Médecin à sa fenêtre

Ne dites jamais jamais. M'aurait-on prédit qu'un jour mon cabinet aurait l'allure d'un guichet de poste, j'en aurais ri aux larmes. Depuis six mois pourtant, le coronavirus a orné mon bureau d'un vaste écran en plexiglass, qui nous protège les uns des autres et modifie ma perception. Vaste fenêtre sans bord, il m'a d'abord donné l'impression d'observer les patients comme des passants, vivant leur vie et leurs soucis dans la rue. Ils allaient et venaient, et moi j'observais. Certains jours une mouche s'y promène, renforçant l'impression d'une réalité superposée : moi, elle, eux.

Une réalité augmentée

Tout est vrai, successivement. La perception qu'on a d'une gêne momentanée résiste rarement à la nécessité et à l'écoulement du temps. Miracle de la physique des miroirs sans tain, j'observe rapidement que le reflet de la lumière du jour dans mon dos projette mon propre visage en surimpression de celui des patients qui me font face. Au début, je tentai en vain de supprimer ce qui m'apparaissait comme une altération de la réalité en obscurcissant la pièce, fermant les tentures, me déplaçant à gauche ou à droite. Jusqu'à je m'aperçoive que ce reflet dans le miroir correspondait exactement à ce que les patients pouvaient observer de moi, un regard attentif ou distrait, pianotant le clavier de l'ordinateur ou scrutant leur souffrance, visage souriant ou inquiet selon mon état de fatigue, l'avancement de la consultation ou la simple sympathie éprouvée différemment pour l'un ou l'autre. Loin de s'éloigner, nos visages se voient ainsi rapprochés et se marque la nécessité de surveiller mon expression, la direction du regard et son intérêt pour ce que le patient rapporte. Ce plexiglass me surveille. En outre, lorsque le récit du patient se fait trop difficile, sa parole entravée par le masque peut se voir libérée momentanément grâce à la protection apportée par l'écran.

La barrière qui sépare peut ainsi paradoxalement se révéler un outil de réalité augmentée, stimulant mon attention plutôt que de la laisser gambader en toute fantaisie. L'enlèverai-je un jour ?

Carl Vanwelde

Ne dites jamais jamais. M'aurait-on prédit qu'un jour mon cabinet aurait l'allure d'un guichet de poste, j'en aurais ri aux larmes. Depuis six mois pourtant, le coronavirus a orné mon bureau d'un vaste écran en plexiglass, qui nous protège les uns des autres et modifie ma perception. Vaste fenêtre sans bord, il m'a d'abord donné l'impression d'observer les patients comme des passants, vivant leur vie et leurs soucis dans la rue. Ils allaient et venaient, et moi j'observais. Certains jours une mouche s'y promène, renforçant l'impression d'une réalité superposée : moi, elle, eux. Tout est vrai, successivement. La perception qu'on a d'une gêne momentanée résiste rarement à la nécessité et à l'écoulement du temps. Miracle de la physique des miroirs sans tain, j'observe rapidement que le reflet de la lumière du jour dans mon dos projette mon propre visage en surimpression de celui des patients qui me font face. Au début, je tentai en vain de supprimer ce qui m'apparaissait comme une altération de la réalité en obscurcissant la pièce, fermant les tentures, me déplaçant à gauche ou à droite. Jusqu'à je m'aperçoive que ce reflet dans le miroir correspondait exactement à ce que les patients pouvaient observer de moi, un regard attentif ou distrait, pianotant le clavier de l'ordinateur ou scrutant leur souffrance, visage souriant ou inquiet selon mon état de fatigue, l'avancement de la consultation ou la simple sympathie éprouvée différemment pour l'un ou l'autre. Loin de s'éloigner, nos visages se voient ainsi rapprochés et se marque la nécessité de surveiller mon expression, la direction du regard et son intérêt pour ce que le patient rapporte. Ce plexiglass me surveille. En outre, lorsque le récit du patient se fait trop difficile, sa parole entravée par le masque peut se voir libérée momentanément grâce à la protection apportée par l'écran.La barrière qui sépare peut ainsi paradoxalement se révéler un outil de réalité augmentée, stimulant mon attention plutôt que de la laisser gambader en toute fantaisie. L'enlèverai-je un jour ?Carl Vanwelde