Kayakiste invétéré, aventurier, pêcheur, chasseur, un temps bûcheron, Peter Heller, qui fut d'abord journaliste notamment pour le National Geographic, a très jeune quitté New York pour rejoindre le Vermont, et vit désormais dans le Colorado.

Auteur visionnaire - d'un écologisme volontiers radical - de "La constellation du chien", laquelle imaginait une pandémie mondiale, de "La rivière", qui décrivait des incendies dans le nord du Canada, celui qui fut aussi guide de rivière met en scène l'un d'eux dans son nouveau roman.

Western écologique à suspens dans lequel celui qui se considère comme un héritier et fan de Jim Harrison, ou de "La vie dans les bois" d'Henry David Thoreau, met en scène Jack, guide de rivière et de pêche. Lequel trouve un emploi dans un lodge pour milliardaires au bord d'une rivière poissonneuse et privatisée pour les hôtes.

Dans cette bulle d'air et d'eau pure préservée des ravages d'une nouvelle pandémie de covid, en compagnie d'Alison - célèbre chanteuse country qui fait partie des clients et devient rapidement plus que son équipière de pêche, le jeune homme découvre que de mystérieux événements, plus troubles que l'eau de la montagne, se déroulent sous la surface sémillante des lieux... impliquant les gros poissons qui y barbotent. Bref, on mord à l'hameçon...

Le journal du Médecin : L'intrigue de vos romans ressemble à un ruisseau qui gonfle peu à peu pour muer en un fleuve d'événements....

Peter Heller : Il y a deux choses qui me tiennent vraiment à coeur quand je m'attaque à un nouveau récit. Je débute toujours par la première ligne, dont j'aime la musique. J'ai débuté par la poésie et je m'intéresse beaucoup plus à la musique de la langue qu'à l'intrigue ou l'histoire. Je commence donc toujours par cette phrase dont j'adore le son et la cadence, et je continue sur cette lancée: l'histoire chevauche la langue plutôt que l'inverse. Je procède de façon contraire à la plupart des écrivains. Ils démarrent souvent d'une idée, d'une intrigue ou d'un schéma, sauf Stephen King ou Elmore Leonard m'a appris un ami scénariste... Ce qui m'a décomplexé, lorsque j'ai débuté à écrire des romans voici 15 ans.

L'autre aspect est que je passe la moitié de ma vie à courir sur les rivières. En tant que kayakiste, j'ai participé à des expéditions partout sur le globe. Lorsque vous pagayez sur une rivière qui n'a pas été décrite ou dont vous ignorez le tracé, vous contournez un rocher sans savoir ce qui va se trouver derrière; un puma en train de boire, un vol d'hirondelles éclairé par le soleil, voire une chute: il y a toujours ce frisson d'aventure.

Kayak

Vous faites du kayak sur les mots?

(il rit) Je me lance dans un courant narratif que je suis vers de nouveaux territoires en me surprenant moi-même. Je passe la moitié de ma vie sur les rivières, débutant par de petits affluents qui convergent et se confluent, où le courant grandit, et j'accumule, au fur et mesure, de la puissance et de la poussée. Il en va de même dans mes romans.

Au milieu de la nature, n'est-ce pas plutôt l'homme qui se comporte comme un animal, la vampirise?

J'aime être en pleine nature, prêter attention au son d'un ruisseau, à l'odeur, si je suis sous le vent, d'un troupeau de wapitis au travers des trembles, de la pluie dans un pré: tous ces petits détails qui réveillent en nous notre être animal. Nous oublions que nous sommes autant animal que le castor, l'ours, la loutre ou l'orignal. Et ce faisant, nous prenons également conscience du magnifique environnement naturel qui nous entoure. Dans mes livres, cette attention portée aux détails de la nature constitue un geste quasi spirituel.

Dans vos romans, les animaux semblent parfois se comporter de manière plus décente que les personnages...

Et c'est là que réside la problématique. Nous sommes un animal à l'énorme cerveau... qui nous cause des problèmes. Je suis un écologiste radical et parfois, je ne peux m'empêcher de penser que la race humaine est une aberration sur l'arbre de vie. Nous sommes au milieu de la sixième grande extinction de masse, nous en sommes la cause et nous entraînons tous les autres êtres vivants avec nous.

Vos romans fonctionnent souvent par couple, duo, voire double inversé. Dans "Le guide", il y a d'un côté le couple formé par Alison et Jack, et de l'autre Kurt qui est le double négatif de Jack....

Je préfère me concentrer sur quelques personnages, d'autant que leurs aventures se révèlent intenses. Ces récits sont des sortes de western en pleine nature. J'ai grandi en lisant des romans de Louis L'Amour qui avaient pour cadre le Far West. Dans ces romans western, le paysage se révèle être le personnage le plus important. Ce que je reproduis dans mes livres, qui font partie de cette tradition.

Fenêtre Windows

Aujourd'hui, nous regardons la nature par la fenêtre ou parfois même au travers de Windows?

Oui. Il nous faut nous souvenir de la sensation de toucher un banc de gravier après la pluie, pieds nus, de cette odeur particulière lorsque le soleil se lève et que ce même banc de gravier, au bord d'un ruisseau, commence à se réchauffer et à s'assécher. Nous devons être à nouveau capables d'entendre le bruit du vent dans les épicéas. Nous avons grandi dans ces petites tribus qui vivaient sous de grands rochers au bord d'une rivière... C'est ce dont nous avons envie et besoin. Je l'ai observé en tant que guide lorsque j'enseignais la pratique du kayak: je voyais ces débutants se transformer au contact de la vie en plein air. Les personnes s'y illuminent d'une manière bien plus intense que dans les villes où elles vivent.

Pensez-vous que le puritanisme a un rapport avec la façon dont nous vivons aujourd'hui, dont nous pasteurisons tout ?

(il rit) C'est amusant, parce qu'une partie de famille a pris part à l'expédition du Mayflower. Mais en effet, il y a cette façon dont nous nous séparons de la nature comme Hawthorne l'a écrit dans "La lettre écarlate", roman où les bois sont un endroit presque maléfique et dangereux... Effectivement, la peur de la nature domine: il n'y a qu'à voir la façon dont nous traitons nos morts. En nous hygiénisant complètement, nous passons à côté de l'essentiel.

Vous être un visionnaire: votre premier roman, "La constellation du chien", évoquait une pandémie qui ravageait le monde...

Et par ailleurs, d'énormes incendies font rage au nord du Canada, ce que j'imaginais dans "La rivière"... Je redoute désormais d'écrire mon prochain roman (il rit). Ma femme m'a d'ailleurs dit récemment : " Pourquoi n'écris-tu pas quelque chose de drôle ?" (rires)

Peter Heller. Le guide. Actes Sud.

Kayakiste invétéré, aventurier, pêcheur, chasseur, un temps bûcheron, Peter Heller, qui fut d'abord journaliste notamment pour le National Geographic, a très jeune quitté New York pour rejoindre le Vermont, et vit désormais dans le Colorado. Auteur visionnaire - d'un écologisme volontiers radical - de "La constellation du chien", laquelle imaginait une pandémie mondiale, de "La rivière", qui décrivait des incendies dans le nord du Canada, celui qui fut aussi guide de rivière met en scène l'un d'eux dans son nouveau roman.Western écologique à suspens dans lequel celui qui se considère comme un héritier et fan de Jim Harrison, ou de "La vie dans les bois" d'Henry David Thoreau, met en scène Jack, guide de rivière et de pêche. Lequel trouve un emploi dans un lodge pour milliardaires au bord d'une rivière poissonneuse et privatisée pour les hôtes.Dans cette bulle d'air et d'eau pure préservée des ravages d'une nouvelle pandémie de covid, en compagnie d'Alison - célèbre chanteuse country qui fait partie des clients et devient rapidement plus que son équipière de pêche, le jeune homme découvre que de mystérieux événements, plus troubles que l'eau de la montagne, se déroulent sous la surface sémillante des lieux... impliquant les gros poissons qui y barbotent. Bref, on mord à l'hameçon...Le journal du Médecin : L'intrigue de vos romans ressemble à un ruisseau qui gonfle peu à peu pour muer en un fleuve d'événements....Peter Heller : Il y a deux choses qui me tiennent vraiment à coeur quand je m'attaque à un nouveau récit. Je débute toujours par la première ligne, dont j'aime la musique. J'ai débuté par la poésie et je m'intéresse beaucoup plus à la musique de la langue qu'à l'intrigue ou l'histoire. Je commence donc toujours par cette phrase dont j'adore le son et la cadence, et je continue sur cette lancée: l'histoire chevauche la langue plutôt que l'inverse. Je procède de façon contraire à la plupart des écrivains. Ils démarrent souvent d'une idée, d'une intrigue ou d'un schéma, sauf Stephen King ou Elmore Leonard m'a appris un ami scénariste... Ce qui m'a décomplexé, lorsque j'ai débuté à écrire des romans voici 15 ans. L'autre aspect est que je passe la moitié de ma vie à courir sur les rivières. En tant que kayakiste, j'ai participé à des expéditions partout sur le globe. Lorsque vous pagayez sur une rivière qui n'a pas été décrite ou dont vous ignorez le tracé, vous contournez un rocher sans savoir ce qui va se trouver derrière; un puma en train de boire, un vol d'hirondelles éclairé par le soleil, voire une chute: il y a toujours ce frisson d'aventure.Vous faites du kayak sur les mots? (il rit) Je me lance dans un courant narratif que je suis vers de nouveaux territoires en me surprenant moi-même. Je passe la moitié de ma vie sur les rivières, débutant par de petits affluents qui convergent et se confluent, où le courant grandit, et j'accumule, au fur et mesure, de la puissance et de la poussée. Il en va de même dans mes romans.Au milieu de la nature, n'est-ce pas plutôt l'homme qui se comporte comme un animal, la vampirise? J'aime être en pleine nature, prêter attention au son d'un ruisseau, à l'odeur, si je suis sous le vent, d'un troupeau de wapitis au travers des trembles, de la pluie dans un pré: tous ces petits détails qui réveillent en nous notre être animal. Nous oublions que nous sommes autant animal que le castor, l'ours, la loutre ou l'orignal. Et ce faisant, nous prenons également conscience du magnifique environnement naturel qui nous entoure. Dans mes livres, cette attention portée aux détails de la nature constitue un geste quasi spirituel. Dans vos romans, les animaux semblent parfois se comporter de manière plus décente que les personnages... Et c'est là que réside la problématique. Nous sommes un animal à l'énorme cerveau... qui nous cause des problèmes. Je suis un écologiste radical et parfois, je ne peux m'empêcher de penser que la race humaine est une aberration sur l'arbre de vie. Nous sommes au milieu de la sixième grande extinction de masse, nous en sommes la cause et nous entraînons tous les autres êtres vivants avec nous. Vos romans fonctionnent souvent par couple, duo, voire double inversé. Dans "Le guide", il y a d'un côté le couple formé par Alison et Jack, et de l'autre Kurt qui est le double négatif de Jack.... Je préfère me concentrer sur quelques personnages, d'autant que leurs aventures se révèlent intenses. Ces récits sont des sortes de western en pleine nature. J'ai grandi en lisant des romans de Louis L'Amour qui avaient pour cadre le Far West. Dans ces romans western, le paysage se révèle être le personnage le plus important. Ce que je reproduis dans mes livres, qui font partie de cette tradition. Aujourd'hui, nous regardons la nature par la fenêtre ou parfois même au travers de Windows? Oui. Il nous faut nous souvenir de la sensation de toucher un banc de gravier après la pluie, pieds nus, de cette odeur particulière lorsque le soleil se lève et que ce même banc de gravier, au bord d'un ruisseau, commence à se réchauffer et à s'assécher. Nous devons être à nouveau capables d'entendre le bruit du vent dans les épicéas. Nous avons grandi dans ces petites tribus qui vivaient sous de grands rochers au bord d'une rivière... C'est ce dont nous avons envie et besoin. Je l'ai observé en tant que guide lorsque j'enseignais la pratique du kayak: je voyais ces débutants se transformer au contact de la vie en plein air. Les personnes s'y illuminent d'une manière bien plus intense que dans les villes où elles vivent. Pensez-vous que le puritanisme a un rapport avec la façon dont nous vivons aujourd'hui, dont nous pasteurisons tout ?(il rit) C'est amusant, parce qu'une partie de famille a pris part à l'expédition du Mayflower. Mais en effet, il y a cette façon dont nous nous séparons de la nature comme Hawthorne l'a écrit dans "La lettre écarlate", roman où les bois sont un endroit presque maléfique et dangereux... Effectivement, la peur de la nature domine: il n'y a qu'à voir la façon dont nous traitons nos morts. En nous hygiénisant complètement, nous passons à côté de l'essentiel. Vous être un visionnaire: votre premier roman, "La constellation du chien", évoquait une pandémie qui ravageait le monde... Et par ailleurs, d'énormes incendies font rage au nord du Canada, ce que j'imaginais dans "La rivière"... Je redoute désormais d'écrire mon prochain roman (il rit). Ma femme m'a d'ailleurs dit récemment : " Pourquoi n'écris-tu pas quelque chose de drôle ?" (rires)