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Ce livre, parsemé de souvenirs et d'anecdotes personnelles, présente la genèse et les acquis de la " réduction des risques ", un modèle de prise en charge des toxicomanes qui émerge en France au début des années 1990. L'idée est simple, mais révolutionnaire : il ne s'agit plus de réprimer une consommation de drogue (cannabis, opiacés, cocaïne, etc...) ou de viser une abstinence totale mais d'en limiter autant que possible la consommation (au besoin via une molécule de substitution, la méthadone ou la buprénorphine), le bénéfice escompté étant une diminution du nombre et de la gravité des effets secondaires.Durant les années 1990, la prise en charge des toxicomanes subit un changement radical sous la pression notamment des ONG spécialisées. À l'époque, la Loi du 31 décembre 1970, " de nature hybride ", puisque constituée " {d'}un volet sanitaire et {d'} volet répressif " réglementait le secteur (page 19). En contrepoint, un paradigme neuf émerge, celui de " la réduction des risques ", opérant un recentrement sur la santé et les droits de la personne. L'influence exercée par la mouvance des Droits de l'Homme est patente (Jean-Jacques Sonny Perseil, " Drogues et droits humains ", pages 101-107).Soit dit en passant, nous regrettons toujours l'absence d'une étude exhaustive analysant l'impact de la Convention européenne des Droits de l'Homme sur l'encadrement juridique de certaines pratiques médicales, les hospitalisations psychiatriques sous contrainte ( Winterwerp contre Pays-Bas, 24 octobre 1979) en constituant un exemple classique (2). Mais le champ jurisprudentiel est singulièrement plus étendu.Les auteurs le soulignent tous, le modèle de la " réduction des risques " a posé les bases d'un changement radical de perspective dans la prise en charge des personnes toxicomanes. En effet, à travers les intervenants à tous niveaux mobilisés, depuis les travailleurs sociaux de rue (Valère Rogissard, " le bas seuil ", pages 41-44) jusqu'aux intellectuels et aux politiques, ce paradigme a placé le patient, sa santé, ses souffrances, ses droits, son impasse de vie, etc..., au centre des préoccupations.Dès lors, la guerre contre les cartels de la drogue cédait le pas à une prise de conscience des réalités de vie des toxicomanes, considérés pour eux-mêmes, en tant qu'eux-mêmes (Anne Coppel, " Réduction des risques chez les usagers de drogues : existe-t-il un modèle français ?, pages 31-40)Ce paradigme a trouvé d'autres applications, notamment en alcoologie. En cette matière, les associations et les structures qui prennent en charge une consommation problématique d'alcool en utilisant ce modèle sont de plus en plus nombreuses.En alcoologie, l'approche tend en effet à devenir de plus en plus pragmatique. Si l'abstinence complète reste l'objectif idéal en matière de consommation, les intervenants sont devenus conscients de son inaccessibilité pour de nombreux patients. Ils visent désormais le plus souvent une réduction de la consommation. Dans certains cas, celle-ci est réalisée au domicile sous le " contrôle " d'une équipe mobile. L'objectif est de limiter autant que faire se peut les effets secondaires (physiques, moraux, psychologiques, familiaux, professionnels, financiers, assuranciels, judiciaires éventuellement, ...) de l'alcool.Il s'agit d'un tournant majeur dans l'histoire des idées. L'éthanol fait partie de toutes les civilisations depuis l'aube des temps historiques. Aucune culture n'a échappé à sa production, à sa consommation festive, à ses multiples effets anxiolytiques et désinhibants, à la détresse sociale qu'il peut entraîner.Sur le fond, cette perspective soulève une question centrale : un patient considéré comme dépendant (3) est-il in fine capable de contrôler sa consommation afin de la maintenir à un niveau raisonnable, en tout cas, susceptible d'en limiter les effets délétères ? Il semble que cela soit possible dans un certain nombre de cas avec un soutien médicamenteux.Issu de la prise en charge des toxicomanes, le modèle de la " réduction des risques " a gagné progressivement d'autres secteurs de l'addictologie, l'alcoologie en particulier.Le renversement de perspective est radical. Dès lors, la filière alcool (qui commence au domicile du patient en amont de l'hospitalisation et s'achève en aval de cette dernière) pourrait être repensée. Cependant, nous ne disposons pas encore de suffisamment de recul pour en déterminer les indications précises, en évaluer la pertinence dans différents types de situation ou en estimer la pertinence par rapport à d'autres méthodes de prise en charge (le sevrage intrahospitalier par exemple).