En principe, on ne pose jamais de diagnostic quant aux troubles psychologiques dont un enfant de moins de 6 ans pourrait souffrir. La raison en est que son cortex frontal bénéficie encore d'une grande plasticité. Entre l'âge de 2 et 7 ans, la région frontale du cerveau, dont on sait qu'elle est capitale pour gérer tous les comportements d'impulsivité et d'agitation, est en phase de maturation. " Ce serait donc une erreur d'établir un diagnostic prématuré qui pourrait poursuivre l'enfant toute sa vie.On peut stimuler le cortex frontal de mille façons. Via des jeux de société, par exemple ", indique Isabelle Roskam, professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'UCL.

Bref, le jeune enfant difficile - c'est de lui que nous allons parler - peut évoluer de façon assez radicale et il serait malvenu de lui coller une étiquette pathologique sur le front. Toutefois, il est important que la prévention soit précoce. Or, s'il y a des enfants chez qui les problèmes sont à ce point évidents qu'on ne peut les ignorer, il est malaisé, chez les autres, d'établir des critères objectifs. D'abord, il est normal que tous les jeunes enfants soient un peu agités et agressifs. À la crèche, ils se poussent, s'emparent des jouets des autres, etc. Ensuite, il faut tenir compte du niveau de tolérance de la personne qui procède à l'évaluation. Certains parents et enseignants sont beaucoup plus exigeants que d'autres... Enfin intervient la composante culturelle.

" Des études effectuées dans 16 pays européens ont montré, par exemple, qu'un petit Néerlandais avait davantage de chances en plus d'être jugé difficile qu'un petit Italien, rapporte Isabelle Roskam. Motif : les compétences qui sont valorisées par le groupe social varient selon les cultures. Ainsi, en Italie, contrairement aux Pays-Bas, on aime les enfants extravertis, les " enfants vedettes ", et ce sont les enfants timides qui sont considérés comme difficiles. "

Par ailleurs, les normes évoluent avec le temps. Aujourd'hui, la pression exercée sur les enfants est beaucoup plus forte qu'il y a 20 ou 30 ans. Avant, on recensait peu de couples où les deux parents travaillaient. De nos jours, les enfants sont déposés très tôt à la garderie et rentrent tard à la maison. De même, en raison du coût des logements, la vie familiale se déroule dans des espaces plus restreints. Etc. Aussi la probabilité d'être qualifié d'enfant difficile est-elle nettement plus élevée que par le passé.

" Mais, au fond, le fait de savoir si un enfant est ou non objectivement difficile importe peu ", souligne notre interlocutrice. " Il doit vivre avec les contraintes du groupe social auquel il appartient et, si en fonction de ce critère, il rencontre des problèmes à l'école ou dans sa famille, il faut s'efforcer de l'aider. "

Troubles de l'apprentissage

Isabelle Roskam estime qu'il serait absurde de laisser perdurer une situation si on peut contribuer à la résoudre. Pour elle, le coeur du problème est l'existence d'une plainte. Si celle-ci est réelle, il faut procéder à un bilan complet pour déterminer les causes du dysfonctionnement et agir sur les facteurs de risque : immaturité des zones frontales, problèmes dans le traitement de l'information sociale, problèmes affectifs, éducatifs, de langage..., conflits parentaux en présence de l'enfant, etc.

Selon les cas, le psychologue ou le neuropédiatre se contentera de distiller des conseils ou initiera une thérapie dont la forme sera adaptée à chaque enfant : coaching éducatif, thérapie du lien, thérapie systémique, entraînement de type neuropsychologique (en cas d'immaturité du cortex frontal)...

" L'enjeu tient à ceci : ne pas traiter les problèmes va en engendrer d'autres et conduire à ce que les spécialistes appellent des cascades développementales, explique Isabelle Roskam. Un enfant qui, à 3 ans, est déjà diabolisé par l'enseignant et les parents des autres élèves de la classe va être victime d'exclusion sociale, avoir une faible estime de soi à force d'être sans cesse puni, perdre de la stimulation intellectuelle en ne participant pas aux mêmes activités que les autres, entretenir de mauvaises relations avec ses condisciples. Dans ces conditions, il va probablement développer des troubles de l'apprentissage. " En un mot, des problèmes qui n'étaient peut-être liés au départ qu'à de l'immaturité sont susceptibles de dégénérer si rien n'est entrepris pour les résoudre au cours de la petite enfance.

De futurs délinquants ?

Un des risques est une dérive vers un trouble " déficit de l'attention/hyperactivité " (TDA/H) ou vers des troubles des conduites - opposition, provocation, agressivité. De surcroît, faut-il redouter un cheminement vers la délinquance ? En 2005, l'Inserm a rédigé un rapport faisant le point sur l'ensemble des études existantes, dont beaucoup étaient américaines. Les travaux réalisés aux États-Unis concluaient que toute une série d'enfants difficiles non pris en charge se caractérisaient par d'importants troubles du comportement vers l'âge de 15-20 ans ou développaient un profil de délinquance.

" Néanmoins, fait remarquer le professeur Roskam, il faut nuancer ces conclusions, reprises par l'Inserm. Primo, les études américaines sont culturellement marquées. Secundo, plus on essaie de prédire des comportements à long terme, plus la marge d'erreur est grande. Par exemple, les études rétrospectives sont trompeuses. Parmi les délinquants d'aujourd'hui, il est clair que beaucoup avaient déjà des problèmes à 3 ans. Aussi s'intéresser à des délinquants et aller creuser dans leur passé aboutit à un " biais de recrutement ". Autre chose est de prendre des enfants de 3 ans et de les suivre jusqu'à l'âge de 15 ans. "

Une proposition émanant d'élus français était qu'il soit procédé à un dépistage précoce, en maternelle, afin de repérer très tôt les délinquants potentiels de demain. " Je trouve cela horrible ! ", dit la psychologue. " Imaginez que votre enfant ait 3 ou 4 ans et qu'on lui colle déjà dans le dos l'étiquette de futur délinquant... Évidemment, la prophétie va se réaliser ! Personne n'entretiendra une relation normale, agréable, avec cet enfant, et il se retrouvera dans une " école poubelle ". On ne lui laisse aucune chance, alors qu'il aurait pu évoluer favorablement. "

Pour Isabelle Roskam, il est beaucoup plus important de définir comment il convient d'organiser une prise en charge préventive des enfants au sujet desquels les parents et les enseignants formulent des plaintes, et ce sans suspicion d'une évolution péjorative vers la délinquance. " À ce jour, les initiatives prises en Belgique restent peu spécifiques ", indique-t-elle. " Il me paraît indispensable qu'une approche clinique des troubles du comportement chez l'enfant difficile se mette en place dans notre pays. "

Intervenir : une nécessité

Il y a quelques années fut menée, par des psychologues de l'UCL, une étude longitudinale baptisée H2M1. Cent vingt et un enfants difficiles âgés initialement de 3 à 5 ans furent observés durant trois années consécutives. La plupart d'entre eux avaient été en consultation aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Ont également été suivis, de façon concomitante, 300 enfants contrôles issus d'établissements scolaires de la Communauté française. Par la technique dite du " design accéléré ", les chercheurs ont pu établir des courbes de développement de l'âge de 3 ans à l'âge de 8 ans.

Toutes les années, ils ont vu l'ensemble des enfants à l'école et ont rencontré leurs familles. À chaque fois, ils ont mesuré leurs facteurs de risque - données sociodémographiques, bilan de langage, bilan d'attachement, bilan éducatif, bilan neuropsychologique... Parallèlement, ils ont suivi l'évolution de leur maturation et de leurs éventuels troubles du comportement. Qu'ont-ils découvert ? Qu'en l'absence d'intervention, la courbe d'évolution spontanée était plate : sans prise en charge adaptée, un enfant qui, à 3 ans, se singularisait des autres par son agitation ou son agressivité, par exemple, le faisait toujours à l'âge de 8 ans.

" Toutefois, il s'agit là d'une tendance moyenne, tient à préciser Isabelle Roskam. Une analyse plus fine nous révèle qu'aux extrémités de la courbe, certains enfants vont mieux et d'autres, moins bien. Parmi ces derniers figurent ceux qui sont jugés difficiles dans tous les milieux et qui, sans traitement, chemineront quasi inexorablement vers les cascades développementales. "

(1) Hard-t(w)o-Manage Children.

En principe, on ne pose jamais de diagnostic quant aux troubles psychologiques dont un enfant de moins de 6 ans pourrait souffrir. La raison en est que son cortex frontal bénéficie encore d'une grande plasticité. Entre l'âge de 2 et 7 ans, la région frontale du cerveau, dont on sait qu'elle est capitale pour gérer tous les comportements d'impulsivité et d'agitation, est en phase de maturation. " Ce serait donc une erreur d'établir un diagnostic prématuré qui pourrait poursuivre l'enfant toute sa vie.On peut stimuler le cortex frontal de mille façons. Via des jeux de société, par exemple ", indique Isabelle Roskam, professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l'UCL. Bref, le jeune enfant difficile - c'est de lui que nous allons parler - peut évoluer de façon assez radicale et il serait malvenu de lui coller une étiquette pathologique sur le front. Toutefois, il est important que la prévention soit précoce. Or, s'il y a des enfants chez qui les problèmes sont à ce point évidents qu'on ne peut les ignorer, il est malaisé, chez les autres, d'établir des critères objectifs. D'abord, il est normal que tous les jeunes enfants soient un peu agités et agressifs. À la crèche, ils se poussent, s'emparent des jouets des autres, etc. Ensuite, il faut tenir compte du niveau de tolérance de la personne qui procède à l'évaluation. Certains parents et enseignants sont beaucoup plus exigeants que d'autres... Enfin intervient la composante culturelle. " Des études effectuées dans 16 pays européens ont montré, par exemple, qu'un petit Néerlandais avait davantage de chances en plus d'être jugé difficile qu'un petit Italien, rapporte Isabelle Roskam. Motif : les compétences qui sont valorisées par le groupe social varient selon les cultures. Ainsi, en Italie, contrairement aux Pays-Bas, on aime les enfants extravertis, les " enfants vedettes ", et ce sont les enfants timides qui sont considérés comme difficiles. "Par ailleurs, les normes évoluent avec le temps. Aujourd'hui, la pression exercée sur les enfants est beaucoup plus forte qu'il y a 20 ou 30 ans. Avant, on recensait peu de couples où les deux parents travaillaient. De nos jours, les enfants sont déposés très tôt à la garderie et rentrent tard à la maison. De même, en raison du coût des logements, la vie familiale se déroule dans des espaces plus restreints. Etc. Aussi la probabilité d'être qualifié d'enfant difficile est-elle nettement plus élevée que par le passé. " Mais, au fond, le fait de savoir si un enfant est ou non objectivement difficile importe peu ", souligne notre interlocutrice. " Il doit vivre avec les contraintes du groupe social auquel il appartient et, si en fonction de ce critère, il rencontre des problèmes à l'école ou dans sa famille, il faut s'efforcer de l'aider. "Isabelle Roskam estime qu'il serait absurde de laisser perdurer une situation si on peut contribuer à la résoudre. Pour elle, le coeur du problème est l'existence d'une plainte. Si celle-ci est réelle, il faut procéder à un bilan complet pour déterminer les causes du dysfonctionnement et agir sur les facteurs de risque : immaturité des zones frontales, problèmes dans le traitement de l'information sociale, problèmes affectifs, éducatifs, de langage..., conflits parentaux en présence de l'enfant, etc. Selon les cas, le psychologue ou le neuropédiatre se contentera de distiller des conseils ou initiera une thérapie dont la forme sera adaptée à chaque enfant : coaching éducatif, thérapie du lien, thérapie systémique, entraînement de type neuropsychologique (en cas d'immaturité du cortex frontal)... " L'enjeu tient à ceci : ne pas traiter les problèmes va en engendrer d'autres et conduire à ce que les spécialistes appellent des cascades développementales, explique Isabelle Roskam. Un enfant qui, à 3 ans, est déjà diabolisé par l'enseignant et les parents des autres élèves de la classe va être victime d'exclusion sociale, avoir une faible estime de soi à force d'être sans cesse puni, perdre de la stimulation intellectuelle en ne participant pas aux mêmes activités que les autres, entretenir de mauvaises relations avec ses condisciples. Dans ces conditions, il va probablement développer des troubles de l'apprentissage. " En un mot, des problèmes qui n'étaient peut-être liés au départ qu'à de l'immaturité sont susceptibles de dégénérer si rien n'est entrepris pour les résoudre au cours de la petite enfance. Un des risques est une dérive vers un trouble " déficit de l'attention/hyperactivité " (TDA/H) ou vers des troubles des conduites - opposition, provocation, agressivité. De surcroît, faut-il redouter un cheminement vers la délinquance ? En 2005, l'Inserm a rédigé un rapport faisant le point sur l'ensemble des études existantes, dont beaucoup étaient américaines. Les travaux réalisés aux États-Unis concluaient que toute une série d'enfants difficiles non pris en charge se caractérisaient par d'importants troubles du comportement vers l'âge de 15-20 ans ou développaient un profil de délinquance. " Néanmoins, fait remarquer le professeur Roskam, il faut nuancer ces conclusions, reprises par l'Inserm. Primo, les études américaines sont culturellement marquées. Secundo, plus on essaie de prédire des comportements à long terme, plus la marge d'erreur est grande. Par exemple, les études rétrospectives sont trompeuses. Parmi les délinquants d'aujourd'hui, il est clair que beaucoup avaient déjà des problèmes à 3 ans. Aussi s'intéresser à des délinquants et aller creuser dans leur passé aboutit à un " biais de recrutement ". Autre chose est de prendre des enfants de 3 ans et de les suivre jusqu'à l'âge de 15 ans. "Une proposition émanant d'élus français était qu'il soit procédé à un dépistage précoce, en maternelle, afin de repérer très tôt les délinquants potentiels de demain. " Je trouve cela horrible ! ", dit la psychologue. " Imaginez que votre enfant ait 3 ou 4 ans et qu'on lui colle déjà dans le dos l'étiquette de futur délinquant... Évidemment, la prophétie va se réaliser ! Personne n'entretiendra une relation normale, agréable, avec cet enfant, et il se retrouvera dans une " école poubelle ". On ne lui laisse aucune chance, alors qu'il aurait pu évoluer favorablement. "Pour Isabelle Roskam, il est beaucoup plus important de définir comment il convient d'organiser une prise en charge préventive des enfants au sujet desquels les parents et les enseignants formulent des plaintes, et ce sans suspicion d'une évolution péjorative vers la délinquance. " À ce jour, les initiatives prises en Belgique restent peu spécifiques ", indique-t-elle. " Il me paraît indispensable qu'une approche clinique des troubles du comportement chez l'enfant difficile se mette en place dans notre pays. "Il y a quelques années fut menée, par des psychologues de l'UCL, une étude longitudinale baptisée H2M1. Cent vingt et un enfants difficiles âgés initialement de 3 à 5 ans furent observés durant trois années consécutives. La plupart d'entre eux avaient été en consultation aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Ont également été suivis, de façon concomitante, 300 enfants contrôles issus d'établissements scolaires de la Communauté française. Par la technique dite du " design accéléré ", les chercheurs ont pu établir des courbes de développement de l'âge de 3 ans à l'âge de 8 ans. Toutes les années, ils ont vu l'ensemble des enfants à l'école et ont rencontré leurs familles. À chaque fois, ils ont mesuré leurs facteurs de risque - données sociodémographiques, bilan de langage, bilan d'attachement, bilan éducatif, bilan neuropsychologique... Parallèlement, ils ont suivi l'évolution de leur maturation et de leurs éventuels troubles du comportement. Qu'ont-ils découvert ? Qu'en l'absence d'intervention, la courbe d'évolution spontanée était plate : sans prise en charge adaptée, un enfant qui, à 3 ans, se singularisait des autres par son agitation ou son agressivité, par exemple, le faisait toujours à l'âge de 8 ans. " Toutefois, il s'agit là d'une tendance moyenne, tient à préciser Isabelle Roskam. Une analyse plus fine nous révèle qu'aux extrémités de la courbe, certains enfants vont mieux et d'autres, moins bien. Parmi ces derniers figurent ceux qui sont jugés difficiles dans tous les milieux et qui, sans traitement, chemineront quasi inexorablement vers les cascades développementales. " (1) Hard-t(w)o-Manage Children.