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D'abord professeur de guitare réputé - il a notamment eu comme élève Steve Vai, l'Américain Joe Satriani, marqué dans son enfance par le décès d'Hendrix, s'est ensuite lancé dans une carrière musicale tout en accompagnant des artistes légendaires comme Mick Jagger, Billy Gibbons ou Deep Purple. Avec "The Elephants of Mars", il signe sans doute l'un de ses albums les plus accomplis, aventureux et contrastés et pourtant totalement instrumental. Rencontre avec un guitare-héro très "classique", un compositeur lettré, un virtuose partageur qui a la guitare qui le 'dé-manche'. Le journal du Médecin: Pensez-vous que le titre soit encore plus important dans le cas d'un instrumental? Joe Satriani: C'est une question intéressante car je joue parfois avec cette notion. Ai-je vraiment envie que l'auditeur ait une idée du propos ou pas? Intituler un morceau "couleur bleue, par exemple, et ne rien laisser savoir. Je ne veux pas gâcher le plaisir de l'auditeur. En fait, la vraie réponse à cette question est que je n'ai aucun contrôle. (il rit)Par exemple, il y a des années, j'ai écrit une chanson intitulée "Cryin'", au travers de laquelle je faisais le deuil de la mort de mon père. Les auditeurs l'on prise pour un morceau romantique, qui fut utilisé comme générique par un programme de football sur la télévision allemande. Les producteurs m'ont demandé de venir la jouer en direct lors d'une tournée en Allemagne en 1992. Une expérience étrange... Avec vous, la guitare est non seulement un instrument mais également une voix? Je l'espère. Et en particulier dans le cas de cet album. Je souhaitais placer la barre plus haut: mieux composer, mieux jouer, mieux arranger. Créer un son propre à l'album au travers du mixage, du mastering et de l'enregistrement. Pour ce faire, j'ai constitué une équipe autour de moi, qui puisse m'aider à réaliser cette ambition, y compris au niveau de la pochette, afin que le directeur artistique complète la vision que je m'en faisais. Je souhaitais que le son de la guitare et le contenu soient aussi forts qu'une voix sur toutes les... 'chansons'. Vous vous considérez comme une sorte de compositeur classique? (Il rit) Non. Mais il existe des similarités: nous ne savons pas d'où vient l'inspiration, et nous sommes obligés de la transformer en une série de notes. Nous utilisons du son et du temps, jusqu'au moment où nous sentons que ce que nous avons mis ensemble représente ce que nous ressentons. Le versant artistique de nous-même souhaite faire partager ces mélodies au monde entier. Mais je suis fasciné par la vie de ces compositeurs classiques ; je lis beaucoup de biographies, et celle que j'ai préférée, énorme, concernait Beethoven: éclairante et très bien documentée. Elle permet de se rendre compte que Beethoven était juste un type qui luttait, face notamment à une technologie mouvante, et à "l'industrie musicale" de l'époque. Il fut par ailleurs malade toute sa vie durant une époque où l'hygiène n'était pas terrible. Mais il a écrit des pièces superbes car il était véritablement possédé par la créativité, se révélait en avance sur son époque et fut largement incompris. Enfin, Beethoven pouvait à peine déguiser son mépris pour le quotidien de l'existence. Au contraire de certains guitares-héros, vous êtes très collaboratif, à l'image du G3 que vous formez avec Steve Vai et Yngwie Malmsteen. Pourquoi? C'est la plus belle chose qui soit. À titre personnel, si j'ai progressé, c'est au contact d'autres guitaristes. Juste parce que quelqu'un m'a pris sous son aile ou m'a dit de recommencer... Ces interactions, heureuses ou tendues, développent la créativité des deux côtés. Il faut développer des relations avec vos partenaires, que chacun se sente suffisamment à l'aise pour pouvoir ne pas être d'accord, et qu'ils ne soient pas gênés par des idées folles, stupides voire mauvaises. La contribution de quelqu'un vous rend encore meilleur. C'est la clé: rester ouvert et ne pas croire que ce que l'on fait est le meilleur qui soit, et empêcher quiconque de pénétrer votre territoire. Dire à quelqu'un de jouer votre partition et se rendre compte que c'est meilleur, améliore votre jeu. Lorsque vous rejoignez une équipe de haut niveau, vous devez élever le vôtre. Quelle est l'importance de Kurt Vonegutt dans ce que vous faites? C'est l'un des plus grands écrivains de ces dernières décennies: drôle, visionnaire, à couper le souffle, tragique. La façon dont il décrit la société et l'existence est unique. Son approche de l'humanité montre l'absurdité de la vie, tente de la comprendre. C'est important face à la manière dont les gens autour de nous nous disent constamment que penser, que faire, de prendre des pilules, de suivre leur route. Vonegutt est la voix de la raison qui dit: "Non. Soyez gentils les uns envers les autres parce que c'est tout ce que nous avons." Même jeune adolescent, cette attitude me parlait déjà, au travers de ses premiers livres. Et, en grandissant, le message de ses romans suivants m'a vraiment enrichi. Et puis Kurt Vonegutt n'a jamais perdu son sens de l'humour ou d'amour pour les autres. Une de ses histoires racontent celle d'un petit garçon qui se saisit d'une arme et tire en l'air: la balle traverse la ville, une fenêtre et tue une femme qui passait l'aspirateur. Début de l'histoire. Du point de vue d'un musicien, on se demande comment l'histoire va se déployer, où va-t-elle le mener et comment va-t-il délivrer son message à propos de la vie, de la culpabilité, du caractère aléatoire de nos actions ou leurs conséquences. Je pourrais écrire tout un album à ce sujet si j'en avais le temps. Bon, évidemment, il reste à convaincre la firme de disques de son intérêt. (il rit)