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Pourquoi une telle exposition dans un magnifique couvent d'un style baroque situé dans un cadre idyllique et champêtre ? Un couvent qui a conservé au fil des soubresauts de l'Histoire sa ferme et même son moulin et a accueilli des augustines dès le 12e siècle. Le lien est l'accusation de sorcellerie par les habitants de Dalheim dont sont victimes au 17e siècle trois soeurs du couvent... dont l'une terminera sur le bûcher.L'expo se penche dès son entame, dans une pénombre emprunte de mystère, sur les théories du complot de manière chronologique, remontant jusqu'au milieu du Moyen Âge et le procès fait aux Templiers par un Philippe IV jaloux de leur pouvoir et leurs richesses : sont exposés l'acte d'accusation, les aveux extirpés sous la torture, ou le manuscrit enluminé de La grande chronique de France qui relate ces événements. Autre bouc émissaire qui apparaît très tôt dans l'histoire européenne, les juifs, accusés par les chrétiens d'avoir tué le Christ, mais aussi de sacrifier des enfants, ceux qui disparaissent comme le montre une gravure de... Nuremberg ( ! ) datée de 1773 ou ce tableau anonyme un an plus tard montrant un groupe de juifs en train de poignarder des hosties, et donc le Christ qui s'y trouve. Cette imagerie se retrouve même sur des billets de la République de Weimar en 1922 ! Rouvert en 2007, le lieu qui, outre une expo permanente, accueille des expositions temporaires de longue durée comme celle-ci, présente toutes ses vitrines translucides sur un fond de voile... celui du mystère.Une chasuble de détenue, prétendument sorcière, et un instrument de torture illustrent les tourments que l'on faisait subir à ces pauvres femmes pour les faire avouer leurs actes de sorcellerie, montrés aussi dans de magnifiques gravures de Matthäus Merian notamment. La Renaissance aidant, le Diable, jusque-là responsable des malheurs, disparaissant de la croyance populaire, les hommes cherchent toujours à croire en un exutoire et sacrifient un bouc émissaire pour atténuer l'inexplicable comme une épidémie de peste, une maladie du bétail voire une mauvaise récolte.Si elle explique les théories du complot et leurs théorisations justement, l'expo montre aussi que des voix s'élèvent pour les combattre : celle du jésuite Friedrich Spee, lequel signe en 1632 un ouvrage démontrant l'ineptie de l'accusation de sorcellerie.Un autre ordre religieux qui subira les foudres complotistes fut celui des jésuites justement qui, en Angleterre, furent accusés par Titus Oates de comploter contre le roi Charles II et de vouloir rétablir une monarchie papiste. Dans leur cas, comme dans celui des francs-maçons ensuite, c'est l'aura de mystère, le côté caché qui laisse le loisir à tous les phantasmes de se développer chez ceux qui ne font pas partie du cercle ou du réseau. Des francs-maçons qui se verront accuser par les tenants de l'Ancien Régime d'avoir fomenté la Révolution française, notamment par un ancien... jésuite Auguste Barruel. Jésuites que combattent les illuminati en Allemagne, lesquels en reprennent le système hiérarchique... tout en complotant contre eux. Quand aux francs-maçons, plus spirituels et moins politiques, héritier des lumières, leurs rituels s'inspirent également du pouvoir religieux auquel ils s'opposent.Une fois encore ce réseau, et cet entresoi laissent le champ libre aux interprétations les plus folles de la part de ceux qui n'en sont pas. On accusa notamment les francs-maçons d'être à la base de l'attentat de Sarajevo en 1914, et donc de l'assassinat de François-Ferdinand, dont on peut admirer le masque mortuaire dans l'exposition.Après la Première Guerre, les juifs sont les principaux accusés par le général Ludendorff d'avoir trahi, à l'instar des sociaux-démocrates, l'armée, et perpétré le fameux coup de poignard dans le dos, dont son ami Adolf Hitler fera usage. En 1922, Walther Rathenau, juif assimilé, ministre des Affaires Étrangères de la République de Weimar est assassiné par un groupe armé nationaliste et antisémite. Prélude hélas seulement à une suite encore plus tragique sous le régime nazi, dont les accusations complotistes sont exposées sous forme d'affiches, de films, de caricatures, ou dans la traduction du Protocole des sages de Sion. Ce soi-disant ouvrage fabriqué de toutes pièces en Russie au tournant du siècle dernier va faire florès (notamment grâce à Henry Ford) et est encore diffusé aujourd'hui comme le démontrent plusieurs exemplaires édités en Turquie, dans le monde arabe, en Angleterre ou même en Allemagne... pour soi-disant des motifs scientifiques.L'après-guerre est aussi illustrée d'abord au travers du Maccarthysme d'une part, de l'autre de la paranoïa de Staline qui fait disparaître Trotski des photos et peinture de Lénine en tribun en 1920, effectue des purges dès les années trente et s'en prend aux médecins juifs qui le soignent à la fin de sa vie.Une partie de l'expo se consacre à la version locale de l'affrontement Est-Ouest, illustré par du matériel d'espionnage est-allemand, des affiches électorales de la CDU jouant de la peur du rouge, voire même celles affirmant que les colonnes de doryphores s'attaquant aux pommes de terre est-allemandes avaient été bien sûr parachutées par des avions... américains !Plus récemment, la mission Apollo XI est encore aujourd'hui l'objet de doutes quant à sa véracité par certains, comme d'ailleurs l'Holocauste et ce malgré témoignages, preuves et faits. Parfois, l'horreur ou le merveilleux paraissent incroyables.Certaines mises en doute de la réalité officielle sont parfois à prendre au sérieux, ce que ne fait pas toujours cette expo : qu'il s'agisse de l'assassinat de JFK ou du suicide en RFA et au même moment dans des cellules différentes des membres de la Rote Armee Fraktion... qui s'en prenaient souvent à d'anciens nazis.Aujourd'hui avec internet les théories les plus folles circulent, comme celles concernant les dangers du dentifrice, des vaccins, des sillages d'avions dans le ciel qui seraient empoisonnés, comme les codes-barres ; ce qui, dans les deux derniers cas, très populaires aux USA (et on se demande pourquoi les Américains élisent un bonimenteur), permet de vendre des antidotes cher et vilain !À côté de théories presque drôles selon lesquelles le monde serait dirigé par des reptiliens (dont la Reine Élisabeth, Angela Merkel ou Lady Gaga - cherchez l'erreur), celles qui mettent en doute le 11 septembre ou le changement climatique, artificiellement provoqué par les Chinois selon Trump, l'on remarque dans les vitrines que la validation de ces élucubrations digitales passe par la publication de livres, lesquels en attestent la " véracité " et le sérieux ; notamment dans le cas de la remise en cause de l'existence de Charlemagne par un journaliste allemand qui fait de cette assertion son fonds de commerce... très rentable.Exposition soufflante que celle-ci, balisée de bornes interactives qui, de manière ludique, explique les tenants et aboutissants d'une théorie complotiste.Au final, force est de constater que l'affirmation que nos données personnelles ne sont pas protégées, n'est pas évoquée : preuve par défaut qu'il s'agit bien d'une... réalité.