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Soulager les douleurs intestinales grâce au fromage ? Qui l'aurait imaginé ? D'habitude, lorsque l'on souffre de troubles intestinaux, il est plutôt conseillé de se tenir à l'écart du plateau de fromage, réputé pour être le grand coupable de nombreux problèmes de digestion.Et pourtant, bientôt, il sera peut-être possible de soigner les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin avec un emmental que des chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Rennes (Ille-et-Vilaine) ont récemment présenté au 10e Cheese Symposium, grand forum international du fromage qui s'est tenu dans la cité bretonne.Tout est parti de travaux sur certaines souches de la bactérie Propionibacterium freundenreichii, utilisées comme flores d'affinage et responsables des trous dans l'emmental. Des chercheurs du laboratoire Science et technologie du lait et de l'oeuf (STLO), une unité mixte de recherche (UMR) de l'Inra, ont démontré qu'elles possèdent des propriétés immunomodulatrices permettant d'atténuer des symptômes liés à l'inflammation de l'intestin. Elles agissent également sur l'immunité, la digestion, la sensibilité, la motilité ou encore la perméabilité de cet organe.En parallèle, d'autres chercheurs de l'UMR Micalis de l'Inra à Paris, ont trouvé des propriétés similaires chez d'autres souches bactériennes de Lactobacillus delbrueckii et Streptococcus thermophilus, utilisées comme levains dans les yaourts et certains fromages.Les souches de ces trois bactéries dites " propioniques " ont ensuite été testées sur des souris souffrant d'une inflammation de l'intestin, d'abord de manière isolée, puis en conditions réelles c'est-à-dire réunies dans un seul et même fromage.En réalité, les scientifiques ont demandé à un industriel breton de façonner une meule d'emmental à partir des trois souches sélectionnées et ils ont ensuite administré des mini-portions de ce fromage expérimental à des souris souffrant d'une inflammation de l'intestin. " Nous avons pu observer que notre alicament d'un genre nouveau agissait sur les symptômes de cette pathologie avec une efficacité comparable à celle obtenue à l'aide de la cortisone, " précise Gwenaël Jan, directeur de recherches à l'INRA. " Cela provoque une rémission chez les rongeurs, en atténuant l'inflammation, le stress oxydatif du côlon et les lésions des cellules épithéliales. Ce fromage pourrait par conséquent freiner et prévenir la colite ou encore la maladie de Crohn. "Si le propos se vérifie, à terme, ces travaux pourraient changer la vie de toutes les personnes - assez nombreuses - victimes de la maladie de Crohn, une pathologie fort douloureuse et qui demeure incurable.L'emmental expérimental possède encore d'autres vertus. " Nous nous sommes aussi rendu compte qu'il pouvait atténuer les effets secondaires de la chimiothérapie, " ajoute Gwenaël Jan.Les tests conduits in vivo sur des souris ayant été concluants, le fromage fait l'objet d'essais cliniques sur des patients du CHU de Rennes depuis 2015 afin de savoir s'il est tout aussi efficace sur l'homme et s'il est exempt d'effets secondaires. Ces malades souffrent de maladies inflammatoires chronique de l'intestin et une dose de 50 grammes de fromage par jour leur a été proposée.Un brevet a par ailleurs été déposé par les chercheurs qui doivent encore trouver les financements nécessaires pour finaliser leurs travaux et pouvoir commercialiser leur super emmental.Plusieurs acteurs du secteur industriel auraient d'ores et déjà manifesté de l'intérêt pour ce produit qui pourrait rencontrer un grand succès auprès des consommateurs surtout s'il s'avère que ce fromage est goûteux en plus d'être bon pour la santé.Alors que les études cliniques se poursuivent, Gwenaël Jan travaille aussi sur le volet de la production industrielle de ces souches de bactéries bénéfiques. Leur conservation se fait généralement par lyophilisation, c'est-à-dire sous forme de poudre déshydratée à basse température. Or, sous cette forme-là, elles sont beaucoup moins tolérantes au stress que quand elles se trouvent dans la matrice du fromage.Après différents essais, les chercheurs les ont finalement cultivées dans du lactosérum, coproduit issu de la fabrication du fromage, et vérifié que ce milieu les rendait toujours résistantes au stress. Ils ont aussi testé un autre moyen de séchage qui est l'atomisation, une méthode qui consiste à sécher goutte par goutte un produit grâce à de l'air très chaud à 180 °C.Reste encore à trouver la recette optimale, celle qui contiendra la bonne dose de souches bactériennes pour réaliser un vrai fromage capable de protéger des inflammations intestinales, de contribuer à l'équilibre de la flore intestinale et par conséquent de renforcer sérieusement notre système immunitaire...