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Le Journal du médecin : La politique consisterait-elle aujourd'hui en paraître agir, plutôt qu'agir ?Françoise Nyssen : Souvent, agir n'est pas simple, car il existe des blocages, des résistances et de la méfiance à tous niveaux : de l'administration par exemple, qui, avec ses habitudes et son organisation, peine à se remettre en question.L'autre résistance tient à la manière dont est posé, en France notamment, le débat démocratique, qui devrait être de discussion, dialectique. Dès que vous tentez de porter un projet, l'interrogation prend la forme de la défiance permanente, que ce soit, au niveau de mon expérience personnelle, aussi bien par exemple au niveau du pass culture, de la transformation de l'audiovisuel, ou de la loi sur les fausses nouvelles. Avancer s'avère compliquer. Résultat, à partir d'un certain moment, certains ministres choisissent de ne rien faire, pour ne fâcher personne. En a résulté pour moi de la frustration, mais d'autres vont diront qu'il s'agit de la stratégie politique bien pensée.Quel est l'impact des réseaux sociaux sur la politique ? Se sent-on plus scruté encore ?Nous sommes sous leur feu en permanence, et sans aucune possibilité d'avoir un vrai débat démocratique. Le mode y est constamment accusateur.Que pensez-vous de la professionnalisation de la politique, et une alternative est-elle absolument nécessaire à cette tendance ?Les ministres doivent-ils nécessairement être issus de la politique ou peuvent-ils être porteurs d'une compétence ? Dans mon cas, j'ai bien vu que cela posait problème : on m'a reproché en permanence le fait d'être éditeur. Comme si la déontologie n'était pas un concept propre à l'individu.À côté de ces professionnels formés à l'administration des affaires publiques, je pense à l'ENA notamment en France, il me paraît important de recruter des personnes issues de la société civile. En même temps, il convient d'oeuvrer de concert avec des personnes possédant une parfaite connaissance des institutions.Ma directrice de cabinet était à la fois énarque, philosophe, fut édile et dirigea l'administration de la création artistique : son côté multifacette lui permettait de se rendre compte d'où chacun parlait. Au contraire d'un énarque.Emmanuel Macron a d'ailleurs rencontré David Van Reybrouck, auteur chez Actes Sud, lequel lui a expliqué la nécessité d'avoir des personnes tirées au sort et issues de la société civile. Ce qu'a fait le Président dans le cadre de cette fameuse assemblée de travail sur les questions écologiques.Comment expliquez-vous le désamour pour la politique au regard de votre expérience ?Cela rejoint ce que nous disions sur les assemblées citoyennes. Il y a trop de distance, d'écart : si les citoyens étaient confrontés dès le plus jeune âge à la lecture, ils se lanceraient plus aisément dans une prise de responsabilités. L'école doit être une école de la confiance et du désir d'apprendre, d'aller de l'avant : de stimuler le désir et l'engagement.Engagé, on ne peut simplement rejeter la faute sur les politiques. Nous sommes tous responsables de notre vie : l'on a sans doute trop développé l'idée que l'on attendait tout du politique...Ceux qui sont à la manoeuvre seraient-ils un peu déconnectés de la vie réelle ?Je ne peux que parler de mon expérience française : l'idée de Macron était au départ de casser cet état de fait. Au bout du compte, il a choisi un premier ministre qui gère la droite et qui est dans la tradition du politique classique. Élégant, fin connaisseur, bon juriste, parlant haut et bien ; mais ce n'est pas un homme de terrain, même s'il fut maire du Havre.Et surtout, il ne faut pas oublier la façon dont on s'entoure : les conseillers culturels de Matignon ou de l'Élysée à l'époque mon ministère, étaient déconnectés du terrain.Ne faudrait-il pas plus de femmes, de non-professionnels... voire les deux ?On ne devrait même pas devoir aborder la question, les femmes représentant la moitié de l'humanité. Mais c'est une réalité : nous avons tous nos qualités et, aujourd'hui, nous sommes tous conscients que les actions doivent être menées en symbiose et en coopération, à l'image ce qui se passe dans la nature.Comment peut-on imaginer un monde politique qui mettrait en minorité les femmes? C'est absurde. Par contre, je refuse le politique-bashing, au regard notamment des réseaux sociaux : les personnes qui se lancent dans cette aventure font preuve de courage...Je ne suis d'ailleurs pas certaine, rétrospectivement, que j'y serais allé : j'ai d'ailleurs d'abord dit non avec insistance, avant d'accepter. À refaire, je ferais mieux, car plus aguerrie et capable de mieux mener ma barque.Le pire était-ce d'être femme, de ne pas avoir fait l'ENA... ou d'être belge?De ne pas avoir fait l'ENA et d'être femme. Le fait de ne pas être de leur sérail et de ne pas être parisienne.Je voulais changer de paradigme et lancer l'opération la culture près de chez vous : je ne me suis fait incendier par les Parisiens.En vous lisant, on se rend compte que l'enseignement en Belgique n'est pas hiérarchisé comme en France ?L'éducation y est plus accessible et moins élitiste : il n'y a pas ce système des grandes écoles versus les universités.J'ai fait une licence en chimie à l'ULB, pas dans une grande école. L'on constate que dans l'Hexagone, l'angoisse se situe au niveau de l'examen d'entrée dans ces établissements : une fois cette épreuve passée, car s'en est une, les étudiants ne travaillent plus et n'apprennent plus.