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La patiente du Dr Neven, aujourd'hui âgée de 64 ans, souffre depuis une vingtaine d'années d'un problème de santé assez curieux, qui se manifeste à raison d'un ou deux épisodes par mois en moyenne. À chaque crise, Madame H. est tirée de son sommeil par une sensation qu'elle-même décrit comme un orgasme, immédiatement suivie d'un syndrome grippal invalidant caractérisé principalement par une fatigue importante avec troubles de la concentration, myalgies et maux de ventre diffus, transpiration, palpitations et écoulement nasal. Ce malaise physique et mental généralisé persiste environ cinq jours avant de disparaître spontanément... mais la patiente vit au quotidien dans l'angoisse de la prochaine attaque et de ses conséquences.La maladie a un impact non négligeable sur la vie professionnelle et sociale de Madame H., qui est régulièrement forcée d'annuler des rendez-vous en catastrophe. Elle déclare n'avoir aucune activité sexuelle, ni avec un partenaire, ni par masturbation.Internet l'a mise sur la piste du neuropsychiatre et sexologue néerlandais Marcel Waldinger, professeur à l'université d'Utrecht et à la Drexel University School of Medicine à Philadelphie, qui s'intéresse depuis de nombreuses années aux syndromes mal compris qui comportent une dimension sexuelle. Le spécialiste a rapidement fait le lien entre les plaintes de la patiente et le syndrome de la maladie post-orgasmique (SMPO), une pathologie qu'il a été le premier à décrire (chez des sujets masculins) en 2002.Marcel Waldinger a consacré de nombreux travaux à ce syndrome et, en 2016, il avait déjà identifié aux Pays-Bas une cinquantaine d'hommes confrontés à des problèmes similaires. Les sujets qui souffrent d'un SMPO développent dans les minutes ou les heures qui suivent l'éjaculation des symptômes comparables à ceux de la patiente du Dr Neven. Ces épisodes semblent pouvoir se manifester aussi bien suite à des rapports avec un(e) partenaire qu'après masturbation ou éjaculation nocturne. On distingue une forme primaire, qui touche les jeunes patients dès leur première éjaculation, et une forme secondaire qui se manifeste plus tard dans la vie.Le syndrome grippal d'apparition brutale a amené le Pr Waldinger à formuler l'hypothèse d'un problème immunologique. Serait-il possible, par exemple, que les patients présentent une réaction allergique à leur propre sperme ? Le fait que le syndrome persiste après vasectomie donne à penser que la réaction serait vraisemblablement, alors, dirigée contre le plasma spermatique et non contre les spermatozoïdes.L'expert a tenté d'étayer son hypothèse à l'aide de prick-tests et de traitements de désensibilisation basés sur le plasma spermatique de chaque patient. Faute de groupe contrôle, la validité de l'hypothèse allergique n'a toutefois pas pu être confirmée avec certitude.Maurice Waldinger a également avancé l'hypothèse d'une réaction auto-immune médiée par les lymphocytes T. Au cours de l'éjaculation, des peptides en provenance du plasma spermatique entreraient en contact avec des cellules dendritiques, qui transformeraient à leur tour les lymphocytes T en cellules auto-réactives. L'antigène spécifique supposé déclencher la réaction immunologique n'a pas encore pu être identifié, mais cette hypothèse reste malgré tout à ce jour la plus largement acceptée pour expliquer le SMPO. Un certain nombre d'autres ont été formulées entre-temps. Certains auteurs parlent d'une réponse cytokinique ou neuro-endocrine anormale à l'orgasme, d'autres d'une anomalie des récepteurs des opiacés µ. De grandes quantités d'endorphines sont en effet consommées lors de l'orgasme et, vu sous cet angle, le SMPO serait une sorte de symptôme de sevrage.Divers médicaments tels qu'ISRS, anti-inflammatoires, antihistaminiques et benzodiazépines ont permis d'obtenir une amélioration des symptômes... mais jusqu'ici, aucun n'est efficace chez tous les patients ni même chez la majorité d'entre eux.Le SMPO a également été décrit plus sporadiquement chez des sujets de sexe féminin. Dans le prolongement de sa théorie sur l'origine immunologique du problème, le Pr Waldinger rappelle l'existence, chez la femme, de tissu prostatique - les glandes para-urétrales ou glandes de Skene, localisées dans la paroi antérieure du vagin et qui débouchent juste à côté du méat urétral. Leur fonction ne fait pas l'unanimité, mais on pense qu'elles pourraient libérer des substances capables de protéger l'urètre contre une invasion bactérienne... et il n'est pas exclu qu'elles les produisent en plus grandes quantités en cas d'excitation sexuelle. Là aussi, le Pr Waldinger avance l'hypothèse qu'un antigène pourrait expliquer la survenue du SMPO.Quoi qu'il en soit, lorsque Madame H. l'a consulté en 2017, le Pr Waldinger lui a recommandé un traitement empirique à base de paroxétine 10 mg... qui a effectivement permis de faire disparaître son syndrome grippal post-orgasmique en l'espace de quelques semaines. " Je tiens à souligner que le Pr Waldinger n'a pas prescrit l'ISRS en traitement d'une possible dépression ", précise le Dr Neven. " Il soupçonnait que certains cas de SMPO étaient liés à un dérèglement du métabolisme de la séroto-nine dans le cerveau, ce qui rejoint la théorie des causes neuroendocriniennes évoquée plus haut. Je tenais à le préciser car, comme nombre de patients victimes de maladies mal comprises, Madame H. est toujours piquée au vif lorsque quelqu'un laisse entendre que le problème est dans sa tête. " Après une période sans symptômes d'environ neuf mois, les crises sont toutefois réapparues de façon progressive. Une augmentation de la dose de paroxétine à 20 mg a permis d'obtenir un nouveau répit, lui aussi transitoire. La patiente aurait voulu retourner voir le Pr Waldinger, mais le spécialiste néerlandais est malheureusement décédé inopinément en mai de cette année. Avec l'aide du Dr Neven, la patiente a pu être prise en charge à l'UZ Gent, où elle espère trouver un remède à ce problème qui n'est tout de même pas sans conséquences.Le mécanisme d'apparition du SMPO est encore loin d'être élucidé. Certains avancent que la population de patients pourrait comporter différents sous-groupes avec des pathophysiologies distinctes. Pour l'heure, nous en sommes toutefois réduits à tâtonner au cas par cas pour trouver un traitement permettant d'éviter la survenue des symptômes.Avant de conclure, précisons encore que les orgasmes féminins au cours du sommeil ne sont pas un phénomène exceptionnel : en 1985, 37 % des participantes à une enquête déclaraient par exemple que cela leur était déjà arrivé au moins une fois. La fréquence exacte du phénomène reste toutefois difficile à établir, car il n'est évidemment pas certain que les femmes qui ont eu un orgasme en dormant s'en souviennent forcément au réveil.