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La question posée au Comité par la Conférence interministérielle (CIM) Santé publique, en août 2020, renvoie "au nombre particulièrement élevé de décès en maison de repos (...), irréductible aux seules caractéristiques infectiologiques du coronavirus dont la létalité concerne en grande majorité les personnes âgées dont la santé est déjà fragile ; il devait donc y avoir d'autres explications à l'oeuvre".Pour les experts d'Amnesty International dans un précédent rapport, il n'y avait pas de doute: "Les droits humains des résidents des maisons de repos et maisons de repos et de soins (MR/MRS) ont été violés durant la première vague. Au total, 6.467 résidents de MR/MRS sont morts du virus, ce qui représente le chiffre de 63% de tous les décès attribués au Covid-19. La grande majorité des résidents des MR/MRS étant morts dans leur établissement", il est raisonnable de penser que certains ont manqué des soins tels que ceux qu'ils auraient pu recevoir dans un hôpital ou un établissement mieux équipé. Et une explication semble bien résider dans ce courrier du 17 mars où le Risk Management Group exhorte les hôpitaux à "libérer un nombre maximum de lits". Ce qui est ainsi transcrit dans une circulaire d'Iriscare: "(L)'établissement ne doit envoyer l'un de ses résidents à l'hôpital qu'en cas de stricte nécessité (...) Il est important de participer à chaque niveau au désengorgement des hôpitaux afin que les patients dans un état critique puissent bénéficier du suivi et des soins adaptés". On verra alors parfois des ambulances appelées dans les maisons de repos repartir à vide, refusant de prendre en charge des malades que l'on pense, à tort ou à raison, sans grande capacité de survie. Le 24 mars, le ministre flamand Wouter Beke aura beau préciser que ces directives "ne peuvent pas être utilisées par les hôpitaux pour refuser des personnes résidant en maison de repos", cette situation se reproduira... Sans doute certaines maisons de repos renonceront d'emblée à l'idée d'une hospitalisation qu'elles auraient peut-être demandée dans d'autres circonstances. Il y avait une réelle crainte de saturation des hôpitaux et, en particulier, des soins intensifs. Une situation qui finalement ne se présentera pas - mais qui a pu entraîner une mauvaise interprétation des critères de priorisation tels que ceux établis par la Société belge de médecine intensive. Au prix de combien de résidents ayant à supporter des symptômes pénibles dans les maisons de repos où l'on n'a alors toujours ni respirateurs, ni masques? Combien en mourront? Fin mai, une enquête de MSF montre une diminution des possibilités de référer les cas graves vers les hôpitaux, passées de 86% à 57%. La lasagne institutionnelle belge, une indigestion létale? "C'est impossible à dire. Il est certain qu'une meilleure collaboration entre hôpitaux et maisons de repos aurait amené à de meilleurs résultats et c'est la solution que nous préconisons pour le futur. Mais il n'est pas certain qu'avoir à disposition une structure centralisée de décisions, à l'inverse de la "lasagne" donc, aurait permis d'éviter un seul décès. On ne peut pas l'affirmer. Par contre les difficultés auxquelles ces institutions ont été confrontées durant la crise étaient déjà présentes, et la crise les a accentuées", tempère Jacinthe Dancot, Maître de conférences à l'ULiège en Sciences de la santé publique et co-rapporteur de cet avis. Pour éviter qu'une telle situation se reproduise ou pour au moins en atténuer l'impact, les sages du comité formulent une série de recommandations fonctionnelles, dont celle de mieux former et de mieux reconnaître les personnels des Maisons de repos et des Maisons de repos et de soins. En termes de gestion des soins et de déploiement d'une politique de soins cohérente, les experts éthiques recommandent que le socle nécessaire dans les maisons de repos soit une équipe interprofessionnelle qui comprenne le médecin coordinateur, en collaboration avec le médecin traitant et en tenant compte des droits des résidents (notamment le libre choix du prestataire de soins), mais aussi, d'après les expériences acquises sur le terrain, la contribution d'un gériatre, d'un psychiatre, d'un neurologue, d'un dentiste, d'un psychologue, d'un pharmacien et d'un représentant d'une équipe de soins palliatifs. La présence d'un psychiatre ou psychologue en particulier permettrait aussi de conseiller et contribuer à la formation des membres du personnel en matière de soins de santé mentale. Une fonction de médiation serait nécessaire, explique Jacinthe Dancot: "Les personnes résidant en maison de repos, proches et membres du personnel soignant et non-soignant doivent être associées aux décisions prises et pouvoir envisager ensemble comment faire face aux difficultés qui les concernent. Des modèles de gestion participative existent déjà.""Une manière d'améliorer la situation est de se pencher sur des expériences de participation comme l'expérience suédoise des "Tubbe", modèle de gestion des maisons de repos qui place les résidents au centre des décisions, qu'elles soient individuelles ou collectives. Ce modèle est déjà à l'oeuvre dans plusieurs maisons de repos belges", explique Jacinthe Dancot. "Nous recommandons également que la défense des droits des résidents soit assurée de manière systématique et structurelle dans les institutions. Nous pensons à une personne dans l'institution, qui serait officiellement chargée de cette tâche, et ce afin d'éviter des situations ou des attitudes contraires à toute déontologie professionnelle. Dans cet esprit, une fonction de médiation indépendante "droits du patient" pourrait être rendue obligatoire dans les maisons de repos, comme elle l'est déjà dans les hôpitaux et dans les maisons de soins psychiatriques". On le voit, le chantier est vaste pour que l'on puisse dire "Plus jamais cela".