Chacun de nous passe sans cesse du confort de son expertise aux doutes du profane contraint de recourir à des spécialistes. Tout le monde devrait assumer sa part de fonctions généralistes: les spécialistes expliquer leur démarche aux profanes, patients ou clients et dans l'autre sens, poser des questions de naïfs. A une autre échelle, de tels échanges se mettent en scène dans les médias. Enfin, des rôles généralistes s'exercent à plein temps: managers, dirigeants.... Choisir les bons représente un véritable challenge, car au-delà des diplômes, seules des procédures électives au sein d'institutions ad hoc permettent de reconnaître leurs qualités, reconnaissance toujours fragile et susceptible de remises en cause selon les résultats. Car les fonctions généralistes relèvent plus des caractères et des talents que de savoirs spécifiques. En démocratie, le droit protège l'accès de tous aux fonctions généralistes ; en dictature, un seul les concentre et fait appliquer ses décisions. Encore faut-il qu'en démocratie beaucoup jouent le jeu, ou qu'en dictature, se soumettent.

Démocratie et dictature vivent sous pression des egos, mais différemment, la première avec des bâtons de compétences, la seconde avec des matraques. Cela nous ramène toujours au cadre intangible de la condition humaine: des porteurs de cerveaux capables d'interagir entre eux pour constituer des sociétés vivables. A tous les niveaux, chacun se cherche des positions sûres avec pour seuls appuis des bâtons de savoirs et de pouvoirs. Bâtons concrétisés dans les matériaux du monde réel et accrochés les uns aux autres par des liens virtuels, théories, croyances, lois..., conçus dans le réel neuronal enfoui au secret des têtes. Que les démocrates, les extrémistes, les complotistes, les dictateurs ou les anarchistes le veuillent ou non, c'est toujours dans ce cadre qu'ils s'expriment, tous soumis à des contraintes physiques, biologiques et neuropsychologiques indifférentes aux envolées de la pensée humaine. Comme les virus.

Depuis le Covid-19, les médias s'étonnent des neuf ministres de la santé comme s'il s'agissait d'une extravagance politique récente. Faux. Un rapport du bureau du plan datant de janvier 1990, toujours accessible sur la toile, répertoriait déjà au seul niveau national, neuf ministres et quatre secrétaires d'états responsables à un titre ou l'autre de la santé. Sur l'ensemble des entités fédérales et fédérées, le rapport comptait 18 ministres ou secrétaires d'état impliqués dans la santé, souvent sans lien hiérarchique avec les administrations ad hoc. L'énumération des départements, parastataux, commissions et autres structures donnait le vertige. Enfin, les seuls titres des textes légaux avec leur date de publication remplissaient 199 pages au 15/01/1988: 71 lois, 7 décrets, 529 arrêtés royaux, 205 arrêtés ministériels...

Inutile de dire que dans un tel imbroglio de pouvoirs formels, l'auteur posait, sans être le premier, la question de la cohérence des responsabilités. Exemple paradigmatique d'une oeuvre généraliste, la transformation de la Belgique en état fédéral, commencée en 1970, venait de passer la troisième réforme institutionnelle (1989), la sixième et provisoirement dernière, datant de 2014. D'aucuns attribuent l'inflation des postes, des structures et des textes au fédéralisme. De ma modeste position de citoyen observant d'en bas les rouages du système des soins de santé, je me permets de mettre cette explication en doute. La lasagne institutionnelle n'est que le symptôme d'un mal plus profond. J'en veux pour preuve l'évolution des rôles sur le terrain des pratiques médicales.

De la théorie à la pratique

L'explosion des connaissances et des techniques s'est accompagnée d'une multiplication de cadres intermédiaires chargés de fonctions généralistes dictées d'en haut, parés de missions aussi sublimes dans les textes qu'inopérantes sur le terrain, comme la qualité, la protection des patients... Et suivant la loi bien connue de Parkinson, ces cadres ont demandé d'étoffer leurs équipes non pas sur base des services à rendre aux patients mais de procédures à respecter. Et ces procédures sont devenues des corpus de savoirs enseignés comme des vérités détenues par des spécialistes de fonctions généralistes autogénérées par le "système". Cette pléthore de réglementations érigées en savoirs a véritablement coupé les initiatives des spécialistes pour assurer eux-mêmes les aspects relationnels élémentaires de leur métier. Les détenteurs de fonctions généralistes authentiques, les managers hospitaliers, sont devenus les exécutants de milliers de pages de textes légaux.

Un rapport du bureau du plan datant de janvier 1990 répertoriait déjà au seul niveau national, neuf ministres et quatre secrétaires d'états responsables à un titre ou l'autre de la santé.

Dans le jdM n° 2654 du 10 décembre 2020, Jacques de Toeuf écrit: "L'hôpital a besoin d'acteurs professionnels formés et motivés qui disposent d'une liberté d'organisation de leur travail." Formés à leurs spécialités? Mais ils le sont déjà! Formés aussi et surtout, à la part de fonction généraliste abandonnée par eux diront les uns, qui leur a été volée, diront les autres. A ces acteurs de se remotiver pour reconquérir leur part de fonctions généralistes. Quant aux cadres intermédiaires, loin d'être une attaque directe, ces lignes leur proposent d'accorder plus d'importance à leur coopération avec les praticiens de terrain qu'au suivi aveugle de procédures paralysantes.

Depuis le Covid-19, les médias s'étonnent des neuf ministres de la santé comme s'il s'agissait d'une extravagance politique récente. Faux. Un rapport du bureau du plan datant de janvier 1990, toujours accessible sur la toile, répertoriait déjà au seul niveau national, neuf ministres et quatre secrétaires d'états responsables à un titre ou l'autre de la santé. Sur l'ensemble des entités fédérales et fédérées, le rapport comptait 18 ministres ou secrétaires d'état impliqués dans la santé, souvent sans lien hiérarchique avec les administrations ad hoc. L'énumération des départements, parastataux, commissions et autres structures donnait le vertige. Enfin, les seuls titres des textes légaux avec leur date de publication remplissaient 199 pages au 15/01/1988: 71 lois, 7 décrets, 529 arrêtés royaux, 205 arrêtés ministériels... Inutile de dire que dans un tel imbroglio de pouvoirs formels, l'auteur posait, sans être le premier, la question de la cohérence des responsabilités. Exemple paradigmatique d'une oeuvre généraliste, la transformation de la Belgique en état fédéral, commencée en 1970, venait de passer la troisième réforme institutionnelle (1989), la sixième et provisoirement dernière, datant de 2014. D'aucuns attribuent l'inflation des postes, des structures et des textes au fédéralisme. De ma modeste position de citoyen observant d'en bas les rouages du système des soins de santé, je me permets de mettre cette explication en doute. La lasagne institutionnelle n'est que le symptôme d'un mal plus profond. J'en veux pour preuve l'évolution des rôles sur le terrain des pratiques médicales. L'explosion des connaissances et des techniques s'est accompagnée d'une multiplication de cadres intermédiaires chargés de fonctions généralistes dictées d'en haut, parés de missions aussi sublimes dans les textes qu'inopérantes sur le terrain, comme la qualité, la protection des patients... Et suivant la loi bien connue de Parkinson, ces cadres ont demandé d'étoffer leurs équipes non pas sur base des services à rendre aux patients mais de procédures à respecter. Et ces procédures sont devenues des corpus de savoirs enseignés comme des vérités détenues par des spécialistes de fonctions généralistes autogénérées par le "système". Cette pléthore de réglementations érigées en savoirs a véritablement coupé les initiatives des spécialistes pour assurer eux-mêmes les aspects relationnels élémentaires de leur métier. Les détenteurs de fonctions généralistes authentiques, les managers hospitaliers, sont devenus les exécutants de milliers de pages de textes légaux. Dans le jdM n° 2654 du 10 décembre 2020, Jacques de Toeuf écrit: "L'hôpital a besoin d'acteurs professionnels formés et motivés qui disposent d'une liberté d'organisation de leur travail." Formés à leurs spécialités? Mais ils le sont déjà! Formés aussi et surtout, à la part de fonction généraliste abandonnée par eux diront les uns, qui leur a été volée, diront les autres. A ces acteurs de se remotiver pour reconquérir leur part de fonctions généralistes. Quant aux cadres intermédiaires, loin d'être une attaque directe, ces lignes leur proposent d'accorder plus d'importance à leur coopération avec les praticiens de terrain qu'au suivi aveugle de procédures paralysantes.