S'il y a des "journée internationale du..." ou "journée européenne de la ..." dont vous n'avez jamais entendu parler, c'est probablement le cas de celle de demain. Ce samedi marque la journée européenne pour un usage conscient des antibiotiques. L'Union européenne lance cette initiative de santé publique car elle estime que la résistance aux antimicrobiens (RAM) est l'une des plus grandes menaces pour la santé publique d'aujourd'hui et de demain. Dès lors que les bactéries deviennent insensibles aux antibiotiques, ces derniers ne sont plus en mesure de les éradiquer ou de les inhiber. "Dans les projections les plus pessimistes du Réseau européen de surveillance de la consommation d'antimicrobiens (EARS-Net), il n'y aura plus d'antibiotiques efficaces à l'avenir. Les interventions chirurgicales deviendront beaucoup plus risquées et les infections qui pouvaient être traitées seront à nouveau mortelles", alerte le SPF Santé publique dans un récent rapport.
Les chiffres affolants de la résistance antimicrobienne
Quelle charge fait actuellement peser sur nous la résistance antimicrobienne? Pour la seule année 2020, le Centre européen de contrôle des maladies infectieuses (ci-après, ECDC) estime cette charge à l'échelle européenne à plus de 800.000 infections à des bactéries résistantes aux antibiotiques. Plus de 35.000 décès y sont directement liés. Pour concrétiser l'impact de ces infections d'une autre manière, on estime qu'elles ont entrainé la perte de plus d'un million d'années de vie en bonne santé (pas de mauvaise santé, de handicap ou de décès prématuré). En comparaison avec d'autres maladies infectieuses, la charge titanesque de la RAM équivaut à celles de la grippe, de la tuberculose et du VIH/SIDA combinées.
Une difficulté avec la problématique de la résistance antimicrobienne est que, "si vous demandez aux gens dans la rue, ils ne savent pas ce que ça veut dire", regrette Dominique Monnet, chef de la section RMA au Centre européen de surveillance des maladies infectieuses. "Pourtant, on doit garder à l'esprit que ce sont nos patients qui souffrent d'infections à des bactéries résistantes à ces antibiotiques. Cela résulte en années de vies perdues, et parfois en décès." Alors l'ECDC a cherché des récits de patients et a repéré l'histoire d'Areti. À 13 ans, la jeune fille a été diagnostiquée d'une leucémie lymphoblastique aigüe. Une chimiothérapie est initiée, et un cathéter lui est posé. Pendant son traitement anticancéreux, elle développe une infection à la klebsiella, une bactérie difficile à traiter qui a développé une résistance à la plupart des antibiotiques à spectre large, ainsi qu'à certains antibiotiques de dernier recours. La chimiothérapie d'Areti a dû être suspendue, le temps d'essayer de traiter l'infection.
Areti, 13 ans à l'époque : "Cela a mis en danger mes chances de vaincre le cancer, mais, même à mon âge, j'ai compris que je ne pouvais mener qu'une bataille à la fois."
Areti a un souvenir très vivace du jour où les médecins lui ont annoncé que la klebsiella avait probablement infecté son cathéter. Il a fallu le lui retirer. Seulement après cette étape, sa chimio a pu reprendre. Aujourd'hui, 12 ans plus tard, Areti est en vie, en bonne santé et vit une vie normale. Mais seulement au prix de gros risques pris avec le traitement contre son cancer.
Cinq cibles d'action d'ici 2030
L'ECDC s'est allié à deux réseaux européens de surveillance: ESAC-Net, qui surveille la consommation d'antibiotiques dans l'UE, et EARS-Net, déjà mentionné, qui contrôle la résistance antimicrobienne sur le même territoire. "À chaque fois qu'on vérifie pour voir s'il y a une corrélation entre consommation et résistance, on en trouve une!", explique Dominique Monnet. "Plus un État consomme d'antibiotiques macrolides, plus élevée est la proportion d'infections qui seront résistantes à ces macrolides." En réaction, le Conseil de l'Union européenne a pris une recommandation pour mettre en place des actions afin de combattre la RAM dans une approche "One health". Cinq cibles chiffrées ont été déterminées pour l'horizon 2030.
La première consiste en une baisse de -20% dans la consommation d'antibiotiques. Si, à l'échelle européenne globale, il reste beaucoup d'efforts à faire (la décroissance actuelle est chiffrée à -2.5%), la Belgique est sur la bonne voie puisqu'elle affiche déjà, pour la période 2019-2022, une baisse de -4.4%. On notera quand même que, malgré cette "bonne pente", le Royaume démarrait dans les mauvais élèves européens en terme de consommation d'antibiotiques.
Le deuxième objectif joue sur une utilisation plus ciblée des antibiotiques. Plus il est ciblé, moins il entraînera de résistance. La troisième cible vise une baisse de -15% des incidences d'infections sanguines au staphylocoque doré résistant à la méticilline. Ici, la Belgique fait figure du meilleur élève européen puisqu'elle affiche déjà une baisse de -51%, là où d'autres États enregistrent carrément des augmentations (+48% pour la Roumanie, +99.4% pour la Croatie, +113% pour Chypre). Pour son quatrième objectif, la diminution de -10% des incidences d'infections d'Escherichia coli résistantes aux céphalosporines de 3e génération, l'UE était bien partie avec une baisse de -16.8%, mais depuis la fin de la pandémie de covid-19, les infections repartent à la hausse. Enfin, la cinquième cible est particulièrement préoccupante, puisque l'UE enregistre actuellement une hausse de +49.5% des infections à la Klebsiella pneumoniae, là où elle vise une diminution de -5%. Ici encore, notre petit pays remplit déjà les objectifs, avec une baisse effective de -8.5%.
"Nous avons besoin de nouveaux antibiotiques"
La responsabilité qui pèse sur le secteur des soins de santé est lourde. Que faire pour atteindre collectivement les objectifs européens? "Nous devons être plus prudents avec l'usage des agents antimicrobiens disponibles: seulement quand c'est nécessaire, avec la dose correcte, avec les bons intervalles entre les doses, et pendant la bonne durée", martèle Dominique Monnet.
En outre, plus de 70% des infections à des bactéries résistantes se font dans des milieux de soins de santé. Un deuxième pilier d'actions à adopter est donc la prévention et le contrôle de la transmission des bactéries. "Une meilleure prise en charge des patients, un meilleur screening et ensuite isoler le patient positif à la bactérie, pour être certain qu'il ne la transmette pas à d'autres patients dans l'hôpital", conseille l'expert, qui renvoie vers un algorithme de décision publié par l'ECDC.
"Ce pack de mesures permet au personnel qui travaille localement de décider ce qu'il devrait faire avec le patient." La méthode appliquée dans une unité de soins intensifs de Modène a permis de contrôler l'épidémie sans fermer l'unité. "Ce qu'ils ont fait à Modène est remarquable. C'est donc possible. C'est beaucoup de travail, mais c'est possible." Sur le plan économique, le Centre estime que pour chaque euro investi dans le package de mesures épargne trois euros. "C'est valable pour tous les pays", précise Dominique Monnet.