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"U ne série d'études montrent que la malnutrition générale nuit à l'immunité1. Dans la littérature, on parle de malnutrition protéino-énergétique MPE, un terme qui renvoie à la carence en protéines et en calories dans l'alimentation ", poursuit le Pr Martens. " Au niveau mondial, deux milliards de personnes souffrent de MPE. En Belgique, le problème se situe principalement du côté des personnes âgées et fragiles. Les chiffres varient quelque peu, mais nous pouvons dire qu'au moins 25 % des personnes de plus de 75 ans sont en général sous-alimentées. C'est particulièrement le cas dans les maisons de retraite. C'est là que vivent les plus fragiles d'entre eux. " La malnutrition générale fragilise la fonction de barrière du corps, c'est maintenant une certitude. De surcroît, on assiste à l'apparition de déficiences du système immunitaire adaptatif et inné. Les mécanismes de réparation se montrent moins performants. Globalement, ces écarts augmentent la sensibilité aux infections. Au-delà de la malnutrition générale, il existe certains manques spécifiques en termes d'hormones et de micronutriments. " Je suis heureux de lire dans l'enquête que la plupart des médecins savent reconnaître les micronutriments les plus bénéfiques ", se réjouit Geert Martens. " On a ainsi tout à fait raison de mettre en avant la vitamine D. Une dizaine d'études, dont la nôtre2*, ont démontré qu'il existait un lien entre carence en vitamine D et risque de Covid grave, et de décès lié à cette maladie. Je voudrais tout de même ajouter qu'il n'existe pour l'instant aucune preuve quant à la causalité. Il s'agit d'une corrélation, avec la pauvreté et la malnutrition comme facteurs confondants potentiels. " " Les autres micronutriments relevés par les participants sont le zinc, les vitamines E, A et C, ainsi que le sélénium qui, selon moi, aurait pu se retrouver un peu plus haut dans la liste. La carence en sélénium provoque le stress oxydatif, qui interfère non seulement dans le mécanisme naturel de rétablissement, mais provoque aussi une mutation accélérée des virus en des formes plus pathogènes. Citons un cas d'école : la maladie de Keshan, une myocardite virale provoquée par le virus Coxsackie B. Elle a été pour la première fois détectée dans la province chinoise de Heilongjiang, pauvre en sélénium. Un tel nutrition-virus nexus, c'est-à-dire une synergie entre les facteurs alimentaires et un agent viral, se retrouve également dans le cas de l'influenza, du HIV, de la polio et de la rougeole4, et pourrait donc également jouer un rôle dans l'affaire du Sars-CoV-2 3. En Belgique également, la carence en sélénium ne semble pas être si rare. A l'AZ Jan Palfijn et à l'hôpital universitaire de Gand, des études sont actuellement en cours pour expliquer le lien entre manque de sélénium et risque de Covid grave. Ces études font suite à des signaux venus de Chine, qui indiquent que le Sras-CoV-2 frappe plus violemment les régions à la prévalence supérieure de la carence en sélénium.5. " D'autres candidats dans la liste ? A côté des usual suspects susmentionnés (vitamines A-B-C-D-E, zink et sélénium), l'enquête aborde également les probiotiques et les bêta-glucanes, bien qu'il n'existe actuellement que trop peu de données de recherche permettant de définir dans quelle mesure ces deux nutriments sont vraiment protecteurs. Le Pr Martens indique que carences en macro- et micronutriments vont de pair. " Au Royaume-Uni, l'étude OpenSAFELY a montré, sur la base de 17 millions de dossiers médicaux, que la pauvreté constituait un facteur important de mortalité due au Covid-19 6. Nous savons déjà que la pauvreté s'accompagne d'un risque accru de malnutrition, tant en termes de micro que de macronutriments. " " C'est pourquoi, nous devons adapter nos stratégies à chaque patient. Les personnes menant une vie saine et au régime alimentaire varié n'ont généralement pas besoin de compléments. A l'exception peut-être de la vitamine D, car on sait que 45% de la population belge de plus de 18 ans en manque. " " Par contre, il faut être par- ticulièrement attentif à la malnutrition chez les personnes âgées, en particulier quand celles-ci vivent en maison de repos, ou chez les personnes de milieux socialement fragilisés. La détection de la malnutrition se fait par un simple prélèvement sanguin de routine, en observant certains paramètres comme l'albumine et la 25-hydroxyvitamine D. Le dosage en sélénium peut également être demandé. D'autres données proviennent de l'examen clinique, comme le tour de mollet par exemple7. " " Il est conseillé de prescrire aux personnes sous-alimentées un large éventail de compléments, à savoir un complexe multivitaminé composé de zink, de sélénium et de vitamine D. Si cela n'a aucun effet positif, cela ne peut pas faire de mal. Le plus important, c'est d'éviter les carences. Mon but n'est pas de donner des compléments alimentaires à tout le monde, mais bien d'attirer l'attention sur le fait que, dans nos contrées également, certaines personnes manquent de macro- et de micronutriments. "