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Après L'ordre du jour, prix Goncourt en 2017, qui décrivait le ralliement des maîtres de forges allemands au régime nazi, Éric Vuillard s'attaque avec Une sortie honorable à la chute de Diên Biên Phu vu sous l'angle des intérêts politiques, économiques et financiers hexagonaux, ce dernier point révélant au final que la Banque Française d'Indochine profita à plein de la défaite, des morts au combat pour la France la plupart des tirailleurs "colonisés" notamment venus du Maghreb. Partant de la condition atroce des coolies travaillant dans les plantations d'hévéa pour Michelin notamment selon une méthode tayloriste, ce récit se termine 50 ans plus tard sur la chute de Saïgon, oeuvre de Viets en guenilles et en sandales de... caoutchouc dans un petit pays qui vit s'abattre plus de bombes que tout ce que les Alliés avaient pu déverser durant la Deuxième Guerre mondiale: 4 millions de tonnes! Dans ce portrait subtil d'une époque, en écho de la nôtre, et de ses protagonistes teinté d'une ironie et d'une indignation rentrée, le style se révèle synthétique, l'écriture aussi chirurgicale qu'une frappe, la phrase de Vuillard longue, les mots se tenant précairement en équilibre sur son fil, fonctionnant en rhizomes comptables de l'Histoire, la grande: les hommes qui la font se montrent souvent petits, lâches puisque prenant à distance des décisions lourdes en termes humains, tel le "pilote" d'un drone tueur aujourd'hui.