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L'étude avait débuté après que le chinois He Jiankui ait manipulé le génome de jumeaux homozygotes à l'aide de la technique CRISPR. Le scientifique était ainsi parvenu à provoquer l'expression du gène CCR5. He Jiankui espérait imiter un phénomène observé chez les porteurs homozygotes d'une mutation spécifique du gène CCR5, appelée delta 32 et engendrant la résistance des sujets susmentionnés au VIH.Le gène CCR5 code pour une protéine de surface qui sert de co-récepteur au VIH-1, le type le plus courant de VIH. En son absence ou en cas de dysfonctionnement, le VIH ne peut s'introduire dans les cellules T auxiliaires, comme c'est le cas chez les porteurs homozygotes de la mutation delta 32 du CCR5.La mutation delta 32 dans le gène CCR5 doit son nom à la délétion de 32 paires de base dans le gène concerné. Près de 10% de la population européenne présentent cette mutation (1% environ des porteurs homozygotes). La plupart vivent en Scandinavie, et l'on pense que cette mutation est apparue il y a au moins 700 ans et a été propagée en Europe par les Vikings.Au cours du printemps passé, une étude américaine claironnait que les porteurs homozygotes de la mutation delta 32 du CCR5 avaient une espérance de vie légèrement plus courte que le reste de la population (voir jdM n° 2601). Rasmus Nielsen et al. basaient leurs conclusions sur des données provenant de UK Biobank. Ils y avaient trouvé moins de porteurs homozygotes que dans les prévisions théoriques, et en avaient conclu que ces personnes mouraient plus jeunes. Cette sensibilité légèrement supérieure s'expliquait potentiellement et partiellement par une étude précédente de plus petite envergure, selon laquelle les porteurs homozygotes étaient moins armés contre la grippe.Les découvertes de Nielsen et al. avaient été publiées dans Nature Medicine. L'épidémiologiste britannique Sean Harrison a voulu les vérifier. Il ne disposait certes pas des données sur la mutation delta 32 que Nielsen avait retirée de UK Biobank, mais bien de variantes génétiques proches du gène CCR5. Normalement, son travail aurait dû aboutir à la même conclusion, à savoir une espérance de vie plus courte, puisque des parties contiguës du génome sont très souvent héritées ensemble. Toutefois, Sean Harrison n'est pas parvenu aux mêmes résultats que Nielsen.Le généticien américain David Reich a porté le coup final, déclarant que Nielsen avait sous-estimé la prévalence des porteurs homozygotes provenant de UK Biobank. La sonde génétique qui avait permis de déceler la mutation delta 32 dans le gène CCR5 avait en effet commis des erreurs. Beaux joueurs, les chercheurs ont reconnu l'inexactitude de leur publication et l'article original a été retiré de Nature Medicine.La presse a insisté sur le fait que l'incident ne discréditait en aucun cas UK Biobank. La faiblesse porte exclusivement sur la détection de la CCR5 delta 32. Quant à la pertinence de l'affaire dans le cas des jumeaux chinois, le mystère reste entier. Il faut toujours se rappeler que le récepteur CCR5 joue un rôle encore mal connu à ce jour. De surcroît, la mutation induite par He Jiankui n'est pas de type delta 32. Le pronostic des enfants reste donc incertain.