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Le journal du Médecin : L'inconfort sexuel a-t-il nourri votre créativité ? Sam : Beaucoup pensent que j'ai écrit cet album durant ma transition sexuelle, alors que tout avait déjà été écrit et enregistré auparavant. Ne pas m'être senti à 100 % à l'aise avec mon corps me donnait l'envie d'en parler. "Low" qui clôt l'album et qui se veut une sorte de déclaration à ce propos, fut-elle la première chanson que vous avez écrite ? Non. Il n'est que la confirmation supplémentaire que toutes ces transformations étaient en train de s'opérer, même si c'était de manière inconsciente. Vous avez commis des reprises avec K's Choice, notamment de Abba "Does your mother know ? " ou le "Who's that girl" de Madonna. Si l'on pense à la situation et aux mots... Ce morceau d'Abba trahit plutôt mon amour pour le disco. Ensuite, j'ai découvert Eurythmics qui m'a sans doute séduit à cause d'Annie Lennox et son côté androgyne, sa confiance en elle : capable d'être très masculine, mais aussi ultraféminine en même temps. Et puis c'est sans doute l'une des plus belles voix du rock et de la pop. Mais les paroles ne sont pas à l'origine de ces reprises. Était-ce important pour vous de déménager aux États-Unis pour effectuer cette métamorphose ? Je vivais déjà aux States depuis 20 ans, dans le Tennessee, avant de déménager à Los Angeles il y a trois ans. Ce déménagement a eu un impact important sur ma décision, car le Tennessee est un état très conservateur et redneck : j'y étais déjà considéré comme un individu bizarre, vivant en couple avec une autre femme. Nous embarrassions nos enfants du fait d'être un couple lesbien... Imaginez ce que cela aurait été si j'avais décidé de devenir transgenre là-bas ! Cela ne m'a même pas traversé l'esprit. Vivre en Californie m'a procuré toute la liberté que je souhaitais : et j'ai très vite remarqué que je m'y habillais de manière plus masculine qu'auparavant, ceci même avant de penser à changer de sexe. Être père famille désormais se révèle différent que d'être mère de famille ? Oui, je dois tout le temps sortir les poubelles (rires). C'est marrant : dans l'univers transgenre, on se bat pour le respect d'un spectre plus large qu'un univers binaire ; et pourtant, ayant opéré la transformation moi-même, je sens que je cherche à affirmer ma virilité et ma masculinité à la maison. Sans doute parce que la situation est nouvelle. Mais j'aime être un père, et pas quelque chose entre les deux, être le mari, celui qui procure le sentiment de sécurité. Je ressens comme un besoin de montrer que je suis vraiment un homme. Pensez-vous que le fait d'être un homme dorénavant modifie votre voix ? Pas d'après les autres membres du groupe : la seule différence, c'est que je chante désormais plus fort... La crainte en effet était que ma voix ne change au point que je ne puisse plus interpréter les anciennes chansons du répertoire de K's Choice. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Apparemment, mes partenaires constatent que ma voix est un peu plus dans les basses lorsque je parle, mais pas quand je chante. Cela vous a-t-il aidé d'avoir un père médecin, pédiatre en fait, dans l'optique de ce grand bouleversement ? Oui cela m'aide beaucoup... surtout pour les injections quand je suis en Belgique ! (rires) A part cela, non, car il est d'une autre génération. Pensez-vous que le changement auquel vous venez de procéder aurait été beaucoup plus difficile il y a vingt ans ? C'est sûr ! Et à cette époque, j'ignorais que c'était possible. Depuis deux ans, c'est beaucoup plus accepté même si pas mal de personnes trouvent encore cela flippant. Et pensez-vous que ce soit plus difficile pour une femme de devenir un homme plutôt que l'inverse ? La société a plus de mal à accepter qu'un homme devienne une femme. Beaucoup d'hommes ne peuvent pas imaginer que l'on puisse souhaiter devenir autre chose : une femme en l'occurrence... Vous avez une carrière parfaite, tout le monde vous respecte, vous êtes un bel homme... pourquoi voudriez vous subir les désavantages d'être une femme ! Et c'est très menaçant. Ce n'est pas étonnant que l'on constate de la violence vis-à-vis des femmes transgenres alors qu'il y en a pratiquement pas envers leurs pendants masculins. Cela dit beaucoup : les hommes se sentent menacer par cette féminité qui les trouble, les fait réfléchir quant à leur identité : un peu comme dans le cas des homosexuels masculins. Alors qu'ils ne perçoivent pas les lesbiennes comme menaçantes. Le processus de changement de sexe de femme vers un homme est plus facile physiquement, car les testostérones sont des hormones beaucoup plus puissantes. Est-ce plus facile d'être un homme plutôt qu'une femme dans l'industrie musicale ? Je n'ai pas assez d'expérience en tant qu'homme pour répondre, mais je n'ai jamais connu de difficultés en tant que femme. Bien que quelques fois dans K's Choice, je me rendais compte que mon frère était traité légèrement différemment, et notamment dans la façon dont les producteurs s'adressaient à nous. Ils ont toujours montré un respect teinté d'admiration pour ma voix ; mais quand il s'agissait d'opinion musicale, ils se tournaient vers mon frère. Et bien que nous soyons égaux sur ce plan, à leurs yeux, j'étais la voix, mais le cerveau derrière la musique c'était lui ! Il m'est d'ailleurs arrivé une expérience instructive lors d'une récente visite chez le pédiatre en compagnie de ma femme et mes enfants : mon épouse posait des questions et, systématiquement, le médecin ME répondait ! (il rit)