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Si l'on se réfère aux succès remarquables de la vaccination en termes de santé publique, il semble a priori paradoxal et irresponsable de nourrir une méfiance tenace à son égard ou, plus encore, de la vouer aux gémonies. Si l'attitude et les campagnes des antivax sont scientifiquement infondées et empreintes de désinformation, la stigmatisation des hésitants vaccinaux manque aussi de nuance. C'est l'avis d'Olivier Klein et de Vincent Yzerbyt, professeurs de psychologie sociale respectivement à l'Université libre de Bruxelles et à l'Université catholique de Louvain. Dans un essai intitulé "Psychologie de la vaccination", publié en 2023 aux Éditions de l'Université de Bruxelles, ils défendent la thèse suivante: lorsqu'on analyse l'hésitation vaccinale, on ne peut faire fi d'un ensemble de déterminants psychologiques et sociaux qui peuvent parfois conduire au refus de se faire vacciner ou à la méfiance vis-à-vis de tous les vaccins ou de certains d'entre eux. La motivation est centrale dans l'intention et la décision de se faire vacciner. Elle peut prendre deux formes. La "motivation volontaire" repose sur notre besoin d'autonomie, le sentiment qu'on ne nous dicte pas notre conduite. Elle est le prédicteur le plus robuste de l'intention vaccinale, laquelle sera forte notamment si la protection de notre santé et de celle des autres a une valeur essentielle à nos yeux et que nous estimons que la vaccination est en adéquation. Si, en revanche, une campagne vaccinale est perçue comme contraignante, contraire à nos valeurs et nos priorités, l'intention de se faire administrer un vaccin sera sapée. Le second type de motivation, la "motivation contrôlée", reflète le sentiment qu'il est nécessaire d'agir, en l'occurrence de se faire vacciner, tantôt pour éviter la réprobation sociale, tantôt pour obtenir une récompense. Par exemple, durant la pandémie de la covid-19, être vacciné donnait droit à l'obtention du Covid Safe Ticket. Si les motivations volontaire et contrôlée augmentent en principe la propension à se faire vacciner, elles peuvent se heurter à une absence de motivation résultant soit de la méfiance, de doutes sur l'efficacité et la sécurité des vaccins ou sur les intentions et la compétence des autorités et des experts, soit de l'effort à consentir. Ainsi, certains ont pu être enlisés dans les démarches à accomplir pour prendre un rendez-vous dans un centre de vaccination lors de la récente pandémie. Un phénomène inattendu pèse d'un poids non négligeable dans la réticence à se faire vacciner: la peur des seringues. Une étude américaine datant de 2021 a révélé que plus de la moitié des individus d'un échantillon d'adultes non encore vaccinés contre la covid-19 relataient une peur des injections. Selon Vincent Yzerbyt, il y a des raisons de penser que certaines personnes embrassent des théories complotistes pour y trouver une justification à leur opposition à la vaccination, alors que sa cause ne serait parfois que l'effroi inspiré par l'idée de l'intrusion d'une seringue dans leur corps. Olivier Klein et Vincent Yzerbyt rappellent qu'à des degrés divers, nous sommes tous sujets à des mécanismes de pensée à l'origine d'une altération du jugement. Ces "biais cognitifs" sont nombreux et jouent un rôle dans notre intention de nous faire vacciner ou non. Exemple: derrière le biais au nom de "post hoc ergo propter hoc", emprunté au latin, se cache notre tendance à confondre association d'événements et relation de cause à effet. Quelqu'un décède d'un infarctus trois jours après s'être vu administrer un vaccin. La tentation sera grande d'attribuer la responsabilité de sa mort à celui-ci. Or, statistiquement, il est établi que parmi toutes les personnes qui se font vacciner un jour donné, certaines décéderont peu après d'une crise cardiaque, indépendamment du vaccin. 'Ça n'arrive qu'aux autres': voilà un autre biais, d'optimisme cette fois. Les données du Baromètre de la motivation ont mis en évidence durant la pandémie de la covid-19 que la majorité des individus se croyaient moins à risque que le reste de la population. Ce type de croyance relève quelquefois du "santéisme", mouvance qui confine au sentiment d'être prémuni contre les maladies grâce à une saine alimentation, à une parfaite hygiène de vie, au recours à une médecine naturelle, etc. "Les hésitants vaccinaux qui sont dans cette posture se revendiquent même parfois de la science, mais d'une science naturelle, légitime, contrastant avec une science dévoyée par des forces occultes - financières et étatiques", commente le Pr Yzerbyt. De nombreux autres biais cognitifs sont susceptibles d'influer sur l'intention vaccinale, mais ils ne constituent qu'une des composantes du problème. Nous ne vivons pas isolés ; une multitude d'appartenances à des groupes (sexe, âge, statut ethnoculturel...) et de liens sociaux contribuent également à façonner nos attitudes et décisions en faveur ou contre la vaccination en général ou certains vaccins en particulier. Deux grands types de normes sociales nous influencent. Les unes sont "descriptives" - le comportement des personnes qui nous entourent nous sert souvent de modèle. Les autres, "prescriptives", sont des standards partagés de ce qu'il convient de faire dans une situation donnée. Dans les deux cas, les professionnels de la santé, par leur proximité avec les citoyens et la légitimité que ceux-ci leur attribuent communément, ont un rôle crucial à jouer en faveur de l'intention vaccinale à travers leur comportement (se faire vacciner) et leurs conseils. Aux termes de la théorie de l'identité sociale, nous nous percevons, selon le contexte, tantôt comme des individus distincts des autres, tantôt comme des membres d'une collectivité, d'un "endogroupe" au sein duquel une identité partagée nous confère un sentiment de puissance et guide notre conduite. L'endogroupe se distingue des autres groupes, les "exogroupes", qui peuvent cristalliser de l'hostilité à leur égard. Ainsi, les antivax pourront être perçus par les provaccins comme des obscurantistes réactionnaires et les défenseurs de la vaccination, par le courant contraire, comme des "moutons" à la botte de la "mauvaise science". Les identités sont mouvantes en fonction des contextes socioculturels et économiques. Chez des personnes défavorisées n'ayant qu'un accès très limité aux soins, l'antivaccinisme peut être le fruit d'un rejet du monde de la santé ou du sentiment d'une connivence entre celui-ci, les autorités et le "Big Pharma". Chez d'autres, le fruit d'une opposition aux élites ou au "système" quand bien même ils ne seraient pas réfractaires à la vaccination en soi. Tout cela sans oublier le poids considérable des rumeurs, comme celle qui circula en 1994 au sujet du vaccin contre le tétanos, prétendument vecteur de stérilité, et des théories complotistes, les unes et les autres dopées par les réseaux sociaux.