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Le diabète peut entraîner de nombreuses complications dont un risque plus élevé de fracture osseuse. Les personnes atteintes mettent plus de temps à guérir et connaissent un taux de réparation osseuse plus faible et donc un risque accru de nouvelle fracture. En outre, elles doivent se rendre régulièrement à l'hôpital où on leur administre des injections d'IGF-1, le facteur de croissance analogue à l'insuline humaine, qui est cher à produire et très instable. Aussi, une équipe de l'Université de Pennsylvanie a cherché une alternative abordable, confortable et pratique, possible à réaliser à la maison. Se basant sur de précédents travaux axés sur la dystrophie musculaire, les chercheurs ont émis l'hypothèse qu'une forme particulière d'IGF, le précurseur de la protéine IGF-1 qui comprend un composant distinct appelé e-peptide, est susceptible de stimuler la régénération osseuse mieux que l'IGF-1 mature, privée de ce peptide. En recourant à une méthode mise au point par le Dr Henry Daniell, l'équipe a introduit le gène exprimant ce précurseur dans des cellules végétales, en l'occurrence de salade, car leurs feuilles sont faciles à sécher, comestibles et sans allergies connues. Les cellules ont alors produit elles-mêmes le précurseur de l'IGF-1. Une fois que les plants de laitue transgéniques ont poussé en laboratoire, les chercheurs ont lyophilisé et réduit en poudre les feuilles, obtenant un produit stable à la conservation pendant près de trois ans, sans besoin d'entreposage au froid. Ils ont également associé le précurseur de l'IGF-1 à une autre protéine, CTB, qui aide à transporter les protéines du tube digestif dans la circulation sanguine. Ce processus ouvre donc la voie à une thérapie orale pouvant réparer les os plus rapidement, à moindre coût, et facile à prendre à domicile. Les scientifiques ont ensuite administré leur traitement à des souris diabétiques une fois par jour et ont constaté une augmentation de l'IGF-1 chez les animaux ainsi qu'une amélioration de la densité, de la surface et du volume osseux, ce dont s'est félicité le Dr Henry Daniell. Ce dernier est convaincu qu'il s'agit d'une option intéressante pour les patients humains non seulement pour la guérison des fractures osseuses chez les patients diabétiques, mais aussi pour traiter d'autres problèmes musculosquelettiques, dont l'ostéoporose et la régénération osseuse après un cancer. Toutefois, aussi séduisante et prometteuse que puisse être cette nouvelle stratégie, Marc Boutry, bioingénieur et docteur en sciences naturelles appliquées, professeur émérite à l'UCLouvain, ne pense pas que, dans les conditions actuelles, elle puisse déboucher sur une application pratique à court terme pour diverses raisons. " D'abord, j'émets des réserves par rapport à l'article qui a été publié, " indique le Pr Boutry , qui a été responsable d'un laboratoire de recherches en biologie végétale. " Sur une des figures, on voit très clairement que la protéine d'intérêt est très mal purifiée, qu'il y a plein d'autres protéines qui peuvent expliquer certaines observations. Des contrôles manquent dans beaucoup d'expériences. Ils disent aussi qu'une partie de la protéine d'intérêt s'agrège au lieu de rester sous forme individuelle. Cela signifie qu'elle est en partie inefficace et donc inutilisable. Cela pose des questions concernant la quantité de protéines effectives produite dans les salades. Je ne peux donc pas déterminer si les conclusions sont correctes ou non. Il faut refaire les expériences en rajoutant des contrôles. " Rappelant que la production d'une protéine d'intérêt pharmaceutique, que ce soit dans des plantes, ou dans des cellules de plante en culture, est une technique qui existe depuis 30 ans et qui est abondamment décrite dans la littérature scientifique, et expliquant qu'il y a trois catégories de protéines produites, celles qui corrigent des déficiences comme dans le cas présent et celles qui permettent la production de vaccins et d'anticorps à visées diagnostique ou thérapeutique, Marc Boutry précise encore que toutes ces protéines peuvent être produites de trois manières. " Tout d'abord dans des microorganismes. Quand ça marche, c'est la solution la plus simple. Sinon, notamment pour des protéines complexes, des cellules de mammifères sont utilisées. Les cellules végétales sont prometteuses là où les cellules animales produisent difficilement la protéine d'intérêt. Le coût de production des cellules végétales est nettement moins élevé et elles présentent aussi l'intérêt de ne pas pouvoir être contaminées par des virus animaux et de pouvoir être utilisées en ingestion plutôt qu'en injection. Mais, jusqu'à présent, tous ces avantages ne parviennent pas à compenser un taux de production qui, pour l'instant, est encore plus faible en cellules végétales. " " Il y a encore très peu d'exemples de protéines produites dans des plantes qui sont sur le marché, notamment parce que ce système d'expression est plus récent, " ajoute le Pr Boutry . " Parmi ces exemples, je peux citer la glucocérébrosidase, une protéine de réparation qui est déficiente dans la maladie de Gaucher. Quelques anticorps - par exemple, pour une immunothérapie anti-Ebola - et quelques vaccins - par exemple, contre la grippe saisonnière - sont en essai clinique à différents stades. " " Enfin, en ce qui concerne la thérapie orale, on a établi que cela pouvait fonctionner, notamment pour des vaccins, chez la souris. Cependant, il reste à montrer l'efficacité chez l'Homme et à développer le cadre réglementaire pour réguler ce type de thérapie. " Biomaterials 2020 - doi : 10.1016/j.biomaterials. 2019.119591