...

Michel et Noémie collaborent également avec des personnes complices et/ou extérieures lors de la création de leurs spectacles. Parmi ceux présentés le mois prochain, "La Brèche", spectacle poétique et onirique sur la vie et la mort, qui mêle science et héritage familial (lire ci-contre). Le journal du Médecin: "La Brèche" évoque beaucoup les fantômes et esprits. Est-ce que les marionnettes ont une âme? Michel Villée: Si nous en avons une, les marionnettes en ont une, puisque nous nous leur prêtons. Tout dépend du manipulateur? Une âme colorée en fonction de celle du manipulateur. Mais plus sérieusement, je pense qu'elles ont une âme en fonction de la manière dont on les regarde. J'ai manipulé une marionnette devant mon chat en m'imaginant qu'il allait avoir très peur: il n'a pas du tout réagi, se demandant pourquoi je secouais un morceau de mousse devant lui. Alors que lorsque l'on manipule une marionnette devant des êtres humains, ils lui prêtent vie. Donc, j'ai tendance à penser que les marionnettes peuvent avoir une âme. Il y a peut-être une question de conscience qui joue, mais ce qui est certain, c'est que l'on projette énormément de choses sur la marionnette. Nous sommes souvent surpris à la fin des spectacles, de ce que le public en dit, souvent des réflexions beaucoup plus intelligentes que ce que nous avions mis dans le spectacle. Et cela nous plaît. C'est une des spécificités du théâtre de marionnettes, qui souvent contient peu de texte et permet au public dès lors d'y projeter son imaginaire. Un mode d'expression théâtrale qui demande une grande implication du public. D'où les spectacles épurés que vous produisez? Oui, sans trop de texte ni d'effets. À part le spectacle "Gaspard" qui est pratiquement sans sons, et sans texte, les autres contiennent beaucoup de sons, notamment la musique d'Alice Hebborn, compositrice dans le cas de "La Brèche". Il y a à la fois la musique et les sons que nous développons. Mais pour le reste, le résultat est plutôt épuré. Le récit, lui, est intemporel, à l'instar de l'art de la marionnette... Il existe depuis des temps immémoriaux et c'est un art que l'on pratique très tôt dans la vie puisque les enfants y jouent très vite ; ils attribuent une vie à la poupée et interagissent avec elle et ce, de manière universelle. Il existe des régions du monde où l'on pratique cet art plus volontiers que chez nous, où la tradition de la marionnette est présente, sans que son aspect contemporain ne soit tellement développé. A contrario, dans les pays de l'Est, en Grèce ou en Asie, cette tradition est extrêmement vivace. Nous avons eu l'occasion de jouer au Vietnam dans un festival où nous avons croisé des compagnies du Cambodge, du Laos, de Thaïlande et du Vietnam, bien entendu. Nous avons été très impressionnés par les différentes techniques et approches totalement différentes de la marionnette, même si le langage, lui, reste universel. En Asie, il s'agit presque d'un phénomène religieux ou d'histoires mythiques? Mythiques ou philosophiques, des légendes et des récits très anciens liés à la terre, la nature, à la relation avec les animaux, les humains bien sûr et les éléments. Au Vietnam par exemple, la marionnette évolue sur l'eau, manipulée par de grandes tiges en métal cachées, ce qui rend l'exercice très physique. Des tableaux qui se déroulent dans la nature et racontent l'histoire d'agriculteurs, de paysans ou de soldats. Il y a donc cet aspect mythique, de fable. Et c'est d'ailleurs sous la forme d'une fable que nous avons voulu construire "La Brèche". Donc de manière très simple, mais comme toutes les fables, elle s'ouvre sur des considérations très diverses. Justement, pourquoi ce titre, "La Brèche"? À la base, l'idée était de parler de notre rapport à la finitude, à la mort, de notre conscience du fait que nous allons mourir. En discutant avec Natacha Belova, qui nous a aidés au niveau de l'aspect dramaturgie du projet, nous avons défini un espace spécifique à la marionnette, espace ténu entre son état d'objet et d'être vivant. Lorsque je regarde une marionnette, j'ai parfois l'impression qu'elle est en vie, à d'autres moments que ce n'est qu'un objet. Et, entre les deux, existe un état très fin, qui est ce trouble où je ne sais plus très bien, raison pour laquelle nous avons intitulé ce spectacle "La Brèche". Ce petit interstice est cette brèche dans laquelle nous tentons de nous engouffrer pour créer des images que l'on ne peut produire qu'avec des marionnettes. Faire mourir une marionnette dans une boîte est une image qui, en soit, est très violente, mais que l'on accepte car l'on sait que c'est un objet. C'est un spectacle tout public: la preuve en est, on y parle de l'ombre et jamais de la mort. Pourquoi? Au début nous travaillions sur la mort, sur l'histoire d'une petite fille qui pensait qu'elle n'allait pas mourir. Cela nous a donné un récit très dur, car cela humanisait complètement les marionnettes: de ce fait, les images que nous produisions se révélaient insupportables. Nous avons donc décidé de partir plutôt sur l'ombre et de travailler par métaphore. Et cela permet de raconter également cette histoire aux enfants et de créer un niveau de lecture pour tous les âges. Nous conseillons plutôt la pièce pour des enfants à partir de 12 ans. Mais des enfants de huit ans l'ont vue et l'on bien acceptée. Raison pour laquelle nous avons plutôt développé ce champ sémantique, celui de l'ombre, de la lumière, des boîtes plutôt que des cercueils. Les enfants comprennent-ils cette histoire incroyable de cette espèce de méduse qui se régénère indéfiniment, mais qui n'a pas de conscience? Peut-être que la notion de conscience est aussi floue pour les enfants que pour moi. Mais les enfants que nous avons rencontrés comprennent qu'un arbre n'a pas de conscience. Les enfants sont fascinés par la question de la conscience chez les marionnettes. Mais ils comprennent toujours quelque chose et se révèlent beaucoup plus malins que ce qu'on ne croit. Puisque vous jouez cette pièce en couple, cela vous traverse-t-il l'esprit que cette marionnette soit votre enfant? Non, nous y pensons avant et après, mais nous sommes concentrés sur ce qui nous avons à faire. Par contre, il nous est déjà arrivé, avant que d'avoir un enfant, de faire des blagues idiotes, genre asseoir la marionnette sur une chaise et lui demander de rester sage pendant que nous partions en week-end. Mais nous nous sommes dit qu'il ne fallait raconter cela à personne et surtout pas à un journaliste... (rires)La marionnette, c'est l'art de la manipulation, de la manipulation de la réalité? En tout cas, c'est l'art de la torsion de la réalité ; parce que si la marionnette se contente de faire ce que fait un comédien, cela n'a aucun intérêt. La marionnette permet de transformer totalement la réalité. Donc, dans un sens, c'est aussi une manipulation de la réalité.