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Le Journal du Médecin : Quelle est votre définition de la psycho-oncologie ?Pr Darius Razavi : C'est l'interface de toutes les sciences humaines, notamment de la psychologie et de la psychiatrie, avec l'oncologie, dans le but d'améliorer la qualité de vie des patients et de leurs proches et bien sûr des professionnels de la santé, dont les médecins généralistes.Est-ce véritablement une discipline à part entière ?Certainement, et spécialement en Belgique. Dans tous les pays, il y a des sociétés scientifiques, et, dans chaque hôpital, il y a des psychologues, parfois des psychiatres, qui offrent leur soutien aux patients confrontés au diagnostic et au traitement d'une affection cancéreuse.C'est assez rare de vivre la naissance d'une nouvelle discipline ?Oui. Il y a eu un développement exceptionnel, d'abord par l'engagement de nombreux professionnels qui assurent au quotidien le soutien des patients cancéreux et de leurs proches, mais aussi d'une recherche, de revues scientifiques spécialisées pour promouvoir un soutien de qualité... Tout cela a amené à des expertises et il n'y a plus de congrès internationaux en oncologie où il n'y a pas de psycho-oncologie. Aujourd'hui, c'est une évidence d'associer aux traitements oncologiques un soutien adapté aux besoins psychosociaux des patients et de leurs proches.Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce sujet au début de votre carrière ?Parce que l'Institut Bordet était déjà à la pointe du combat pour l'amélioration des soins en oncologie. Y avoir ajouté la psycho-oncologie a été un plaisir parce que la qualité des traitements, de la médecine et de la chirurgie, garantissait la possibilité de pouvoir y adjoindre un soutien personnalisé des patients et de leurs proches dans de très bonnes conditions.De quoi êtes-vous le plus fier ?De trois volets : on a démontré que le soutien des patients était efficace et on a validé des interventions diverses dans ce but ; ensuite, on a eu la même démarche pour les proches des patients ; et enfin, on a étudié le rôle central des professionnels de la santé, les oncologues bien sûr, les infirmières, et tous les autres médecins, généralistes et spécialistes, dans le soutien des malades. On a pu montrer qu'une meilleure communication avec les patients et les proches, assurait non seulement la qualité des soins, mais également la qualité du travail et l'épanouissement professionnel.Pour couronner le tout, la Belgique a été à l'avant-garde puisqu'elle a lancé un Plan Cancer et que dans ce cadre, la psycho-oncologie a été reconnue. Nous avons maintenant 360 psychologues dans les hôpitaux et un certificat inter-universitaire qui assure la formation continue.Que faudrait-il améliorer ?On sait que le soutien est indispensable, mais il faut aller plus loin : l'offrir plus systématiquement et de façon plus personnalisée encore. Les besoins des patients et de leurs proches sont nombreux et varient constamment au fil de l'évolution de la maladie. Il y a notamment un inconfort psychologique lié aux incertitudes des effets des traitements et notamment des nouveaux traitements, des besoins psychologiques divers vont émerger vu les incertitudes qui persisteront pendant des périodes prolongées. Il y aura en effet de plus en plus de guérisons, de longues rémissions mais aussi malgré tout des absences de réponse secondaire à ces nouvelles thérapeutiques. Des soutiens psycho-oncologiques appropriés seront nécessaires.Enfin, ces soutiens devraient être proposés à tous les patients de manière active parce qu'ils ne sont pas toujours informés de l'existence et du bénéfice de ces interventions.La psycho-oncologie n'est donc pas encore assez connue du grand public ?Oui, pas assez encore, dans le grand public, mais aussi chez les médecins généralistes et spécialistes. C'est un problème général, on est constamment sous informé par rapport aux progrès de chaque discipline.Il faut améliorer les formations à la communication ?Les patients et les proches veulent être informés. Ils sont touchés émotionnellement et leurs médecins aussi. Donc quand on parle de communication, c'est un répertoire très large de compétences en communication et une sensibilité à la relation avec les patients et leurs proches qu'il faut acquérir : Comment annoncer un diagnostic, Comment parler de l'efficacité d'un traitement, des effets secondaires ? Comment soutenir ? Comment parler d'espoir, d'incertitude, de sexualité, de fertilité et de l'impact sur les proches ? Comment parler aux proches ?Faites-vous appel à des technologies ?Elles sont très utiles. On a développé la télé-psycho-oncologie pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer. La technologie doit être mise au service des patients. On peut faire des rappels par sms : ne pas oublier de faire certains exercices physiques ou de relaxation par exemple... Cela ne doit pas être négligé parce que cela pourrait augmenter l'efficacité des interventions. Il y a aussi l'enregistrement de la fréquence cardiaque pour essayer d'obtenir des niveaux de relaxation encore plus profonds.Aujourd'hui, il y a la question de la survivance ou 'survivorship' des patients ?C'est probablement ce qui devrait se développer le plus dans les prochaines années, parce qu'on ne soutient pas assez les patients après les traitements, quand ils doivent gérer une multitude de difficultés : pour retourner au travail, fatigue, fatigabilité, sexuelles, de concentration... Il faut leur apprendre par exemple à gérer la peur de la récidive qui est très fréquente. Cela devrait se faire de façon plus systématique et en collaboration avec le médecin traitant généraliste ou spécialiste.Il faut donc développer le rôle du généraliste ?C'est un des points qui devraient faire l'objet d'une réflexion globale. On a une bonne médecine générale et un bon système hospitalier, il faut que les généralistes puissent venir à l'hôpital d'une manière plus régulière, et que ce soit reconnu, mieux valorisé par le système de soins de santé et par l'INAMI en particulier... pour que les réseaux de soutien autour des patients et de leurs proches soient construits et consolidés au cours du temps. C'est important.