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Qu'entend-on par "zones bleues de longévité"? Il s'agit de régions où la population présente une longévité exceptionnelle et un nombre plus important de centenaires. Astrophysicien de formation, Michel Poulain (UCLouvain) est progressivement passé à la démographie historique. Un intérêt qui l'a conduit à faire partie de l'International Database on Longevity, un réseau qui valide l'âge des centenaires exceptionnels à travers le monde. C'est en 2000 qu'il a introduit le concept de zone bleue de longévité (Longevity Blue Zone), après avoir constaté la présence de nombreux centenaires dans les montagnes de Sardaigne et validé leur âge exceptionnel. "On a commencé à valider un par un les centenaires qu'on y a trouvé (40)", explique-t-il. "Ensuite, je suis passé de la longévité individuelle à celle d'une population. J'ai pris une carte de Sardaigne et avec mon marqueur bleu, j'ai entouré tous les villages où il y avait des centenaires et, depuis lors, c'est devenu une 'zone bleue'. Par exemple, dans le village sarde le plus riche en centenaires, on en a compté 56 sur 3.000 habitants, dont 29 hommes et 27 femmes: ce qui est exceptionnel, en général, il y a moins d'hommes centenaires que de femmes. Ce sujet m'a passionné et après Ogliastra en Sardaigne, j'ai été à Okinawa au Japon, à Nicoya au Costa Rica et à Ikaria en Grèce, et enfin, en Martinique.""Dans le groupe International database on longevity, il y a un comité d'évaluation des âges élevés (au-delà de 110 ans), des super centenaires. Dans les 200 identifiés en France, huit étaient à la Martinique et huit en Guadeloupe, ce qui était largement au-dessus de ce qu'on pouvait espérer."La Martinique est connue pour la longévité de ses 350.000 habitants mais également pour la forte émigration vers la métropole. Dès 2019, Michel Poulain a lancé un recensement des centenaires avec le support de l'association locale "Protégeons nos centenaires". Résultat? "Au 1er janvier 2023, l'île comptait 400 centenaires, soit deux fois plus par tête d'habitant qu'en France métropolitaine. Et quatre fois plus qu'en Belgique où il devrait y en avoir 12.000 à ce rythme-là, or il n'y en a que 3.000", constate-t-il. Autre observation: les Martiniquais très âgés vivent plus longtemps s'ils restent sur leur île par rapport à ceux qui ont émigré. Concrètement, entre 1898 et 2022, la probabilité de devenir centenaire était supérieure à 2% en Martinique, soit un nouveau-né sur 40. Un niveau similaire à ceux observés en Sardaigne et à Okinawa. Plusieurs hypothèses sont mises en avant: les avantages de la génétique (forte sélection liée au contexte de l'esclavage dont sont descendants la plupart des Martiniquais), un climat et un style de vie favorables ("prendre le temps de vivre") et une sécurité sociale et des soins de santé qui fonctionnent. Grâce à ce recensement, la Martinique a été décrétée 5e zone bleue de longévité dans le monde. Quand il se rend dans une région pour en valider les centenaires, Michel Poulain va de village en village consulter les registres de population et s'intégrer à la vie locale: " En Martinique, j'ai été au 108e anniversaire de Léonie qui est encore en bonne forme, notamment du point de vue cognitif. C'est un véritable plaisir, mais elle vit avec sa fille (87 ans) et sa petite-fille (67 ans). Ce que je constate dans les zones bleues, c'est la dimension humaine de la longévité, l'optimisme de ces gens-là, leur façon de vivre, l'absence de stress... Le secret est multidisciplinaire", résume-t-il. "Mon gros souci est de parvenir à faire des analyses multifactorielles. Par exemple, en Méditerranée, il y a deux fois plus de centenaires en Sardaigne qu'en Sicile, il y en a en Crête, à Rhodes, à Chypre, mais pas à Malte, ni à Madère. Pourtant le climat, la nourriture, l'altitude sont semblables..."Avec le concept de zone bleue, les chances de découvrir les facteurs associés à une longévité exceptionnelle sont accrues puisque leurs habitants ont probablement des caractéristiques génétiques communes, ont connu les mêmes conditions de vie depuis leur jeunesse, partagent les mêmes traditions, se nourrissent souvent en priorité de produits locaux et vivent dans le même environnement, tant physique qu'humain. Les enquêtes menées dans les zones bleues ont permis de dégager sept principes: bouger naturellement, manger intelligemment (produits locaux et de saison, sans excès...), éviter le stress et dormir suffisamment, maintenir des liens familiaux forts, stimuler le soutien communautaire (honorer les anciens...), respecter la planète et avoir un but dans la vie. "La croyance en l'existence d'un être supérieur est particulièrement forte chez les centenaires. La dimension spirituelle n'est pas négligeable, elle vient en supplément du reste. Ce n'est pas en changeant d'alimentation ou en faisant du sport que vous allez vivre dix ans de plus, il faut bien d'autres choses", insiste-t-il. Sur son site Longevity Blue zones, Michel Poulain a rassemblé 120 articles scientifiques qui traitent des zones bleues et de leurs caractéristiques. "Des chercheurs font des thèses de doctorat sur le sujet. Je suis très heureux que ce concept tienne la route parce qu'il y a une leçon à tirer pour nos sociétés. Dans des grandes métropoles comme Paris et Bruxelles, on gagne peut-être huit années d'espérance de vie grâce aux soins médicaux, mais on en perd dix à cause de la qualité de la vie (stress, boulots inintéressants...)."Quant à savoir si ces zones bleues vont se maintenir dans le temps, le démographe se montre peu optimiste: "J'en doute parce qu'en Grèce et au Costa Rica, par exemple, l'alimentation s'américanise et, en Martinique, les générations qui viennent ont été affectées par le chlordécone..."