Plus de quatre mois après la détection des premiers cas en Afrique, la prévalence et la mortalité sont encore faibles. Comment expliquer les bons résultats du continent africain ?

Bien sûr, on ne peut pas ignorer le manque de fiabilité des rapports et de l'enregistrement des décès. Mais d'autres facteurs apportent des réponses qui permettent de tirer des leçons, comme la rigueur des mises en quarantaine, les aspects démographiques, socioculturels, ou encore génétiques et épigénétiques. C'est l'avis défendu par plusieurs chercheurs dans le magazine Science, parmi lesquels le Liégeois Benjamin Dewals, chercheur au Farah, Centre structurel interdisciplinaire de recherche de la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Liège 2.

Il semble peu probable que la baisse de la mortalité due au Covid-19 en Afrique soit due à des facteurs génétiques.

À Contre-courant

L'Afrique est confrontée depuis longtemps à des défis sanitaires et socio-économiques majeurs qui auraient dû favoriser la propagation du virus. Le système de santé est pour le moins perfectible, les grandes villes font face à la surpopulation, et de nombreux Africains vivent en situation de pauvreté et dans des conditions insalubres.

Les chercheurs ont cependant remarqué que le nombre de cas et de décès recensés dans les grandes villes africaines n'a pas atteint le nombre attendu . " Le faible nombre de cas est souvent attribué à des tests insuffisants. Cependant, de nombreux pays africains ont mis en oeuvre des tests dès le début et plus de tests par nombre de cas ont été effectués que dans d'autres pays à des phases similaires de l'épidémie ", écrivent les chercheurs dans le magazine américain. " À ce jour, les pays africains n'ont pas indiqué d'urgence sanitaire aiguë ; cependant, des données fiables stratifiées par âge sont nécessaires pour saisir pleinement la situation du Covid-19 en Afrique et permettre de prendre des mesures appropriées. "

L'Afrique n'est donc pas épargnée. Mais la prévoyance des États africains permet jusqu'à présent de limiter la casse et la situation est comparable aux bons élèves asiatiques. " Des mesures telles que les restrictions de voyage, les couvre-feux et les fermetures d'écoles ont été mises en oeuvre tôt en Afrique par rapport aux autres continents, souvent avant qu'un pays africain n'ait détecté un cas ", analysent les chercheurs. " Ces réponses précoces pourraient avoir abouti à moins de cas importés et à réduire la transmission intra-pays, laissant suffisamment de temps pour préparer les systèmes de santé contraints au diagnostic et pour préparer des stratégies de quarantaine, de recherche des contacts et de distanciation sociale sur un continent qui a déjà l'expérience de ces pratiques pour contrôler les épidémies telles que la fièvre de Lassa et Ebola. "

Reste que de nombreux Africains vivent du secteur informel, où les conditions de travail rendent impossible le respect de nombreuses conditions.

Une population plus jeune

L'Afrique profite également de la jeunesse de sa population. Alors que la majorité des décès associés au Covid-19 surviennent chez des personnes âgées, l'Afrique affiche une population deux fois plus jeune que celle des États-Unis (âge médian de 19,7 ans contre 38,6 ans respectivement).

De quoi assurer que le continent soit moins impacté par le Covid que les autres ? Le brassage intergénérationnel étant plus important en Afrique qu'en Europe ou aux États-Unis, les chercheurs dégagent deux hypothèses : " Avec plus de cas d'infections chez les jeunes, il pourrait s'écouler une question de temps avant qu'un grand nombre de cas et de décès ne soient enregistrés. Alternativement, un développement plus rapide de l'immunité collective parmi la population jeune pourrait conduire à moins de cas graves. "

Un facteur génétique ?

Les caractéristiques génétiques du Sras-CoV-2 et la génétique humaine pourraient également figurer parmi les raisons de la faible incidence du Covid-19 en Afrique. " L'efficacité et l'adéquation de réponses adaptatives à des infections virales dépendent de multiples facteurs, notamment des infections passées ou présentes avec d'autres agents pathogènes. Il se pourrait donc qu'une exposition antérieure à des coronavirus humains apparentés pourrait générer une réactivité immunologique croisée ", explique Benjamin Dewals sur le site internet de l'ULiège 3. Autre hypothèse : l'exposition précoce et chronique à des agents pathogènes induit une forte réponse immunitaire régulatrice pour contrer une inflammation excessive, comme dans le cas du Sras-CoV-2.

Plutôt que de parler de génétique, on parlera toutefois d'épigénétique puisque, dans le magazine Science, les chercheurs notent également que " les Afro-Américains constituent un fardeau disproportionné de décès aux États-Unis ", et qu' " il semble donc peu probable que la baisse de la mortalité due au Covid-19 en Afrique soit due à des facteurs génétiques ".

La dernière affirmation est d'autant plus vraie que le système immunitaire est façonné non seulement par la génétique, mais également par des facteurs environnementaux (micro-organismes, parasites). Là également, Européens, Américains et Africains ne sont pas égaux. Il suffit de comparer le fardeau des maladies transmissibles et non transmissibles entre les continents pour s'en convaincre.

Un continent à étudier

Forte de toutes ces particularités, " l'Afrique devrait faire partie de la feuille de route pour la recherche sur le Covid-19 ", estiment les chercheurs. " Bien qu'il n'y ait pas de données disponibles sur les réponses immunitaires chez les patients africains atteints de Covid-19, des études montrent des différences nettes dans les profils d'activation, de pro-inflammatoire et de mémoire des cellules immunitaires non seulement chez les Africains par rapport aux Européens, mais aussi parmi les Africains fortement et faiblement exposés aux micro- organismes et parasites. "

Ceci étant, " il existe des divergences d'opinion sur la question de savoir si le modèle de propagation du Sras-CoV-2 est différent en Afrique par rapport à celui des États-Unis et de l'Europe ", concluent les chercheurs. La raison ? Le manque de données (cas asymptomatiques, anticorps). " Jusqu'à présent, malgré le manque de données, il semble que le virus se propage différemment et potentiellement avec un résultat atténué en Afrique. "

" La pandémie de Covid-19 doit souligner la nécessité de mettre en oeuvre à grande échelle des outils de santé publique, tels que des données de haute qualité, des diagnostics précis pour le suivi et la traçabilité, une bonne communication et un vaccin efficace ", conclut pour sa part Benjamin Dewals. " Il est essentiel de tester rapidement les vaccins dans différentes régions d'Afrique, car le degré élevé d'exposition aux pathogènes peut limiter les réactions aux vaccins. "

1. COVID-19 Dashboard by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopkins University (JHU), chiffres du 11 août 2020

2. Moustapha Mbow, Bertrand Lell, Simon P Jochems, Badara Cisse, Souleymane Mboup, Benjamin G. Dewals, Assan Jaye, Aalioune Dieye, Maria Yazdanbakhsh, COVID-19 in Africa : Dampening the storm. The dampened course of COVID-19 in Africa might reveal innovative solutions. Insights, Science, august 2020.

3. https://www.fmv.uliege.be/cms/c_5882482/fr/covid-19-le-cas-de-l-afrique

Plus de quatre mois après la détection des premiers cas en Afrique, la prévalence et la mortalité sont encore faibles. Comment expliquer les bons résultats du continent africain ? Bien sûr, on ne peut pas ignorer le manque de fiabilité des rapports et de l'enregistrement des décès. Mais d'autres facteurs apportent des réponses qui permettent de tirer des leçons, comme la rigueur des mises en quarantaine, les aspects démographiques, socioculturels, ou encore génétiques et épigénétiques. C'est l'avis défendu par plusieurs chercheurs dans le magazine Science, parmi lesquels le Liégeois Benjamin Dewals, chercheur au Farah, Centre structurel interdisciplinaire de recherche de la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Liège 2. L'Afrique est confrontée depuis longtemps à des défis sanitaires et socio-économiques majeurs qui auraient dû favoriser la propagation du virus. Le système de santé est pour le moins perfectible, les grandes villes font face à la surpopulation, et de nombreux Africains vivent en situation de pauvreté et dans des conditions insalubres. Les chercheurs ont cependant remarqué que le nombre de cas et de décès recensés dans les grandes villes africaines n'a pas atteint le nombre attendu . " Le faible nombre de cas est souvent attribué à des tests insuffisants. Cependant, de nombreux pays africains ont mis en oeuvre des tests dès le début et plus de tests par nombre de cas ont été effectués que dans d'autres pays à des phases similaires de l'épidémie ", écrivent les chercheurs dans le magazine américain. " À ce jour, les pays africains n'ont pas indiqué d'urgence sanitaire aiguë ; cependant, des données fiables stratifiées par âge sont nécessaires pour saisir pleinement la situation du Covid-19 en Afrique et permettre de prendre des mesures appropriées. "L'Afrique n'est donc pas épargnée. Mais la prévoyance des États africains permet jusqu'à présent de limiter la casse et la situation est comparable aux bons élèves asiatiques. " Des mesures telles que les restrictions de voyage, les couvre-feux et les fermetures d'écoles ont été mises en oeuvre tôt en Afrique par rapport aux autres continents, souvent avant qu'un pays africain n'ait détecté un cas ", analysent les chercheurs. " Ces réponses précoces pourraient avoir abouti à moins de cas importés et à réduire la transmission intra-pays, laissant suffisamment de temps pour préparer les systèmes de santé contraints au diagnostic et pour préparer des stratégies de quarantaine, de recherche des contacts et de distanciation sociale sur un continent qui a déjà l'expérience de ces pratiques pour contrôler les épidémies telles que la fièvre de Lassa et Ebola. "Reste que de nombreux Africains vivent du secteur informel, où les conditions de travail rendent impossible le respect de nombreuses conditions. L'Afrique profite également de la jeunesse de sa population. Alors que la majorité des décès associés au Covid-19 surviennent chez des personnes âgées, l'Afrique affiche une population deux fois plus jeune que celle des États-Unis (âge médian de 19,7 ans contre 38,6 ans respectivement). De quoi assurer que le continent soit moins impacté par le Covid que les autres ? Le brassage intergénérationnel étant plus important en Afrique qu'en Europe ou aux États-Unis, les chercheurs dégagent deux hypothèses : " Avec plus de cas d'infections chez les jeunes, il pourrait s'écouler une question de temps avant qu'un grand nombre de cas et de décès ne soient enregistrés. Alternativement, un développement plus rapide de l'immunité collective parmi la population jeune pourrait conduire à moins de cas graves. "Les caractéristiques génétiques du Sras-CoV-2 et la génétique humaine pourraient également figurer parmi les raisons de la faible incidence du Covid-19 en Afrique. " L'efficacité et l'adéquation de réponses adaptatives à des infections virales dépendent de multiples facteurs, notamment des infections passées ou présentes avec d'autres agents pathogènes. Il se pourrait donc qu'une exposition antérieure à des coronavirus humains apparentés pourrait générer une réactivité immunologique croisée ", explique Benjamin Dewals sur le site internet de l'ULiège 3. Autre hypothèse : l'exposition précoce et chronique à des agents pathogènes induit une forte réponse immunitaire régulatrice pour contrer une inflammation excessive, comme dans le cas du Sras-CoV-2. Plutôt que de parler de génétique, on parlera toutefois d'épigénétique puisque, dans le magazine Science, les chercheurs notent également que " les Afro-Américains constituent un fardeau disproportionné de décès aux États-Unis ", et qu' " il semble donc peu probable que la baisse de la mortalité due au Covid-19 en Afrique soit due à des facteurs génétiques ".La dernière affirmation est d'autant plus vraie que le système immunitaire est façonné non seulement par la génétique, mais également par des facteurs environnementaux (micro-organismes, parasites). Là également, Européens, Américains et Africains ne sont pas égaux. Il suffit de comparer le fardeau des maladies transmissibles et non transmissibles entre les continents pour s'en convaincre. Forte de toutes ces particularités, " l'Afrique devrait faire partie de la feuille de route pour la recherche sur le Covid-19 ", estiment les chercheurs. " Bien qu'il n'y ait pas de données disponibles sur les réponses immunitaires chez les patients africains atteints de Covid-19, des études montrent des différences nettes dans les profils d'activation, de pro-inflammatoire et de mémoire des cellules immunitaires non seulement chez les Africains par rapport aux Européens, mais aussi parmi les Africains fortement et faiblement exposés aux micro- organismes et parasites. "Ceci étant, " il existe des divergences d'opinion sur la question de savoir si le modèle de propagation du Sras-CoV-2 est différent en Afrique par rapport à celui des États-Unis et de l'Europe ", concluent les chercheurs. La raison ? Le manque de données (cas asymptomatiques, anticorps). " Jusqu'à présent, malgré le manque de données, il semble que le virus se propage différemment et potentiellement avec un résultat atténué en Afrique. "" La pandémie de Covid-19 doit souligner la nécessité de mettre en oeuvre à grande échelle des outils de santé publique, tels que des données de haute qualité, des diagnostics précis pour le suivi et la traçabilité, une bonne communication et un vaccin efficace ", conclut pour sa part Benjamin Dewals. " Il est essentiel de tester rapidement les vaccins dans différentes régions d'Afrique, car le degré élevé d'exposition aux pathogènes peut limiter les réactions aux vaccins. "