jdM : Si on s'appuie sur les chiffres publiés - nombre de cas, nombre de cas par million, nombre de morts, nombre de morts par million, etc. -, l'Afrique semble un havre de paix face cette pandémie Covid qui touche en priorité " l'Occident " (Europe de l'Ouest, USA et Canada). Pour le moment. Le nombre de morts par million d'habitants est très bas en Afrique (moins de 10 morts par million voire moins de 1, contre autour de 350 à 650 pour les pays européens les plus touchés*). La première hypothèse qui vient à l'esprit, ce serait un screening insuffisant...

Dr Michel Van Herp : Nous travaillons beaucoup sur cette question car nous avons beaucoup de missions en Afrique. Nous essayons donc d'anticiper ce qui pourrait s'y passer... Mais concernant le screening, notons que trois-quarts des pays africains ont un taux de contamination en-dessous du fameux paquebot Diamond Princess (ndlr : qu'on considère comme un bon point de comparaison étant donné que tous les passagers y furent confinés et dépistés). Donc ça nous étonne effectivement... Il y a certainement en Afrique un problème de dépistage. C'est certain. La disponibilité des tests fait problème dans le monde entier et particulièrement en Afrique. On observe des " sauts de marche " à savoir que certains pays sont très stables pendant plusieurs jours puis les chiffres augmentent subitement de 150 cas car des échantillons sont analysés. Mais il y a des goulots d'étranglement entre le dépistage et l'analyse des tests. En outre, il faut lire les swaps, interpréter. Certains pays bénéficient de l'aide de l'OMS. L'Afrique du Sud va manquer de certains outils pour interpréter les tests, par exemple.

On évoque également le fait que le continent est plutôt jeune...

Oui. On étudie la pyramide des âges, totalement différente que dans l'hémisphère nord. Je compare les groupes d'âge... Pour ce faire, je pars des taux d'attaque par groupe d'âge à Wuhan en Chine. On voit clairement une augmentation des attaques plus on avance en âge. Obtenir ce type de données n'est toutefois pas facile. En Europe, c'est la même chose. En Belgique également. Les âgés sont plus touchés. C'est un peu moins évident en Allemagne où c'est un peu plus " plat " sur les groupes d'âge 20-59 ans. Le Chili fait un peu exception également... Si on revient à l'Afrique, il faut également ajouter que les jeunes, s'ils sont asymptomatiques, n'iront pas spécialement à l'hôpital... Mais de fait, en Afrique, on n'observe pas d'explosivité de l'épidémie comme en Europe.

On évoque la température, le climat...

On travaille dessus. On manque parfois un peu de recul par rapport par exemple à la grippe qu'on connaît mieux. Mais il est un fait certain qu'avec la chaleur, le phénomène d'évaporation s'accentue. Les fameuses gouttelettes et micro-gouttelettes s'évaporent plus rapidement ! Toutefois, il ne faut pas confondre température extérieure et intérieure dans les habitations. Les cas touchés en Afrique sont des gens plutôt riches à la base. Ce sont des gens qui vivent dans l'air conditionné. Celui-ci favorise la survie du virus dans la maison. En revanche, les personnes vivant dans les bidonvilles n'en bénéficient pas. La chaleur à l'intérieur (s'ils disposent d'un toit en tôle de zinc), est la même qu'à l'extérieur. Je ne dirais pas que les pauvres sont protégés mais il semble clair que la diffusion se fait d'abord dans des milieux plutôt riches. Ceux-ci contaminent ensuite leur personnel de maison. Puis ce personnel contaminé repart dans ses bidonvilles... Mais dans les " slums ", il est difficile de démontrer une contamination de maison en maison...

J'imagine qu'on peut mourir du Covid en Afrique sans que personne ne s'en aperçoive...

Même plus. Dans des pays comme la Guinée, le Sierra Leone ou même au Congo qui ont connu des épidémies d'Ebola, s'ils vont à l'hôpital, ils ne pourront plus voir leurs parents. Si vous mourrez, on vous met dans un sac. La famille ne peut plus y toucher. Des gens ne vont même pas à l'hôpital car l'espoir d'y guérir est ténu. Et s'ils s'y rendent et y meurent, ils ne pourront plus faire une cérémonie funéraire. Il y a donc une méfiance envers l'hôpital.

Une autre explication qu'on entend de la part d'anciens expatriés serait le fait que de nombreux Africains prennent de la chloroquine contre le paludisme et seraient dès lors " immunisés " puisque celle-ci serait, selon certains praticiens de terrain, efficace contre le virus...

C'est une des possibilités. Mais notons quand même qu'une partie des médicaments qu'on trouve sur les marchés en Afrique sont d'une qualité exécrable. On trouve de la chloroquine, c'est sûr. Mais rien ne dit que ce soit de la bonne chloroquine ou que le patient puisse en prendre cinq jours. Il en prend peut-être un ou deux jours.

L'Afrique du Sud en est à 130 morts environ ce jeudi 30 avril (131 au 4 mai, ndlr), c'est peu. Est-ce le pays d'Afrique le mieux organisé et qui dispose donc de meilleurs statistiques ?

C'est un pays qui fait beaucoup d'effort. On y observe des retours de vacances en Europe. Il y a eu également un épisode de contamination d'une petite congrégation religieuse comme cela s'est vu également à Mulhouse (ou en Corée du Sud, ndlr). Le risque existe en Afrique où on peut également soigner par l'imposition des mains par exemple.

On touche du bois mais si l'Afrique devait subir une pandémie de l'ampleur que nous connaissons en Europe, j'imagine que leurs systèmes hospitaliers nettement moins efficaces les mettraient dans de grandes difficultés pour accueillir les malades ?

Tout à fait. Ne fût-ce que par rapport aux cas légers nécessitant de l'oxygène. Sans même parler de respirateurs ! Il est parfois difficile de trouver des concentrateurs d'oxygène. Il y a des difficultés d'approvisionnement. Si l'épidémie prenait de l'ampleur comme en Europe, il y aurait une forte mortalité parmi les âgés en espérant que les plus jeunes (moins de 50 ans), s'en sortent par eux-mêmes.

Vous avez des missions MSF sur place qui ont été confrontées à des malades covid19 ?

Nous avons des missions en Afrique du Sud, au Malawi, au Zimbabwe, au Mozambique, au Cameroun, au Burundi, en RDC, dans l'Ouest de l'Afrique également... On a observé des cas dans un " slum " du Cap en Afrique du Sud. Même le personnel de MSF a été touché. Au Nigéria, dans le Nord, nous avons déplorés deux staffs touchés par le virus. Mais pour le moment tout cela est à bas bruit. Ça n'explose pas. Donc, on dialogue avec les communautés. On promeut l'hygiène en prévention. Mais offrir des savons là où il n'y a pas d'eau, c'est compliqué... On va mettre en place des petites unités de 20 lits. Sorte d'intermédiaires entre soins à domicile pour les cas légers et les unités de soins intensifs avec respirateurs. Ces petites unités bénéficieraient d'oxygène en espérant que les cas modérés traités n'évoluent pas en formes plus graves.

Au niveau des thérapies, est-ce que MSF a un point de vue ou l'organisation suit les débats des méthodologistes, des études randomisées, des expériences sur le terrain ?

J'ai un avis personnel. Au niveau de MSF, il y a des pour et des contre. Je vais être un peu provocateur. J'ai l'impression que le Remdesivir, ça va être pour les riches et la chloroquine, ça va être pour les pauvres. Même si vous découvrez des traitements efficaces, demeure toujours l'aspect accessibilité financière. Tant qu'aucune étude ne démontre l'inefficacité de la chloroquine, je serais plutôt partant... Mais j'ouvre une parenthèse en revenant sur l'Ebola. Des médicaments qui diminuent la charge virale, ils doivent être administrés juste au début de l'apparition des symptômes voire même avant dans une perspective de prophylaxie ; d'autre part, il faut des médicaments qui jugulent la " cytokine storm ". Car à ce moment-là, c'est déjà trop tard.

Le tocilizumab, par exemple?

Oui. C'est un monoclonal contre l'interleukine 6. Mais d'autres médicaments utilisés dans la polyarthrite rhumatoïde peuvent également agir. Dans le cas d'Ebola, on s'était focalisé sur les antiviraux. Je vois avec bonheur qu'ici on fait les deux. Mais de nouveau, les médicaments modulateurs de ce type seront difficilement accessibles financièrement en Afrique.

Tout baigne donc en Afrique ?

Je dirais que pour garder une perspective sur les températures favorables, il ne faut pas oublier non plus que la pointe sud de l'Afrique se trouve dans l'hémisphère sud où l'hiver arrive. Le sud de l'Afrique va connaître ses mois les plus froids en juillet-août. Pour le moment à Johannesburg, la température est de 15° de moyenne mais ça va descendre en juillet-août. C'est le cas également au Malawi et au Zimbabwe voire au Mozambique. Il faudra observer la situation en juin.

Un entretien de Nicolas de Pape

*647,22 décès confirmés par million pour la Belgique (source : Our World in Data, 30 avril 2020)

jdM : Si on s'appuie sur les chiffres publiés - nombre de cas, nombre de cas par million, nombre de morts, nombre de morts par million, etc. -, l'Afrique semble un havre de paix face cette pandémie Covid qui touche en priorité " l'Occident " (Europe de l'Ouest, USA et Canada). Pour le moment. Le nombre de morts par million d'habitants est très bas en Afrique (moins de 10 morts par million voire moins de 1, contre autour de 350 à 650 pour les pays européens les plus touchés*). La première hypothèse qui vient à l'esprit, ce serait un screening insuffisant...Dr Michel Van Herp : Nous travaillons beaucoup sur cette question car nous avons beaucoup de missions en Afrique. Nous essayons donc d'anticiper ce qui pourrait s'y passer... Mais concernant le screening, notons que trois-quarts des pays africains ont un taux de contamination en-dessous du fameux paquebot Diamond Princess (ndlr : qu'on considère comme un bon point de comparaison étant donné que tous les passagers y furent confinés et dépistés). Donc ça nous étonne effectivement... Il y a certainement en Afrique un problème de dépistage. C'est certain. La disponibilité des tests fait problème dans le monde entier et particulièrement en Afrique. On observe des " sauts de marche " à savoir que certains pays sont très stables pendant plusieurs jours puis les chiffres augmentent subitement de 150 cas car des échantillons sont analysés. Mais il y a des goulots d'étranglement entre le dépistage et l'analyse des tests. En outre, il faut lire les swaps, interpréter. Certains pays bénéficient de l'aide de l'OMS. L'Afrique du Sud va manquer de certains outils pour interpréter les tests, par exemple.On évoque également le fait que le continent est plutôt jeune...Oui. On étudie la pyramide des âges, totalement différente que dans l'hémisphère nord. Je compare les groupes d'âge... Pour ce faire, je pars des taux d'attaque par groupe d'âge à Wuhan en Chine. On voit clairement une augmentation des attaques plus on avance en âge. Obtenir ce type de données n'est toutefois pas facile. En Europe, c'est la même chose. En Belgique également. Les âgés sont plus touchés. C'est un peu moins évident en Allemagne où c'est un peu plus " plat " sur les groupes d'âge 20-59 ans. Le Chili fait un peu exception également... Si on revient à l'Afrique, il faut également ajouter que les jeunes, s'ils sont asymptomatiques, n'iront pas spécialement à l'hôpital... Mais de fait, en Afrique, on n'observe pas d'explosivité de l'épidémie comme en Europe.On évoque la température, le climat...On travaille dessus. On manque parfois un peu de recul par rapport par exemple à la grippe qu'on connaît mieux. Mais il est un fait certain qu'avec la chaleur, le phénomène d'évaporation s'accentue. Les fameuses gouttelettes et micro-gouttelettes s'évaporent plus rapidement ! Toutefois, il ne faut pas confondre température extérieure et intérieure dans les habitations. Les cas touchés en Afrique sont des gens plutôt riches à la base. Ce sont des gens qui vivent dans l'air conditionné. Celui-ci favorise la survie du virus dans la maison. En revanche, les personnes vivant dans les bidonvilles n'en bénéficient pas. La chaleur à l'intérieur (s'ils disposent d'un toit en tôle de zinc), est la même qu'à l'extérieur. Je ne dirais pas que les pauvres sont protégés mais il semble clair que la diffusion se fait d'abord dans des milieux plutôt riches. Ceux-ci contaminent ensuite leur personnel de maison. Puis ce personnel contaminé repart dans ses bidonvilles... Mais dans les " slums ", il est difficile de démontrer une contamination de maison en maison...J'imagine qu'on peut mourir du Covid en Afrique sans que personne ne s'en aperçoive...Même plus. Dans des pays comme la Guinée, le Sierra Leone ou même au Congo qui ont connu des épidémies d'Ebola, s'ils vont à l'hôpital, ils ne pourront plus voir leurs parents. Si vous mourrez, on vous met dans un sac. La famille ne peut plus y toucher. Des gens ne vont même pas à l'hôpital car l'espoir d'y guérir est ténu. Et s'ils s'y rendent et y meurent, ils ne pourront plus faire une cérémonie funéraire. Il y a donc une méfiance envers l'hôpital.Une autre explication qu'on entend de la part d'anciens expatriés serait le fait que de nombreux Africains prennent de la chloroquine contre le paludisme et seraient dès lors " immunisés " puisque celle-ci serait, selon certains praticiens de terrain, efficace contre le virus...C'est une des possibilités. Mais notons quand même qu'une partie des médicaments qu'on trouve sur les marchés en Afrique sont d'une qualité exécrable. On trouve de la chloroquine, c'est sûr. Mais rien ne dit que ce soit de la bonne chloroquine ou que le patient puisse en prendre cinq jours. Il en prend peut-être un ou deux jours.L'Afrique du Sud en est à 130 morts environ ce jeudi 30 avril (131 au 4 mai, ndlr), c'est peu. Est-ce le pays d'Afrique le mieux organisé et qui dispose donc de meilleurs statistiques ?C'est un pays qui fait beaucoup d'effort. On y observe des retours de vacances en Europe. Il y a eu également un épisode de contamination d'une petite congrégation religieuse comme cela s'est vu également à Mulhouse (ou en Corée du Sud, ndlr). Le risque existe en Afrique où on peut également soigner par l'imposition des mains par exemple.On touche du bois mais si l'Afrique devait subir une pandémie de l'ampleur que nous connaissons en Europe, j'imagine que leurs systèmes hospitaliers nettement moins efficaces les mettraient dans de grandes difficultés pour accueillir les malades ?Tout à fait. Ne fût-ce que par rapport aux cas légers nécessitant de l'oxygène. Sans même parler de respirateurs ! Il est parfois difficile de trouver des concentrateurs d'oxygène. Il y a des difficultés d'approvisionnement. Si l'épidémie prenait de l'ampleur comme en Europe, il y aurait une forte mortalité parmi les âgés en espérant que les plus jeunes (moins de 50 ans), s'en sortent par eux-mêmes.Vous avez des missions MSF sur place qui ont été confrontées à des malades covid19 ?Nous avons des missions en Afrique du Sud, au Malawi, au Zimbabwe, au Mozambique, au Cameroun, au Burundi, en RDC, dans l'Ouest de l'Afrique également... On a observé des cas dans un " slum " du Cap en Afrique du Sud. Même le personnel de MSF a été touché. Au Nigéria, dans le Nord, nous avons déplorés deux staffs touchés par le virus. Mais pour le moment tout cela est à bas bruit. Ça n'explose pas. Donc, on dialogue avec les communautés. On promeut l'hygiène en prévention. Mais offrir des savons là où il n'y a pas d'eau, c'est compliqué... On va mettre en place des petites unités de 20 lits. Sorte d'intermédiaires entre soins à domicile pour les cas légers et les unités de soins intensifs avec respirateurs. Ces petites unités bénéficieraient d'oxygène en espérant que les cas modérés traités n'évoluent pas en formes plus graves.Au niveau des thérapies, est-ce que MSF a un point de vue ou l'organisation suit les débats des méthodologistes, des études randomisées, des expériences sur le terrain ?J'ai un avis personnel. Au niveau de MSF, il y a des pour et des contre. Je vais être un peu provocateur. J'ai l'impression que le Remdesivir, ça va être pour les riches et la chloroquine, ça va être pour les pauvres. Même si vous découvrez des traitements efficaces, demeure toujours l'aspect accessibilité financière. Tant qu'aucune étude ne démontre l'inefficacité de la chloroquine, je serais plutôt partant... Mais j'ouvre une parenthèse en revenant sur l'Ebola. Des médicaments qui diminuent la charge virale, ils doivent être administrés juste au début de l'apparition des symptômes voire même avant dans une perspective de prophylaxie ; d'autre part, il faut des médicaments qui jugulent la " cytokine storm ". Car à ce moment-là, c'est déjà trop tard.Le tocilizumab, par exemple?Oui. C'est un monoclonal contre l'interleukine 6. Mais d'autres médicaments utilisés dans la polyarthrite rhumatoïde peuvent également agir. Dans le cas d'Ebola, on s'était focalisé sur les antiviraux. Je vois avec bonheur qu'ici on fait les deux. Mais de nouveau, les médicaments modulateurs de ce type seront difficilement accessibles financièrement en Afrique.Tout baigne donc en Afrique ?Je dirais que pour garder une perspective sur les températures favorables, il ne faut pas oublier non plus que la pointe sud de l'Afrique se trouve dans l'hémisphère sud où l'hiver arrive. Le sud de l'Afrique va connaître ses mois les plus froids en juillet-août. Pour le moment à Johannesburg, la température est de 15° de moyenne mais ça va descendre en juillet-août. C'est le cas également au Malawi et au Zimbabwe voire au Mozambique. Il faudra observer la situation en juin.Un entretien de Nicolas de Pape*647,22 décès confirmés par million pour la Belgique (source : Our World in Data, 30 avril 2020)