...

D'abord l'expo sans doute la plus originale parmi les 70 manifestations proposées, celle qui va baliser la ligne Ostende-Eupen, le plus long (et le plus joli sur la portion Liège - frontière allemande) trajet ferroviaire de Belgique qui voit les gares d'Ostende de Gand, les trois grandes stations de Bruxelles, celle de Verviers, et de Welkenraedt, décorées sur les quais, dans les gares ou le long des voies des projets artistiques originaux, des oeuvres de huit artistes féminines. En effet, Europalia prend le train du politiquement correct en marche... L'expo phare de la manifestation - qui roulera jusqu'en mai - est sans nul doute celle consacrée par Train World à l'Orient Express, symbole à la fois de l'Europe et de la Belgique, dont l'existence coïncide ou presque avec l'invention du chemin de fer. D'ailleurs, la création de ce train mythique est l'oeuvre de Georges Nagelmackers dont, dans une salle introductive, on pénètre l'univers et le bureau. Née de sa visite aux États-Unis et des trains pullman, il développe son idée par un réseau de trains de luxe, au travers de la Société des wagons-lits dont on découvre au fil des salles permanentes de Train World, - les oeuvres qui y sont présentées (les imposantes locomotives et voitures) écrasant un peu d'abord de leur masse les petites vitrines consacrées à l'Orient Express - d'abord les affiches, puis les services à bord (qu'il s'agisse des assiettes, de la blanchisserie, de la figure du "conducteur de wagons-lits" veillant sur le confort des passagers), pour ensuite au travers de ce voyage dans le temps voir évoqué les paysages traversés ou les améliorations technologiques apportées (le bogie petit chariot qui permet d'amortir les chocs). Ceci avant d'aborder la partie la plus spectaculaire de l'exposition qui donne à voir une voiture Pullman d'époque, qui dévoile sa marqueterie, les lampes de cristal et certains décors signé René Lalique au sein de l'oeuvre sublime du décorateur d'intérieur Art déco René Prou, ses couchettes dotées d'eau chaude et d'eau fraîche ou de tapisseries des Gobelins. Un confort royal qui bénéficiera également à Léopold II dont le wagon personnel est également exposé. Un raffinement dont le point d'orgue est sans nul doute le wagon restaurant dont l'argenterie et la mythologie transposée au film Le crime de l'Orient Express. Affiches et extraits montrent les différentes productions qui ont choisi pour cadre ce train de légende, lequel circula jusque dans les années 70: Bons Baisers de Russie d'après Ian Fleming notamment, ou l'adaptation du roman d'Agatha Christie par Sidney Lumet en 74 et par Kenneth Brannagh voici cinq ans. Orient Express, au travers de ses panneaux explicatifs, n'est pas non plus avare d'anecdotes, comme celle - incroyable - qui raconte comment l'homme d'affaires Calouste Goulbekian fuyant les persécutions des Arméniens en Turquie s'enfuit via l'Orient Express, emmenant avec lui son jeune fils enroulé... dans un tapis. James Bond n'aurait pas fait mieux. La visite se conclut par une vidéo dans laquelle, sur les paysages grandioses traversés par le train de luxe, s'affichent les citations de Valery Larbaud, Paul Morand, Agatha Christie, Graham Green... Des écrivains pour qui comme pour le visiteur l'Orient Express est l'occasion de fabuleux transports. Autre expo importante du cycle Europalia, celle consacrée par les Musées Royaux des Beaux-Arts au train dans la peinture moderne. Une invention qui fascine autant qu'elle effraie les artistes à voir les peintures de Constantin Meunier ( Pays Noir-Borinage ), les caricatures de Daumier ou la peinture de Gustaaf Wappers qui compare le chemin de fer à une ligne directe vers la gueule d'un dragon ( Le char de Satan). Dans une présentation chronologique, l'expo montre comment le train et ses premières vapeurs a pu fasciner les impressionnistes célèbres comme Monet, présent deux fois (avec notamment Arrivée du train de Normandie gare Saint-Lazare) et de moins connus et belges comme Henri Ottman... qui signe une fascinante vue de la gare du Luxembourg, la fumée renforçant le côté évanescent de leur peinture. Caillebotte et Mondrian monte dans le train de la figuration pour décrire le cheval de fer, Marianne Stokes parvient à en tirer une toile symboliste (avec personnage), tandis que les photos d'Alfred Stieglitz ( New York) et Léonard Misonne ( L'usine) conservent aux locomotives une gueule d'atmosphère. Mais, bien sûr, ce sont les futuristes italiens qui expriment au mieux la modernité du train, notamment Pannaggi, Boccioni ou Sassu décrivant l'impression de vitesse et de progrès, tandis que Severini décrit dans une toile puissante le train comme arme ( Train de guerre en 18), Baldesarri esquissant quant à lui dans un futurisme humanisé un train de blessés. L'évocation du tourisme au travers d'affiches (à voir aussi au Centre de la Gravure de la Louvière) présente des oeuvres réalistes de Théo Van Rysselberghe ou des affiches art déco signées d'un certain Cassandre (vu aussi à Train World). La description de la machine est l'occasion pour des artistes abstraits de souligner les lignes...du train: Servranckx et Fernand Léger s'y révèlent les plus présents. Enfin, l'exploration du compartiment permet de découvrir une oeuvre peu connue et magnifique toute en ombres de Spilliaert ( La dame dans le train, 1908), un songe qui fait place à ceux introspectifs des surréalistes comme Delvaux bien sûr (manque l'oeuvre de jeunesse plutôt abstraite qui le voit décrire à son tour la gare du Luxembourg), un Magritte jeune et croûteux de 22 et deux de Chirico de la bonne période. Commencée dans la vapeur, cette exposition mise sur les rails par les Musées des Beaux-Arts se termine comme il se doit sur le train... des songes.