...

Après tout, pourquoi se préoccuper des exhibitionnistes et des violeurs? Pourquoi ne pas se limiter à punir les "monstres" qui s'en prennent aux enfants? Il faut dépasser ce premier sentiment de rejet pour comprendre l'utilité de créer un dispositif d'écoute, d'aide et de relais vers une prise en charge pour des adultes ou adolescents en proie à des fantasmes sexuels déviants. Du côté francophone, il n'existait pas de véritable projet de prévention qui s'attache aux auteurs de violences sexuelles (voir en page 14 l'initiative Stop it Now! qui existe en Flandre depuis des années). Le Service d'écoute et d'orientation spécialisé (ou SéOS), ouvert depuis juin, vient combler ce manque. Porté par l'Unité de psychopathologie légale (UPPL), soit le Centre d'appui wallon spécialisé dans la prise en charge des auteurs d'infraction à caractère sexuel, le SéOS propose une ligne d'écoute téléphonique anonyme, gratuite et confidentielle, une adresse email de contact et un site internet. "Il n'est pas improbable qu'un médecin généraliste soit confronté à un patient qui a des sentiments sexuels ou qui a un comportement inquiétant envers autrui. Un médecin généraliste suit généralement un patient pendant des années et est souvent aussi un premier point de contact. Mais dans pas mal de cas, il y a une timidité d'action. Non seulement avec les médecins généralistes, mais aussi avec d'autres professionnels. Les gens ne savent pas toujours comment réagir à cela, quoi faire et vers qui se tourner. C'est notamment le but de notre service", explique Marie-Hélène Plaëte, psychologue, coordinatrice du service. Originalité du service: "là où la Flandre, la France et d'autres voisins ne couvrent que les fantasmes qui visent les enfants, SéOS entend ce qui peut se rapporter à tout fantasme déviant", explique Marie-Hélène Plaëte. "Cela peut être aussi un fantasme déviant vers un enfant ou un autre adulte, de la masturbation compulsive, ou encore de l'exhibitionnisme. La sexualité est un large domaine, l'idée n'est pas de focaliser sur le bien-fondé de certaines pratiques, mais plutôt d'aider l'appelant à se questionner sur ses pratiques, les limites et les conséquences éventuelles sur lui-même ou sur autrui."Une mise en place difficile alors que l'on baigne dans les suites de l'affaire Dutroux, mais aussi d'Outreau, Allègre et consorts. "Le poids des mots pédophile, récidive et Dutroux reste un obstacle important à libérer la parole. Mais la réalité est bien plus diversifiée et c'est ce qui nous a encouragé à ouvrir ce service", reconnait Marie-Hélène Plaete. Quelle que soit la prévention, les "monstres" ne recommenceront-ils pas forcément leurs gestes? "Justement, non! Ils ne récidivent pas tous et ne passent pas tous à l'acte s'ils bénéficient d'une prise en charge adaptée et dédiée. La récidive est estimée à 15% sans prise en charge. Avec un accès à une écoute et des soins, elle chute carrément de moitié, à 7%. Par ailleurs, un traitement spécialisé diminue drastiquement le risque de passage à l'acte. Cela nous paraît suffisamment important pour poursuivre ce travail", répond la psychologue, qui veut bousculer les idées reçues. Car l'idée est de ne pas traiter que le risque de la récidive, mais d'ouvrir une porte à celui qui se sent basculer: "Il ne faut pas attendre un passage à l'acte avant d'offrir une telle aide. Si les victimes ont beaucoup de mal à en parler, les personnes en proie à des fantasmes sexuels déviants ont aussi tendance à se replier sur elles-mêmes, privilégiant le silence, l'isolement et parfois le passage à l'acte faute de trouver une écoute attentive et non jugeante. C'est tout l'intérêt de la prévention primaire adaptée auprès des potentiels futurs auteurs, notamment en les écoutant et en les guidant". Sur le terrain, les psys valident-ils l'idée que de nombreux auteurs adultes ont été eux-mêmes maltraités enfants et qu'ils reproduisent à l'infini un schéma de vie? "La maltraitance ou la carence affective forte, des parents peu ou pas présents sont des facteurs de risque incontestables. Mais ils sont loin d'être "automatiques", au sens où tous les abusés deviendraient des abuseurs. Parfois, l'acte suit un épisode de vie particulier, comme la perte d'un emploi, une rupture amoureuse, un épisode dépressif. Parfois cela reste un acte unique, isolé. Ce terrain difficile ne peut pas excuser le geste posé, mais l'expliquer. Le défi est d'agir en amont, avant le basculement."Car moins d'auteurs, ce sera moins de victimes. "L'évolution doit être la même que celle que nous avons vécu pour les victimes. Il y a 20 ans, elles n'osaient pas porter plainte, leur parole était compliquée à entendre. Parfois la victime elle-même hésitait à dire le geste, craignait l'exposition des faits à la structure policière et au public. Parfois, porter plainte, c'était prendre le risque de faire éclater la famille car les auteurs étaient eux-mêmes des membres de cette famille, étaient des pères ou des grands-pères."Certes, la prise en compte des victimes s'est améliorée, comme les auditions filmées, qui permettent de ne pas faire répéter leur témoignage des dizaines de fois. Mais les jugements tombent parfois des années plus tard. "Faire la preuve reste difficile, c'est souvent parole contre parole. Mais la réponse judiciaire n'est pas suffisante", explique Marie-Hélène Plaete, qui travaille depuis une quinzaine d'années dans le domaine. Une prise en charge des victimes mais aussi des auteurs est indispensable. Est-il aisé d'accompagner ce type de public? "Non, de nombreux thérapeutes éprouvent des réticences à travailler avec des auteurs de tels faits. Pourtant, notre conviction est qu'une partie de la solution réside dans la prévention."