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Fin 2019, la coalition VHC exprimait déjà son inquiétude, mais celle-ci n'arrive à nos oreilles qu'aujourd'hui, du fait de la crise du Covid-19. Un mal pour un bien, car l'hépatite C se retrouve sous le feu des projecteurs à l'heure même où ses découvreurs reçoivent le prix Nobel de Médecine. L'hépatologue Stefan Bourgeois (1), membre de la coalition VHC, n'a pourtant pas le temps de se reposer sur cet heureux hasard du calendrier. " Nous nous sommes alliés au Pr Homie Razavi, un expert international des maladies. Nous estimons qu'à l'heure actuelle, 18.000 personnes atteintes de l'hépatite C séjournent en Belgique, pour une estimation de 80.000 patients jusqu'il y a cinq ou six ans. Les chiffres ont certainement été surévalués, mais on peut toutefois parler d'une réelle et conséquente diminution de la prévalence de la maladie. Il est vrai que ces dernières années, 2.000 patients ont été traités avec succès." " Pour atteindre les objectifs de l'OMS, la Belgique devra traiter 1.200 patients dans les années à venir. Au niveau médication, les autorités sont parées. Le budget prévu devrait ainsi permettre environ 1.900 traitements par an. Mais le problème est ailleurs..." Les patients traités au cours de ces dernières années ne représentent que le sommet de l'iceberg. Ceux-ci ont eu un accès facile aux soins de santé et étaient parfois déjà traités pour une hépatite C. " Dans les années à venir, ce sont les patients moins visibles qu'il faudra aller chercher", explique le Dr Bourgeois, " comme les toxicomanes ou ex-toxicomanes, les migrants hors UE, sans oublier les détenus, une population au sein de laquelle la prévalence de l'hépatite C est bien plus haute que dans le reste de la population." De quoi complexifier encore la concertation avec les autorités. Le financement des soins aux patients atteints d'hépatite C est géré par trois instances fédérales différentes: l'Inami et le SPF Santé publique pour les Belges "lambda", le SPF Justice pour les détenus et le SPF Intérieur, via Fedasil, pour les migrants illégaux. Les campagnes de dépistage relèvent, par ailleurs, de la responsabilité des Communautés. La coalition VHC devra se frayer un chemin dans ce labyrinthe. Elle a en effet déjà soumis un plan détaillé aux autorités, comprenant les actions à entreprendre pour réunir prestataires de soins et patients difficilement accessibles. La réussite du projet dépend de l'implication des différents niveaux de pouvoir. Stefan Bourgeois nous en dit plus. " À Anvers par exemple, nous avons mis en place un système permettant de détecter les patients difficilement accessibles, par le biais de mentors/pairs. Il s'agit d'anciens toxicomanes qui ont été traités pour leur hépatite C par le passé et qui savent comment atteindre les patients qui passent sous le radar des travailleurs de la santé. Nous pourrions amplifier encore cette sensibilisation, mais nous avons besoin de fonds. Ce n'est pas tout. Il faut également adapter le statut des prestataires de soins, car le personnel infirmier n'a actuellement pas le droit d'effectuer de piqûres au doigt pour un test diagnostique rapide, ni de communiquer un diagnostic." Un autre obstacle reste à franchir. Les patients hospitalisés en vue d'une intervention passent tout d'abord un test sanguin, également à la recherche d'une éventuelle hépatite C. Malheureusement, le patient est souvent déjà rentré chez lui quand les résultats sont disponibles. Difficile pour l'hépatologue d'établir ainsi une relation thérapeutique avec lui et d'avoir facilement accès au test en question. Le droit de contacter un patient avec un test positif ne coule pas du tout de source. Il est donc courant que des hépatites C se perdent dans les banques de données d'un hôpital, sans que l'on y donne jamais suite. Selon la coalition VHC, il devrait être possible de détecter des résultats positifs, sans que le respect de la vie privé s'en trouve enfreint. Cette velléité de changement n'est-elle pas disproportionnée et fastidieuse, quand on sait le peu de patients concernés? Le Dr Bourgeois nous répond par la négative: " on parle ici de 300 morts par an, qui pourraient facilement être évitées. Nous disposons de médicaments permettant aujourd'hui un traitement simple, court et particulièrement efficace. Les chances de guérison s'élèvent à 97-98% après deux à trois mois de thérapie orale, le tout sans effets secondaires. Mais avec une mise en place trop tardive du traitement, le patient risque d'avoir déjà atteint le stade de la cirrhose décompensée du foie ou du cancer du foie. On parle alors de transplantation du foie, avec un coût bien plus élevé que si l'hépatite C avait été diagnostiquée à temps et que le patient avait pu commencer le traitement. Rappelons que nous avons également budgétisé, dans notre plan, chaque mesure souhaitable pour détecter davantage de patients atteints d'hépatite C." L'autre pierre d'achoppement concerne les risques de réinfection. Un toxicomane traité continuera-t-il à se droguer à l'issue de la guérison, au risque de retomber malade? Une affirmation balayée de la main par l'hépatologue anversois: " Seuls 1 à 2% des consommateurs de drogues retombent malades. C'est moins que chez les HSH co-infectés par le HIV et l'hépatite C. Je ne veut pas non plus remplacer une stigmatisation par une autre, mais nous devons éviter d'imputer tous les maux de la terre aux consommateurs de drogues, sous prétexte qu'ils vivent dans la marge. La médication contre l'hépatite C donne en outre d'aussi bons résultats chez les toxicomanes que chez les autres groupes de patients, à condition d'avoir un pair qui veille à l'observance thérapeutique." " Je pense que certains toxicomanes refuseront toujours de se faire traités, mais les modèles d'élimination ont montré que l'éradication de la VHC peut être atteinte avec un dépistage de 90% des malades et le traitement de 80% d'entre eux."