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Disparu voici tout juste 20 ans, le sociologue Pierre Bourdieu s'était vu reprocher d'avoir à la fin de la sa vie cherché la lumière des projecteurs et d'avoir quitté le monde académique pour l'arène politique. Fustigé par les élites, les politiques et les journalistes qu'il n'épargnait pas, il était accusé de s'engager sur le tard dans le débat sociétal. Or, la réédition d'Interventions 1961-2001 le prouve: toute sa vie, c'est-à-dire depuis son travail en Algérie au moment de l'indépendance jusqu'à l'avènement de l'altermondialisme quelques mois avant sa mort, Pierre Bourdieu n'a eu de cesse de s'engager, résolument, radicalement dans un combat pour la justice sociale, tout sociologue qu'il fut: ceci à la manière au niveau géopolitique d'un Gérard Chaliand, développant sa vision du monde depuis les fronts de guerre. Une méthode empirique qui déplaît dans une France toujours aussi rhétorique et théorique, qui préfère les beaux parleurs aux penseurs parfois butés, mais tenaces. à la relecture de ce livre, on est sidéré par la prescience de Bourdieu quant à la dérive de la globalisation, de ses méfaits écologiques et sociétaux, à propos du triomphe du puritanisme économique américain, du communautarisme. On aurait voulu son avis éclairé après la crise des subprimes, celle provoquée par les attentats, le Covid, et l'invasion de l'Ukraine. Ce penseur qui était certainement de la vraie gauche, taxée d'extrême pour qu'elle fasse peur, aurait sans doute navigué dans la mouvance de la France insoumise... mais sans jamais s'y soumettre.