubbe " promu par la ministre Morreale, avec une prise en compte non plus uniquement des soins, mais aussi de la qualité de vie. " Il faut surtout réfléchir à une autre façon d'accueillir les gens qui ne sont pas déficients, mais qui, à cause de la solitude, viennent dans des institutions où ils risquent d'attraper des maladies liées aux soins, alors que leur place aurait pu être ailleurs ", relate Jean-François Moreau.

Comment financer tout cela ? " Les logements sociaux pourraient prévoir une certaine proportion d'accueil de personnes âgées, pour avoir du multigénérationnel, des potagers, des bibliothèques. On peut imaginer plein de choses. Le Danemark, qui a fait cela il y a à peu près dix ans, a diminué par trois ses places de maison de repos et de soins, en reconvertissant vers d'autres structures, des cadres de vie tout à fait différents. "

2. Repenser les urgences

L'un des problèmes également soulevé par le Dr Moreau : les urgences ne tiennent pas compte des critères gériatriques et empêchent certains patients d'être hospitalisés. " Les décisions qui sont prises le sont souvent à mauvais escient, puisque l'on n'est pas face à des gens qui sont des gériatres, qui gèrent les choses urgentes pour les personnes âgées, mais face à des urgentistes qui gèrent des choses a priori urgentes plutôt pour des jeunes. "

Le généraliste recommande de repenser l'accueil des urgences en proposant un accueil pour les personnes de plus de 75 ans ou les personnes institutionnalisées, " parce qu'il y a des gens en gériatrie qui ont 50 ans, et d'autres de 90 ans qui ne le sont pas. Ce serait une autre formule pour accueillir les gens à l'hôpital directement dans la bonne filière. "

3. Valoriser le métier de médecin coordinateur

" Nous sommes en pleine discussion avec l'administration pour un nouveau statut du médecin coordinateur ", annonce le président de l'Aframeco. " Chaque lit MR et MRS devrait avoir un médecin coordinateur en Wallonie. La masse financière qui a été allouée correspond à nos attentes. La répartition qui est proposée par le cabinet nous convient très bien. Nous revendiquons d'avoir un traitement à l'heure brut, qui soit équivalent à ce que nous gagnons quand on est en consultation. Je pense que c'est le seul moyen de trouver des médecins coordinateurs jeunes. "

4. Réorganiser la première ligne

Cela passe d'abord par l'ancrage territorial, selon les médecins généralistes présents. Le Dr Guy Delrée prévient : Il ne faut pas faire l'erreur de partir de la deuxième ligne. " C'est clair qu'il faut une interaction entre la première et la deuxième ligne, mais il y a des endroits où deux réseaux hospitaliers se chevauchent. On ne va pas faire deux réseaux de première ligne qui se chevauchent à ce moment-là, cela n'a pas de sens. " Paul De Munck est d'accord avec Guy Delrée : " Si l'on fait un calque simplement sur le réseau hospitalier, je m'excuse, c'est mal parti et cela va créer des problèmes énormes. "

" Il faut aussi que l'on ait une taille critique, bien meilleure que maintenant. Les cercles ont une taille trop hétérogène et toute une série de cercles sont beaucoup trop petits. Ils ne sont pas efficaces. Une taille critique, c'est une taille qui permet, avec les subsides existants versés par l'Aviq, que l'on engage du personnel et que l'on travaille de manière plus professionnelle. Donc, il s'agit de mieux utiliser les moyens existants par des fusions. " Ce qui sera l'une des priorités de la FAGW une fois la pandémie passée. Le Dr De Munck parle quant à lui de zone de 50 à 100.000 habitants. " Il y a des exemples dans la littérature internationale, on les connaît. Il y a des exemples au nord du pays, toutes les zones de première ligne sont installées. Il n'y a pas de honte à aller voir ce que nos amis flamands ont fait, même si un contexte n'est pas l'autre. "

Pour le généraliste de Marche-en-Famenne, l'essentiel de la gestion de la santé doit se faire au niveau de l'Aviq et au niveau des provinces, deux échelons qu'il faut renforcer. " Les équipes de l'Aviq sont sur les genoux. Elles ont vraiment fait ce qu'elles pouvaient, mais elles étaient et elles sont sous-dimensionnées. "

Un avis que ne partage pas Paul De Munck. " Je crois fermement au concept de santé communautaire. Ce concept est évidemment au niveau communal, au niveau d'un quartier. C'est quelque chose que l'on pourrait développer. Je ne comprends pas comment il n'y a pas, au niveau de chaque commune de Belgique, un débat avec les médecins, avec les autres prestataires de soins sur le terrain, pour parler santé dans toutes les politiques. C'est cela qu'il faut installer si l'on veut aller plus loin. "

" À moyen et long terme, nous pensons, au niveau de la PPLW, que les professionnels de première ligne ont besoin d'une meilleure coordination entre eux dans une logique territoriale, d'une clarification de leurs rôles ainsi que d'être écoutés, entendus et soutenus. On espère que les Assises de la 1ère ligne pourront se réaliser en 2021 ", conclut le président de la PPLW.

D'aucuns estiment que le frottis n'est pas l'affaire des médecins généralistes mais des infirmiers, voire d'autres professionnels., BELGAIMAGE
D'aucuns estiment que le frottis n'est pas l'affaire des médecins généralistes mais des infirmiers, voire d'autres professionnels. © BELGAIMAGE

La problématique du dépistage

Le dépistage est " une mission difficile ", concède Guy Delrée. " Ce n'était cependant pas le rôle des médecins généralistes. Il ne faut pas être généraliste pour faire un frottis. Nous avons d'autres choses à faire et je pense qu'il faut confier cet acte à une infirmière, éventuellement même à des techniciens. On nous a répondu qu'il n'y en avait pas. On a clairement vu qu'il n'y avait personne pour organiser cela. Par défaut, par civisme, on a dit : 'Puisque l'on ne sait pas le faire, puisque cela pose problème, on va le faire.' On a espéré clairement être relayés cet été, mais cela ne s'est pas passé comme ça. "" Il se fait que j'ai accepté d'endosser une mission de coordination pour la Wallonie pour le testing ", enchaîne le généraliste. " Le testing est une chaîne composée de deux maillons : le prélèvement, qui incombe à la Région et que je vais essayer d'améliorer, et la phase analytique qui relève davantage du Fédéral. "

Concernant le prélèvement, " la quantité de tests nous oblige à nous professionnaliser. L'argent existe, du côté de l'Inami, pour financer du personnel. "

Sur le plan analytique, il y a trois problèmes : le manque de personnel, le manque de vision claire concernant les réactifs et les problèmes de machine. " Quand une machine tombe en panne, c'est tellement à flux tendu que c'est la catastrophe ", relate le Dr Delrée. " Des machines sont en commande, mais à mon avis, elles ne vont pas arriver en suffisance. "

Les débats se sont centrés sur ce que chaque fédération a réalisé et réalise encore pour combattre la crise. Le thème porteur, c'est bien entendu les maisons de repos et de soins et la surmortalité en leur sein, et plus singulièrement la non-acceptation supposée de patients issus des MRS dans les hôpitaux. Chaque intervenant a eu l'occasion de se positionner dans ce sujet désormais longuement débattu. C'est le Dr Jean-François Moreau, président de l'Association francophone des médecins coordinateurs et conseillers en MRS (Aframeco), qui résume le mieux la situation : " Nous n'avons pas réalisé un tri à la Pearl Harbor, avec un coup de rouge à lèvres sur le front pour savoir qui on garde et qui on ne garde pas. On l'a fait bien plus adéquatement et plus éthiquement, parce que l'on a donné toute une série de recommandations. " " Nous nous préparions à une vraie catastrophe, pire que ce que nous avons vécu. On se préparait à avoir des gens qui auraient pu justifier un séjour aux soins intensifs, mais avec trop de personnes pour y prétendre et pas assez de lits ", corrobore le Dr Guy Delrée, président de la Fédération des associations de généralistes de la Région wallonne (FAGW). D'aucuns ont également pointé l'absence de projets thérapeutiques pour de nombreux patients, ce qui a compliqué les choix pris dans l'urgence. Le Dr Xavier Wittebole, ancien président de la Société belge de médecine intensive (Siz Medica) estime effectivement que la planification des soins est à revoir. Mais c'est un constat qui ne date pas d'hier et qui n'est pas nécessairement lié à la pandémie actuelle. " C'est un problème qui existe chroniquement depuis des années. Certains médecins le font, d'autres ne le font pas. On s'est retrouvé dans la crise avec des patients pour lesquels il n'y avait pas cette prise de décision ou des prises de décision qui ont été faites en urgence. Il y a un problème culturel à ce niveau-là, parce que, en Flandre, la majorité des patients ont des projets de soins, en francophonie, c'est beaucoup moins le cas. "Ils ont également été maintes fois abordés, ces fameux plans pandémie de 2006 et 2009 notamment. Pour le Dr Fabio Taccone, intensiviste à Érasme et futur président de la Société belge de soins intensifs, il n'y a aucun expert aujourd'hui capable de comprendre l'actuelle pandémie. " Cette maladie était inconnue. Il n'y a pas d'expert. Les gens qui ont préparé quelque chose pour une pathologie qui n'a jamais existé auparavant ne peuvent pas appliquer ces recommandations à la pandémie actuelle. Je n'ai pas dit qu'elles sont mauvaises, mais c'est très facile de dire a posteriori que l'on aurait dû suivre telle recommandation. Il y a d'autres pays beaucoup plus grands que la Belgique qui ont des guidances en cas de problèmes, de nombreux malades à traiter et qui n'ont pas été plus performants que la Belgique. "Le Dr Moreau est tout aussi excédé par cette focalisation sur les plans antérieurs. " C'est super sur papier, mais si vous n'avez pas d'alcool-gel, pas de masques, pas de gants, pas de bulles, que faites-vous ? Votre plan ne sert à rien. C'est réglé, à mes yeux en tout cas, c'est ce que j'en pense. "Malgré la situation actuelle, on ne peut pas dire que tout ait été négatif pendant la crise. " La crise a permis la rencontre de différents secteurs, l'interdisciplinarité et la solidarité entre soignants ", exprime Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones (FMMCSF). " Franchement, cela a été une belle complémentarité entre des professionnels qui ont des connaissances de la gestion de l'urgence et d'autres professionnels qui ont la connaissance des localités sur le terrain. "Un point de vue partagé par les gériatres. " Fort heureusement, les relations avec les médecins traitants ont été plus fortes, surtout avec les coordinateurs de maisons de repos ", relate le Dr Nicolas Berg, président de la Société belge de gérontologie et de gériatrie (SBGG). Autre point positif relevé par les médecins : le rôle assumé par les instances politiques, particulièrement régionales. " Il y a eu une réelle réactivité des politiques à tous les niveaux. Vos administrations ont été remarquables. Il faut souligner leur présence permanente, jour et nuit, samedi et dimanche compris. Je pense que certains vont craquer et il faut les féliciter pour tout ce qu'ils ont fait ", insiste le président de l'Aframeco. " Personne n'était préparé et il y a donc eu des imperfections, ce qui est normal dans une situation comme celle-là. "Le Dr Paul De Munck, sous sa casquette de président de la Plateforme de première ligne wallonne (PPLW), abonde dans le même sens. " La collaboration avec les pouvoirs publics, localement, s'est renforcée. "