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Dans une banlieue pavillonnaire et donc sans âme (genre Edward aux mains d'argent sans les couleurs, mais avec crépi), survivent Marie, Christine et Bertrand. Ils sont voisins et se sont rencontrés sur le rond-point tout proche à l'époque des gilets jaunes. Ces périurbains en péril, sont divorcées ou veuf, endettés, accros et victimes des écrans : Christine est une droguée des séries, Marie est sujette à un chantage à la sextape ; quant à Bertrand, sa fille a été filmée, violentée par des congénères de son école, lesquels ont posté la scène sur Facebook... Tous trois sont totalement dépendants de leur téléphone : pour la vente de leur meuble sur le bon coin, la livraison de packs d'eau, les étoiles attribuées pour leur société de taxi VIP, voire leur vie amoureuse quand une vendeuse téléphonique de vérandas s'avère une Mauricienne du nom de Miranda... Formidable description de notre société contemporaine artificielle " second life " même pour les besoins primaires, dont les individus sont drogués au réseau, désormais incapable de se servir d'une carte routière, de se parler (on s'envoie plutôt des mails ou des sms), de converser sans traducteur instantané, ou de patienter avant de baiser voire de s'aimer.... Pour une fois chez Kervern et Delépine, la finesse d'observation l'emporte sur le parfois balourd : d'une poésie déprimante et d'un humour des plus corrosifs dans les scènes ou les dialogues, ce film, ramassé et sans longueurs, se révèle un manifeste contre la dépendance virale et pour la liberté physique. Il ressemble à la version filmée d'un livre de Houellebecq, si ce dernier avait écrit sur internet. Et ô surprise ! , le voilà qu'il apparaît dans un petit caméo vers la fin de ce long métrage. Il n'est pas le seul : Vincent Lacoste, Jean Dujardin, Benoît Poelvoorde (en livreur genre deliveroo) et Bouli Lanners effectuent des passages éclairs autant qu'éclairants. Mais c'est évidemment le trio de déprimés, campé par Blanche Gardin, Corinne Maserio et Denis Podalydès -tous trois formidable en pieds nickelés multipliant les gaffes dans leur combat contre les Gafa - qui donnent corps et âme à ce film charge contre le virtuel - tous connectés et pourtant tout seuls, cette vie de " rêve " comme un songe... un mensonge. Mention spéciale enfin pour la bande-son. Celle de Daniel Johnston, auteur-compositeur-interprète américain décédé l'an dernier, et dont les compositions lo-fi acerbes évoquent à la fois Eels pour l'atmosphère et les paroles et Neil Young pour la voix. À découvrir sur disque bien sûr... et pas sur spotify !