Le journal du Médecin : Les médecins généralistes avaient déjà accès la vaccination, via Johnson & Johnson. Quelle est la nouveauté ?

Dr Deudon : Cela concernait uniquement les visites à domicile, pour les personnes ne pouvant pas se déplacer vers les centres de vaccination. Nous avions mis en place des balises et des critères larges afin d'englober un maximum de situations possibles.

Jusqu'à présent, nous n'avions pas pu lancer la vaccination par le généraliste au sein de son cabinet.

Comment expliquer cette situation ?

Il a fallu lever plusieurs freins. Il y a diverses raisons logistiques d'abord. Au début, quand nous avions des problèmes d'approvisionnement, il était déjà compliqué de gérer le ravitaillement des centres de vaccination, des équipes mobiles et des médecins généralistes sur le terrain. C'est d'ailleurs également pour cette raison que la vaccination à domicile est arrivée tardivement.

Il y a ensuite eu la problématique du respect de la chaîne du froid. Comment la respecter jusqu'au bout ? Il a fallu mettre les choses en place afin de respecter les exigences de l'AFMPS.

Nous avons un long chemin de projets pilotes à Bruxelles qui s'imbriquent les uns dans les autres et qui préparaient la vaccination en médecine générale, que l'on aurait voulu amener plus tôt. Mais il a fallu passer par ces projets pilotes afin d'avoir la procédure la plus adéquate possible.

Enfin, il y a un dernier obstacle, propre à la Belgique : les médecins généralistes sont rémunérés par l'Inami via le remboursement des consultations. L'Inami est un budget fédéral. Mais la vaccination dépend en partie des régions. Il n'était pas possible de faire la distinction entre une consultation dédiée à la vaccination et un autre sujet. Impossible donc de faire rentrer ces consultations dans le budget vaccination prévu selon les clés de répartition interfédérales. C'est un obstacle qui est encore dans certains cas compliqué à lever.

La vaccination en cabinet se déroule à Bruxelles, mais aussi dans d'autres régions ?

À ma connaissance, pour l'heure, cela concerne uniquement Bruxelles.

Quelle est la nécessité de passer par le cabinet de médecine générale, la campagne de vaccination en centre touchant à sa fin ?

Il faut voir la situation par le biais de deux pyramides inversées : une pour la population, l'autre pour les moyens mis en oeuvre pour l'atteindre. Il y a d'abord la population générale, qui constitue la base de la pyramide et qui est facile à atteindre. C'est pour elle que nous allons devoir mettre le moins de moyens, via les centres de vaccination, qui représentent un coût par dose très faible (le sommet de l'autre pyramide). Progressivement, nous évoluons au sein de la pyramide pour se diriger vers des populations plus difficiles à atteindre : des hésitants vaccinaux, des personnes ayant un accès plus difficile aux soins, des gens méfiants vis-à-vis des autorités. Cela demande d'autres moyens, de plus en plus coûteux et complexes, mais aussi décentralisés.

La médecine générale fait partie de l'arsenal pour atteindre ces personnes, car les généralistes jouissent d'une grande confiance de la part de leurs patients. Cette relation entre le médecin généraliste et le patient permet d'atteindre des populations que l'on ne parviendrait pas à attirer vers des centres de vaccination. La littérature en matière de vaccination et de sensibilisation montre que ce sont les acteurs de confiance qui ont le mot de la fin dans cette situation.

Cela fait partie d'un panel d'autres initiatives - les agents relais de quartier par exemple - mises en place pour toucher le plus de personnes possible.

"Nous avons dû faire face à de nomreux obstacles pour parvenir à implémenter la vaccination dans le cabinet du médecin généraliste", explique le Dr Deudon.
"Nous avons dû faire face à de nomreux obstacles pour parvenir à implémenter la vaccination dans le cabinet du médecin généraliste", explique le Dr Deudon.

Comment cela va se passer concrètement, notamment concernant l'approvisionnement en doses et en seringues ?

C'est le vaccin Pfizer qui sera principalement utilisé, avec Johnson & Johnson. Nous avons trois sites d'approvisionnement : le hub du Boulevard Pacheco, le centre de vaccination de Woluwe-Saint-Pierre et le centre de vaccination d'Anderlecht. Pour les deux centres, il s'agira de seringues avec des unidoses, Pfizer et Johnson & Johnson. Pour le hub, ce sera en flacon pour les deux vaccins, ou en seringue pour le Johnson & Johnson.

On a également mis en place un service de livraison, qui sera à même de livrer sept jours maximum après la commande. Il s'agira alors de flacons. Les commandes se feront via Bruvax et une adresse dédiée.

Dans les deux cas, livraison ou retrait, il faut passer par Bruvax.

Effectivement. Il faut communiquer une liste de patients qui vont être vaccinés et venir avec une prescription de groupe au moment de l'enlèvement ou donner la prescription de groupe au moment de la réception de la livraison. La médecine générale est déjà submergée administrativement, il ne s'agit donc pas de passer par des prescriptions individuelles.

Combien de temps peut-on garder une dose de vaccin au frigo ?

Si la chaîne du froid est bien respectée, le Pfizer peut être conservé 31 jours au frigo, et le Johnson & Johnson, trois mois. On essaye d'éviter les stocks décentralisés pour éviter des problèmes de sécurité. Nous avons déjà constaté des problèmes de rupture de chaîne du froid, notamment en maison de repos, avec des frigos qui montaient parfois à 14 degrés sans raison, d'autres qui congelaient.

Le système de livraison se veut le plus flexible possible afin d'éviter de recourir à des stocks non contrôlés.

Il faut également bien noter qu'il faut éviter de percer les flacons. Ces délais de conservation valent pour des flacons entiers, concernant les doses en seringue ou les flacons percés (six à sept doses), il faut les administrer le jour même. Cela demandera sans doute de l'organisation de la part de nos confrères, mais c'est faisable.

C'est peut-être trop anticiper, mais on parle déjà de troisième dose potentielle pour faire face aux variants. Recourra-t-on à la médecine générale pour l'administrer ?

Nous sommes en train de préparer un projet pilote pour faire face à la phase 3. Ce projet servira à organiser cette vaccination de phase 3 dans des conditions proches d'une vaccination traditionnelle, en incluant le pharmacien comme relai pour la livraison. Il faut également voir quelles forces vives nous pourrons mettre dans la bataille.

Il est encore difficile d'évaluer la taille de la population que nous devrons revacciner. Il faut tabler, potentiellement, sur une troisième dose à administrer à la totalité de la population. Il faut donc prévoir un scénario robuste où, potentiellement, il faudra recourir sur le terrain à toute personne sachant vacciner.

Ce scénario n'est pas à craindre, puisque les retards de livraison ne sont plus à l'ordre du jour.

Quelques précautions

Est-ce que les généralistes doivent être attentifs à un point particulier pour la vaccination contre le Covid ?

Cette vaccination chez le généraliste se fait dans le respect des connaissances médicales et des interventions de santé autorisées. Je pense principalement au schéma hétérologue, qui n'est prévu que pour certains cas très rares après analyse et autorisation. Il s'agit d'administrer, par exemple, un vaccin AstraZeneca en première dose et un vaccin Pfizer en deuxième dose. Actuellement, nous n'avons pas assez de recul sur ce schéma que pour l'autoriser. Ce n'est donc pas une intervention de santé autorisée. C'est une vaccination off label, dont la responsabilité est entièrement à charge du médecin. En cas d'effets secondaires, le médecin est alors seul responsable.

Une problématique soulevée par un médecin généraliste à Bruxelles. Un patient a eu une première dose AstraZeneca et a fait une réaction allergique. Il est donc contre-indiqué de lui administrer une seconde dose AstraZeneca. Le patient reçoit un papier de l'hôpital mentionnant qu'il doit avoir une deuxième dose d'un autre vaccin, mais les centres de vaccination refusent de lui administrer. D'abord, qui endosse la responsabilité de la seconde dose dans ce cas-ci, vu que ce n'est pas le schéma de vaccination privilégié ? Ensuite, comment résoudre cette situation ?

En cas d'allergie à un vaccin, la vaccination ne se fera de toute façon pas en centre de vaccination, comme le décrit l'algorithme de prise en charge du risque allergique. En réalité, si l'allergie concerne le polyéthylène glycol ou le polysorbate80, il y a un haut risque de réaction croisée et donc de voir le patient présenter une réaction allergique également en cas de changement de vaccin. La marche à suivre est surtout de se référer à un allergologue qui établira le risque et les liens de causalité. De là, il sera conseillé ou non de réaliser la seconde dose, en hôpital ou dans un cadre plus ambulatoire.

Autre problématique soulevée : un patient a eu le Covid il y a neuf mois. Le Conseil supérieur de la Santé estime qu'une seule dose est suffisante chez ce patient. Néanmoins, en ne recevant qu'une dose, et en n'ayant pas eu le Covid dans les six derniers mois, il n'aura pas accès à son Passeport Covid. Est-il donc obligé de recevoir une deuxième dose dans ce cas de figure ?

Le patient aura au moins accès à un certificat pour cette première dose de vaccin. Cela étant, effectivement, pour que sur le plan administratif le certificat soit complet, il devra se voir administrer un schéma de vaccination complet malgré cet antécédent médical d'infection au SARS-CoV2. La vérité scientifique se heurte ici à son applicabilité au niveau des administrations. Un tel certificat aurait, à titre d'exemple, nécessité le croisement de plusieurs bases de données et donc demandé un cadre juridique spécifique. Par ailleurs, la définition des conditions pour l'obtention du certificat Covid-19 européen dépendait des institutions européennes.

Le journal du Médecin : Les médecins généralistes avaient déjà accès la vaccination, via Johnson & Johnson. Quelle est la nouveauté ?Dr Deudon : Cela concernait uniquement les visites à domicile, pour les personnes ne pouvant pas se déplacer vers les centres de vaccination. Nous avions mis en place des balises et des critères larges afin d'englober un maximum de situations possibles.Jusqu'à présent, nous n'avions pas pu lancer la vaccination par le généraliste au sein de son cabinet.Comment expliquer cette situation ?Il a fallu lever plusieurs freins. Il y a diverses raisons logistiques d'abord. Au début, quand nous avions des problèmes d'approvisionnement, il était déjà compliqué de gérer le ravitaillement des centres de vaccination, des équipes mobiles et des médecins généralistes sur le terrain. C'est d'ailleurs également pour cette raison que la vaccination à domicile est arrivée tardivement.Il y a ensuite eu la problématique du respect de la chaîne du froid. Comment la respecter jusqu'au bout ? Il a fallu mettre les choses en place afin de respecter les exigences de l'AFMPS.Nous avons un long chemin de projets pilotes à Bruxelles qui s'imbriquent les uns dans les autres et qui préparaient la vaccination en médecine générale, que l'on aurait voulu amener plus tôt. Mais il a fallu passer par ces projets pilotes afin d'avoir la procédure la plus adéquate possible.Enfin, il y a un dernier obstacle, propre à la Belgique : les médecins généralistes sont rémunérés par l'Inami via le remboursement des consultations. L'Inami est un budget fédéral. Mais la vaccination dépend en partie des régions. Il n'était pas possible de faire la distinction entre une consultation dédiée à la vaccination et un autre sujet. Impossible donc de faire rentrer ces consultations dans le budget vaccination prévu selon les clés de répartition interfédérales. C'est un obstacle qui est encore dans certains cas compliqué à lever.La vaccination en cabinet se déroule à Bruxelles, mais aussi dans d'autres régions ?À ma connaissance, pour l'heure, cela concerne uniquement Bruxelles.Quelle est la nécessité de passer par le cabinet de médecine générale, la campagne de vaccination en centre touchant à sa fin ?Il faut voir la situation par le biais de deux pyramides inversées : une pour la population, l'autre pour les moyens mis en oeuvre pour l'atteindre. Il y a d'abord la population générale, qui constitue la base de la pyramide et qui est facile à atteindre. C'est pour elle que nous allons devoir mettre le moins de moyens, via les centres de vaccination, qui représentent un coût par dose très faible (le sommet de l'autre pyramide). Progressivement, nous évoluons au sein de la pyramide pour se diriger vers des populations plus difficiles à atteindre : des hésitants vaccinaux, des personnes ayant un accès plus difficile aux soins, des gens méfiants vis-à-vis des autorités. Cela demande d'autres moyens, de plus en plus coûteux et complexes, mais aussi décentralisés.La médecine générale fait partie de l'arsenal pour atteindre ces personnes, car les généralistes jouissent d'une grande confiance de la part de leurs patients. Cette relation entre le médecin généraliste et le patient permet d'atteindre des populations que l'on ne parviendrait pas à attirer vers des centres de vaccination. La littérature en matière de vaccination et de sensibilisation montre que ce sont les acteurs de confiance qui ont le mot de la fin dans cette situation.Cela fait partie d'un panel d'autres initiatives - les agents relais de quartier par exemple - mises en place pour toucher le plus de personnes possible.Comment cela va se passer concrètement, notamment concernant l'approvisionnement en doses et en seringues ?C'est le vaccin Pfizer qui sera principalement utilisé, avec Johnson & Johnson. Nous avons trois sites d'approvisionnement : le hub du Boulevard Pacheco, le centre de vaccination de Woluwe-Saint-Pierre et le centre de vaccination d'Anderlecht. Pour les deux centres, il s'agira de seringues avec des unidoses, Pfizer et Johnson & Johnson. Pour le hub, ce sera en flacon pour les deux vaccins, ou en seringue pour le Johnson & Johnson.On a également mis en place un service de livraison, qui sera à même de livrer sept jours maximum après la commande. Il s'agira alors de flacons. Les commandes se feront via Bruvax et une adresse dédiée.Dans les deux cas, livraison ou retrait, il faut passer par Bruvax.Effectivement. Il faut communiquer une liste de patients qui vont être vaccinés et venir avec une prescription de groupe au moment de l'enlèvement ou donner la prescription de groupe au moment de la réception de la livraison. La médecine générale est déjà submergée administrativement, il ne s'agit donc pas de passer par des prescriptions individuelles.Combien de temps peut-on garder une dose de vaccin au frigo ?Si la chaîne du froid est bien respectée, le Pfizer peut être conservé 31 jours au frigo, et le Johnson & Johnson, trois mois. On essaye d'éviter les stocks décentralisés pour éviter des problèmes de sécurité. Nous avons déjà constaté des problèmes de rupture de chaîne du froid, notamment en maison de repos, avec des frigos qui montaient parfois à 14 degrés sans raison, d'autres qui congelaient.Le système de livraison se veut le plus flexible possible afin d'éviter de recourir à des stocks non contrôlés.Il faut également bien noter qu'il faut éviter de percer les flacons. Ces délais de conservation valent pour des flacons entiers, concernant les doses en seringue ou les flacons percés (six à sept doses), il faut les administrer le jour même. Cela demandera sans doute de l'organisation de la part de nos confrères, mais c'est faisable.C'est peut-être trop anticiper, mais on parle déjà de troisième dose potentielle pour faire face aux variants. Recourra-t-on à la médecine générale pour l'administrer ?Nous sommes en train de préparer un projet pilote pour faire face à la phase 3. Ce projet servira à organiser cette vaccination de phase 3 dans des conditions proches d'une vaccination traditionnelle, en incluant le pharmacien comme relai pour la livraison. Il faut également voir quelles forces vives nous pourrons mettre dans la bataille.Il est encore difficile d'évaluer la taille de la population que nous devrons revacciner. Il faut tabler, potentiellement, sur une troisième dose à administrer à la totalité de la population. Il faut donc prévoir un scénario robuste où, potentiellement, il faudra recourir sur le terrain à toute personne sachant vacciner.Ce scénario n'est pas à craindre, puisque les retards de livraison ne sont plus à l'ordre du jour.