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Le journal du Médecin: Quelle est l'origine du projet? Dr Kévin Boulanger: Confronté au patient, je me suis rapidement rendu compte qu'il était impossible de maîtriser tous les déterminants de la santé seul. Ayant eu la chance de travailler dans une structure multidisciplinaire, j'ai pu expérimenter les énormes bénéfices de la collaboration. Je me suis rendu compte que les autres acteurs des soins pouvaient me donner d'autres fragments de vérité concernant la santé d'un patient. Il m'a paru clair que la collaboration pluridisciplinaire et l'accès au réseau de santé seraient les plus grandes améliorations de notre système de santé. De là, je me suis donné pour mission d'améliorer cette collaboration entre soignants. Mais en présentiel, nous sommes limités. D'où l'idée de créer une grande salle de réunion virtuelle pouvant réunir des milliers d'acteurs de soins et d'institutions au bénéfice du patient. Vous créez donc du lien non seulement entre soignants, mais également entre soignants et institutions. Effectivement, citons par exemple l'Académie royale de médecine, l'Aviq, l'ULB, l'ULiège, des hôpitaux tels que le CHR de la Citadelle à Liège, des centres de formation en éthique en province de Luxembourg, ou encore l'Université de Poitiers. Il n'y a pas de limites, tant qu'on est acteur de soins au sens large. Grâce à cela, non seulement nous arrivons à créer un réseau fort en Wallonie et à Bruxelles, mais aussi en France. C'est une initiative bottom-up pour reprendre une terminologie chère à Maggie De Block. Oui. Fait étonnant: je suis davantage soutenu par le ministère de l'Innovation que par le ministère de la Santé, qui ne soutient en rien ce projet. C'est un paradoxe énorme. L'innovation ne peut fonctionner que lorsque l'on a un contact réel avec le système et surtout les acteurs qui en bénéficient. Il y a 18 mois, WeLinkCare était une barre de recherche et un tableau blanc. Et nous ne faisions que de la vidéo. Aujourd'hui, à l'écoute de la communauté, le contenu s'étoffe. Par exemple, une demande de la communauté était de pouvoir trouver les institutions actives dans les soins de santé autour de soi. Cette demande est devenue réalité et on peut aujourd'hui voir quelles sont les institutions proches de soi, 60 km à la ronde. Autre exemple: les utilisateurs voulaient être prévenus en cas d'arrivée de nouveaux contenus via des notifications liées à leur fonction. Cela va donc arriver. Les institutions désiraient déposer leurs offres de formations, des offres d'emploi. Cela a également été créé. Bref: c'est la communauté qui fait vivre la plateforme. Est-ce que vous ne vous perdez pas avec un tel amas de données et de profils d'utilisateur différents? C'est une bonne question. Reprenons la base: une réunion d'équipe marche bien avec dix, maximum 14 personnes. Au-delà, comment gère-t-on la connaissance qu'il y a dans la tête de chacun? Avec 20 personnes autour de la table, il y en a qui parlent beaucoup, d'autres moins. Il y a une disproportion entre les partages. La régulation de l'information est différente selon que l'on soit 30, 2.500 ou 25.000 à collaborer. Il faut donc s'adapter au fur et à mesure. Tout d'abord, il faut assurer la qualité des données. La qualité collaborative des données est complexe à maîtriser. Tout cela demande des outils technologiques qui se développent au fur et à mesure. Ensuite s'ajoute la qualité du lien: je cherche tel savoir, comment faire pour l'obtenir? Il y a une série de critères à respecter: un bon titre, un bon descriptif. Cela permet d'avoir un pré-filtre. On propose également le contenu le plus récent en premier, ce qui a toute son importance en santé. Enfin, il faut également aborder le filtre par fonction, lieu et/ou la thématique. Car il ne faut pas que le filtre devienne un frein. Il est possible qu'un aide-soignant soit tout aussi intéressé par l'arrêt du tabac que le médecin généraliste. Le futur sera, à 25.000 soignants, le recours à l'intelligence artificielle. À l'heure des fake news, comment vérifie-t-on la fiabilité des informations proposées? Le fondement de WeLinkCare est la confiance. Les connaissances évoluent et le temps nous apprend à être très humbles par rapport à certaines croyances. Nous avons mis plusieurs filtres en place, et je remercie l'ULiège à cet égard. Maîtriser une qualité d'information collaborative et non uniquement scientifique, c'est très spécifique. Nous faisons pour cela appel à six grands critères. Premièrement, une inscription de qualité et vérifiée. L'identification permet de rester entre soignants et de centrer les débats. Filtre à l'entrée donc mais au sens large: les CPAS sont par exemple acceptés, mais pour parler de précarité des patients et non pas pour parler de vaccination Covid. Deuxièmement, celui qui publie du contenu devra répondre à quelques questions. Troisièmement, on ne dépose pas un contenu à la va-vite. Il doit être relié à un producteur de savoir: est-ce que je parle en mon nom ou au nom d'une institution? L'institution est le garant d'une certaine qualité de contenu dans ce cas. Quatrièmement, référencer son contenu. Présenter une institution ne requière pas autant de références qu'un article scientifique, où il sera obligatoire de citer ses sources et ses références. Cinquièmement, comme dans une salle de réunion, il faut placer la collaboration et l'échange au centre. Il est donc possible de rédiger directement un commentaire en réaction à une publication. On peut également contacter directement l'auteur de cette publication pour lui poser une question ou fournir une information sans qu'elle soit vue par tous. Sixièmement, enfin, il existe un drapeau pour indiquer les potentiels conflits d'intérêt, le manque de sources ou autres griefs. Mais la force de la collaboration et des filtres précédents fait que cette option n'a jamais été utilisée. Peut-on résumer WeLinkCare à un Wikipédia pour soignants? La vérité est souvent plus complexe. Wikipédia est un outil extrêmement puissant que nous consultons tous en tant que citoyen et si nous pouvions faire un dixième de ce que Wikipédia apporte au monde, nous serions très heureux. Mais il y a quelques différences. Ce qui nous manque beaucoup en médecine et dans les systèmes de santé, c'est un accès aux compétences de savoir-faire. Et là, la vidéo est indispensable. Là, vous pensez à YouTube, et pourtant nous offrons plus qu'un système de diffusion de vidéo mais une réelle mise en réseau et une association à des documents, des annonces de formation ou des offres d'emploi. Le changement de paradigme en médecine se situe dans la multidisciplinarité et les communautés de pratique. Il s'agit donc davantage d'une grande salle de réunion virtuelle pluridisciplinaire où chaque acteur de santé est le bienvenu. C'est gratuit et vraiment simple d'utilisation.