...

C'était devenu une fameuse polémique: le taux affiché sur le compte d'épargne/carnet de dépôt était jugé dérisoire par tout le monde, au point que des voix s'élevaient pour que le gouvernement légifère en la matière. À la mi-mai, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem avait adressé une véritable mise en demeure à Febelfin, l'association professionnelle du secteur financier en Belgique. Laquelle rétorqua qu'une telle intervention de l'État pourrait "affecter profondément la stabilité du secteur bancaire". Position visiblement peu crédible. Dans une interview publiée le 3 juin par Le Soir, le Premier ministre Alexander De Croo déclarait pour sa part: "J'estime qu'à un certain moment, je l'espère très prochainement, les banques vont réagir et augmenter le rendement sur l'épargne." Et il ajoutait: "Mais si le marché ne fonctionne pas, alors on fera fonctionner le marché ." D'où ce deuxième coup de pouce à la rémunération du compte d'épargne, toujours jugé fort timide. C'est en janvier dernier que les grandes banques avaient mis fin au triste règne de la rémunération de base symbolique de 0,01%. Et c'est Belfius qui avait dégainé la première, suivie par KBC, avec un taux global (taux de base + prime de fidélité) de respectivement 0,50 et 0,60% pour le compte de base. On se souvient que Fortis s'était fait un peu attendre, pour présenter une formule nouvelle, avec un carnet de base et un carnet à long terme. On s'en voudrait toutefois de ne pas rappeler que Keytrade, toujours franc-tireur, avait déjà boosté ses taux au début décembre 2022, portant à 1% le total du taux de base (0,30%) et de la prime de fidélité (0,70%, contre 0,15%) sur le compte High Fidelity. Mais pourquoi le niveau alors décidé par les banques, salué positivement mais sans enthousiasme excessif, était-il ces dernières semaines jugé beaucoup trop bas, pour ne pas dire scandaleux? Parce qu'il était très inférieur à l'inflation? Non: les banques n'ont pas pour mission de la compenser. Elle s'inscrit du reste en baisse depuis plusieurs mois. En réalité, c'est du côté de la Banque centrale européenne (BCE) que se trouve la réponse. Explication en quelques mots. Le coup de pouce de janvier suivait de peu le relèvement par la BCE de ses "taux directeurs", suivant l'expression consacrée. Parmi ceux-ci, on trouve le "taux des opérations principales de refinancement", soit le taux auquel la BCE prête de l'argent aux banques qui en ont besoin à court terme. Il existe aussi un taux de la "facilité de dépôt", communément appelé taux de dépôt. C'est exactement l'inverse: c'est le taux auquel la BCE rémunère les liquidités que les banques n'ont pas utilisées pour faire du crédit et qu'elles viennent alors lui déposer. Un peu comme un épargnant dépose de l'argent sur son compte d'épargne. Pour forcer les banques à consentir du crédit, c'est-à-dire pour soutenir l'activité économique, la BCE avait imprimé un taux négatif à cette facilité de dépôt, de juin 2014 jusqu'en juillet 2022. Avec la flambée d'inflation qui a déferlé l'an dernier, la BCE a complètement changé son fusil d'épaule: il fallait au contraire freiner l'économie. Donc rémunérer de manière attrayante l'argent que les banques viendraient lui déposer, plutôt que de faire crédit. Et la BCE n'y a pas été avec le dos de la cuillère, puisque, de -0,5% en été, ce taux est progressivement passé à +2% en décembre 2022 et à 3,25% le 10 mai dernier. Il pourrait passer à 3,50% lors de la prochaine réunion... soit ce jeudi 15 juin. On comprend aisément la critique à l'égard des banques commerciales: autant il était logique qu'elles ne rémunèrent le compte d'épargne que de manière symbolique quand cet argent... leur coûtait de l'argent en le déposant à la BCE, autant ce ne l'est plus du tout quand cet argent leur rapporte plus de 3%! D'où ces articles et tribunes avec des titres vendeurs comme "La BCE offre des milliards aux banques", ou "Comment les banques s'enrichissent en ne faisant rien". La seconde petite augmentation du rendement du carnet de dépôt initiée par Belfius reste modeste. Patron de la banque de détail, Luc Onclin tempère dans une interview au magazine Trends: "Le compte d'épargne est un produit bancaire qui garantit une disponibilité entière de ses avoirs au client. Celui qui veut pleinement profiter des conditions de marché, et qui n'a pas de souci pour la partie liquide de son épargne (ndlr: c'est-à-dire rassuré par son dépôt sur un compte d'épargne), doit se tourner vers d'autres produits qui offrent une garantie de capital et qui sont liés aux taux d'intérêt tels que les placements obligataires ou ceux de la branche 21". Telle est en fait la différence entre épargne et investissement, on ne saurait l'oublier.