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M oncef Slaoui est un Belgo-Américain d'origine marocaine. Il a obtenu une licence et une maîtrise en biologie à l'ULB et un doctorat en biologie moléculaire et immunologie dans cette même université. Il a travaillé une trentaine d'années chez GSK Biologicals sous la férule de Jean Stéphenne mettant au point une série de vaccins. Il a fait partie du conseil d'administration de Moderna, société pharmaceutique et biotechnologique américaine basée à Cambridge, dans le Massachusetts qui se concentre sur le développement de médicaments et de technologies de vaccins basées exclusivement sur l'ARN messager. Le 15 mai 2020, le président Donald Trump nomme Slaoui (à droite sur la photo datant du 15 mai 2020 dans le Jardin des Roses de la Maison-Blanche) à la tête de l'opération "Warp Speed" qui vise à développer rapidement un vaccin pour traiter les maladies à coronavirus. Il démissionne le 12 janvier 2021 une semaine avant l'"inauguration" de Joe Biden. Le Pr Michel Goldman (ULB) a souligné le rôle déterminant de Moncef Slaoui dans la lutte contre le fléau du Covid-19. Invité à la conférence-débat organisée par l'ULB, Moncef Slaoui a expliqué le pourquoi de la découverte rapide du vaccin covid à ARNm Moderna alors que cette quête était parsemée d'obstacles. Comment ce sprint victorieux a-t-il pu être possible? Plusieurs raisons à ce succès: des raisons techniques, structurelles et organisationnelles et scientifiques. Techniques, tout d'abord: "Il y avait des plateformes technologiques en place pour l'ARNm et les vecteurs vivants non-réplicatifs utilisés par Moderna, Pfizer-BioNTech et Oxford-Astra Zeneca", explique Moncef Slaoui . "Ces technologies ont été développées depuis quelques années. Sans ces plateformes, le succès n'aurait pas été au rendez-vous. La deuxième raison technique a été le taux de transmission du virus et l'accélération de la pandémie pendant le déroulement des études de phase III, ce qui fait que le nombre de cas dans les études de phase III s'est accumulé plus vite que ce que nous avions prévu. Les études cliniques ont été approuvées le 27 janvier et le premier résultat est apparu début novembre 2020."Raisons organisationnelles et structurelles: l'efficacité a été rendue possible avant tout par la collaboration public-privé très bien établie dans ce domaine grâce à l'existence conjuguée de la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) et de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency) qui en est l'équivalent au sein de l'armée. Du coup, il existait un contexte contractuel préexistant qui a permis aux entreprises impliquées de collaborer au jour 1 avant même que les contrats ne soient signés. En fait, les États-Unis ont créé la Barda dès 2000. Les deux agences ont investi dans plusieurs technologies qui ont contribué au vaccin. La Barda a été une des premières à investir dans l'ARNm. La Darpa a aussi investi dans le ARNm et les vecteurs vivants. "Ils ont mis en place un réseau d'usines pour la manufacture potentielle de vaccins. Un des grands problèmes en cas de pandémie, c'est en général qu'il n'existe justement pas d'usines capables de fabriquer des vaccins et on attend qu'il y ait une pandémie." On prend alors le risque de ne pas être approuvé par les autorités régulatrices. La Barda et la Darpa avaient un réseau de trois usines qui font la fabrication des vaccins en vrac et une dizaine d'usines qui font le remplissage stérile, point de départ pour la manufacture. L'appel à l'armée fut l'élément-clé. Le fait d'avoir nommé un général 4 étoiles Gustave F. Perna, pour gérer l'apport de la logistique de l'armée américaine (dont le budget est de 500 milliards de dollars par an! ) au projet a été déterminant. "Ce général est responsable de tout ce qui bouge. Il a été nommé co-leader de l'opération Warp Speed avec moi. Cela nous a permis d'utiliser les capacités opérationnelles extraordinaires de l'armée, au niveau physique (transport), project manager et planning. Les activités étaient gérées à la minute. Le partenariat avec l'armée a joué un rôle incroyable puisque avant même les phase I, l'équipement a été mis en place rapidement, notamment la protection contre le Covid. Une fois les études cliniques de phase I complétées et approuvées par la FDA, on commençait les études de phase III en 24 h. On a démarré le recrutement de 1.000 sujets volontaires puis 30.000 personnes en 30 jours ouvrables. Avant même de savoir si les vaccins allaient marcher, on disposait des équipements lourds, le recrutement et l'entraînement des talents ad hoc..."En outre, la Warp Speed a obtenu la collaboration du NIH (National Institute of Health, sous l'autorité de Tony Fauci) et une majorité d'entreprises comme Moderna. Ils ont pu compter aussi sur le Vaccine Research Center qui travaillait sur la séquence de l'ARNm sur les primates. "Les 35 dernières années, on avait créé un réseau de centres d'études cliniques HIV qui a été instantanément opérationnel pour les vaccins Covid-19."L'équipe dirigeante de la Warp Speed a obtenu de pouvoir se focaliser de manière absolue sur le vaccin, sans distraction ni interférence. Aucune bureaucratie n'est venue freiner le projet qui disposait d'un budget quasi illimité. "Nous avons été guidé par la science et uniquement par la science malgré tout ce qu'il se passait dans les médias... Je remarque qu'avec la transition actuelle (vers l'administration Biden, ndlr), il y a plus de distraction..."Enfin, Warp Speed a garanti un marché au laboratoire en achetant les doses de vaccins avant qu'elles n'existent. Par contraste, en Europe, le secrétaire d'État français aux Affaires européennes, Clément Beaune, a reconnu mercredi 10 février que les Européens n'avaient pas été "assez bons" sur l'investissement pour le développement de vaccins anti-Covid. "Il y a un décrochage européen qui ne date pas d'hier, qui est un décrochage de plusieurs années, de plusieurs décennies, c'est notre recul dans l'industrie pharmaceutique."