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On estime qu'une femme sur cinq vivra un viol au cours de sa vie [1]. Près de la moitié en sont victimes avant l'âge de 19 ans. Si le mouvement #metoo a quelque peu libéré la parole, évoquer les violences sexuelles subies reste (très) difficile pour les survivantes. Si la plupart ne pensent pas forcément à en parler d'emblée à leur médecin traitant (généraliste ou gynécologue) - notamment parce qu'elles pensent, à tort, que cela ne relève pas de leurs compétences -, certaines le font. À cet égard, il est judicieux de mettre des affiches ou de proposer des dépliants concernant les violences sexuelles dans la salle d'attente et/ou les toilettes afin d'informer et inviter vos patientes à vous en parler. Il n'est pas toujours évident d'accueillir le dévoilement de violences sexuelles. Comment être adéquat.e? "En appliquant à la lettre ce que chaque médecin est censé garantir à sa patientèle: sécurité et confidentialité", rappelle la Dr Charlotte Rousseau, gynécologue au Centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) du CHU Saint-Pierre, à Bruxelles. "Cela peut sembler basique, mais il convient de bien fermer la porte du cabinet de consultation - qui, idéalement, doit être correctement insonorisé - et de se mettre dans une attitude empathique et d'écoute active non jugeante."Sans surprise, les survivantes [2] d'un crime sexuel éprouvent un fort sentiment de culpabilité et de honte. Il est très compliqué pour elles de dire que quelqu'un les a violées. Or, verbaliser le plus tôt possible de tels faits peut prévenir les comportements d'évitement, le syndrome de stress posttraumatique et sa kyrielle de symptômes à court, moyen et long terme. "Je sais que ce n'est pas facile dans une pratique quotidienne de médecine générale, mais pour favoriser le dévoilement, il faut prendre le temps d'accueillir cette parole difficile", poursuit la Dr Rousseau. "C'est-à-dire respecter les silences de la personne, la laisser déposer ce qu'elle a besoin de dire à ce moment-là, sans la forcer à rentrer dans les détails. Si vous soupçonnez des violences sexuelles, notamment au sein du couple ou de la famille, vous pouvez orienter peu à peu l'anamnèse, en partant de questions ouvertes et en progressant vers des questions de plus en plus précises, comme expliqué dans la fiche d'aide au dévoilement coéditée par la SSMG.""Cela étant dit, un médecin généraliste ne peut assurer seul ce type de prise en charge qui, idéalement, doit s'effectuer dans un réseau ou un centre multidisciplinaire et spécialisé", poursuit la gynécologue. "La première chose à faire après le dévoilement est donc de proposer à la personne de se rendre dans un CPVS, a fortiori dans un contexte aigu, quand les faits remontent à moins de sept jours. Ces structures sont les seules à proposer une prise en charge gratuite et globale, c'est-à-dire médicale, psychosociale et judiciaire, par des intervenant.es spécifiquement formé. es à la problématique des violences sexuelles."Les CPVS se sont multipliés ces dernières années - début 2024, la Belgique en comptait dix -, mais ils se situent dans les grandes villes. Il peut être compliqué pour certaines victimes de s'y rendre. L'hôpital, et notamment les urgences, est une alternative pour les situations aigües, mais dans la pratique, si la survivante n'y va pas rapidement après les faits, il y a peu de chances qu'elle s'y rende après avoir parlé à son médecin traitant. C'est donc à ce dernier que peut incomber la (première) prise en charge médicale. · Il faut bien sûr prioriser et prodiguer les soins urgents. Exemples: fractures, traumatismes crâniens, plaies, contusions, etc. Bon à savoir: dans la majorité des cas, les victimes ne présentent pas de lésions génitales. "Mais s'il y a des traces visibles de l'agression, il faut bien sûr les consigner dans le dossier médical et les documenter", préconise la Dr Rousseau. "Avec l'accord de la personne et en lui expliquant bien pourquoi, il est recommandé de les photographier. Le cas échéant, ces images constitueront autant d'éléments à charge dans une éventuelle procédure judiciaire."· Des prélèvements doivent être effectués aux différents sites d'agression (vagin, anus, bouche) afin de dépister les infections sexuellement transmissibles (IST) comme Neisseria gonorrheae, Chlamydia trachomatis [3] et T. vaginalis. Le frottis pouvant être ressenti comme (trop) invasif, les patientes peuvent l'effectuer elles-mêmes. Dans le sang, on recherchera bien sûr le VIH, les hépatites B et C et la syphilis. Notons que les sérologies en aigu sont le reflet de la santé au moment du prélèvement ; si l'une ou l'autre IST se développe par la suite, une première sérologie négative prouve que la patiente n'était pas porteuse de l'infection avant l'agression. Dans la même optique, il est préconisé de réaliser un test de grossesse chez les femmes en âge de procréer afin de distinguer une fécondation préalable d'une grossesse sur viol. Cela permet aussi d'adapter les prophylaxies à donner à la patiente. · Les prophylaxies se décident en fonction des cas et des risques. En la matière, la Belgique suit les recommandations des Centers for Disease Control and Prevention. À savoir: o la ceftriaxone contre N. gonorrhoeae (une dose de 500 mg par voie intramusculaire) ; o la doxycycline contre C. trachomatis (100 mg, deux fois/jour pendant sept jours) ; o le métronidazole contre les infections vaginales (500 mg, deux fois/jour pendant sept jours), mais "mal supporté par l'estomac, on le donne peu en pratique" ; o la prophylaxie antirétrovirale postexposition (PEP) contre le VIH est administrée si et seulement si le viol avec pénétration vaginale et/ou anale remonte à moins de 72 heures. Notons que la PEP n'est délivrée que dans les centres de référence VIH et dans certains CPVS ; o le vaccin anti-HBV postexposition ; o le vaccin anti-HPV, "mais c'est discutable, car son efficacité dans le contexte d'un viol n'a pas été démontrée et son prix (non remboursé) est élevé" ; o une contraception d'urgence, si nécessaire. Évidemment, il convient de s'assurer que la personne est en sécurité. Si l'agresseur est un proche ou s'il connait son adresse, une mise à l'abri doit être envisagée. Vous pouvez encourager votre patiente à activer son réseau personnel ou l'aider à trouver une solution d'hébergement. Bien qu'ils ne soient pas des centres d'accueil, les CPVS proposent un suivi psychosocial. Sur le plan médical, il faut aussi proposer un suivi à la survivante d'un viol. Idéalement, il faut la revoir au moins trois fois: · Endéans une à deux semaines, · Quatre à six semaines plus tard, · Trois à six mois plus tard. Outre le suivi sérologique, ces consultations peuvent être l'occasion d'effectuer les prélèvements non faits initialement, d'initier un traitement (prophylactique ou curatif), de compléter le schéma vaccinal et/ou de gérer d'éventuels effets secondaires. "Ces rendez-vous permettent aussi de procéder à une évaluation psychosociale de la survivante à un viol et, le cas échéant, de lui (re)proposer un suivi psychologique", recommande la gynécologue. "Informez-la aussi de la possibilité de déposer une plainte, si et quand elle se sentira prête à le faire." La démarche judiciaire étant loin d'être une sinécure et potentiellement traumatisante en soi, évitons de faire du "forcing". Nous sommes là pour l'aider, pas pour la juger ni pour lui imposer quoi que ce soit: elle a déjà assez enduré comme ça...