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Le journal du Médedecin:: Quelles malformations cardiaques congénitales pourrait-on attribuer à une carence ou un déficit en tel ou tel nutriment? Pr Stéphane Moniotte: Dans la toute grande majorité des cas individuels de cardiopathies congénitales, l'origine est multifactorielle, et il est donc difficile d'attribuer directement la cause à un déficit déterminé. C'est donc plutôt par les études épidémiologiques que nous en savons plus. Ainsi, dans une étude belge encore relativement récente (1), on a pu remarquer qu'environ 40% des femmes enceintes n'ont pas un taux sérique de folates suffisant pour être qualifié de protecteur dès le premier trimestre de la grossesse, qui est celui au cours duquel le coeur se forme. D'une manière générale, et malgré une alimentation globalement "riche" dans notre pays, on observe une carence vitaminique globale pour avoir un effet protecteur optimal contre différentes malformations congénitales graves. Cela dit, pour des raisons éthiques, il est difficile d'imaginer des études prospectives, interventionnelles en double aveugle, qui n'incluraient qu'une seule vitamine à supplémenter, voire un placebo, chez la femme enceinte. Quid de la star vitaminique de la pandémie, alias la vitamine D, en prévention d'anomalies congénitales? À ma connaissance, faute d'études prospectives portant exclusivement sur elle, on ne lui a jamais trouvé un rôle important sur le plan de la prévention des cardiopathies. Même les études rétrospectives n'ont rien montré de particulier jusqu'ici. Pour en revenir à l'acide folique, quel type de malformation apparaît liée à une carence? Historiquement, les États-Unis ont distribué gratuitement des folates aux femmes enceintes dans les années 90, et on a vu diminuer rapidement le nombre d'anomalies du tube neural (dont les spina bifida), qui concernent environ une naissance sur mille. Sur le plan des cardiopathies congénitales, la supplémentation en folates réduit surtout l'incidence des cardiopathies conotroncales, qui affectent essentiellement les voies d'éjection des deux ventricules (donc l'aorte et l'artère pulmonaire). Une étude a montré qu'un complexe vitaminique comprenant de l'acide folique était efficace en prévention, mais à condition de le prendre entre un mois avant et deux mois après la conception: la formation du coeur est tellement précoce dans la grossesse qu'on ne peut pas attendre qu'elle soit confirmée pour agir efficacement. La diminution de l'incidence tourne alors aux environs de 35%. Ce qui est réellement important, quand on se rappelle qu'une malformation cardiaque congénitale frappe environ une naissance vivante sur cent, soit environ dix fois plus que les anomalies du tube neural. Observe-t-on chez certaines femmes un problème de métabolisme de l'acide folique? Oui, chez environ une femme sur 20. En tant que tel, l'acide folique n'est pas biologiquement actif. Pour cela, il doit être transformé par plusieurs réactions enzymatiques. Or, certaines femmes présentent la mutation C677T du gène codant pour la méthyl-tétrahydrofolate réductase (MTHFR), une mutation qui diminue fortement son activité enzymatique et qui touche environ 60% de la population européenne. Toutes les personnes concernées ne sont heureusement pas homozygotes, mais l'hétérozygotie entraîne tout de même une baisse d'environ 35% de la conversion enzymatique de l'acide folique, débouchant également sur une augmentation du risque d'anomalie congénitale. Et quid des anomalies congénitales du système urinaire qui seraient liées à une carence en acide folique? Il s'agit essentiellement d'anomalies touchant l'ensemble du tractus urinaire, des reins à l'urètre, dont des valves de l'urètre postérieur chez les garçons, au départ de mêmes cellules progénitrices du tractus urinaires. Leur incidence est de l'ordre de 1 à 2% des grossesses. Ces anomalies sont généralement moins graves que celles qui touchent le coeur. Un problème de jonction vésico-urétérale entraînera par exemple un reflux vers l'uretère, avec dilatation et infections urinaires plus fréquentes. Cela ne s'observe que rarement dès la naissance, et comme c'est assez fréquent, il faut savoir y penser par la suite. Les conséquences au long cours peuvent être importantes, avec par exemple une insuffisance rénale chronique apparaissant tardivement dans la vie. Les autres malformations fréquentes sont les agénésies de membres ou des malformations de type fente labiale. Existe-t-il une insuffisance de prescription d'acide folique chez la femme enceinte? La réponse à cette question n'est pas simple. En effet, la majorité des grossesses ne sont pas réellement planifiées. Il n'y a qu'environ 10% des femmes qui consultent leur médecin pour avis avant d'arrêter leur contraception, pour un souhait de grossesse. La prévention est donc compliquée. De plus, la prise prophylactique de suppléments vitaminiques au long cours - et en particulier en période périconceptionnelle - n'est pas courante. Par ailleurs, si elles connaissent l'existence de l'acide folique, la plupart des femmes ignorent son rôle et, en particulier, qu'un taux suffisant diminue l'incidence de nombreuses malformations. Cela s'observe même chez les femmes ayant déjà eu plusieurs enfants. Ainsi, si l'effet sur les atteintes du tube neural n'est connu que de 13% des femmes nullipares, ce n'est guère mieux chez les autres: 19% seulement, soit à peine une mère sur cinq. A-t-on affaire à un manque d'informations, ou à un manque de compliance des futures mères? Ce qui est inquiétant, c'est de constater qu'environ 38% des femmes concernées n'ont pas été conseillées sur le plan de l'acide folique. Et si, malgré tout, 14% de ce groupe prendront tout de même une supplémentation, cela signifie que les 86% restantes n'en prendront pas. Il existe donc un manque d'action préventive dans le chef des médecins pour l'acide folique. Il s'y ajoute encore que même bien informées les femmes sont nombreuses à ne pas prendre de supplémentation, que ce soit pour des raisons de coût ou de compliance au sens large. Ceci dit, les campagnes d'information lancées dans différents pays se sont montrées utiles, faisant passer la prise effective d'une supplémentation de 15-20% des femmes à environ 50%. Du reste, il convient de rappeler que la prise d'acide folique et de multivitamines peut également se montrer efficace dans la prévention d'autres pathologies, comme par exemple le cancer colorectal, l'athérosclérose (par une interaction entre le métabolisme des folates et ceux de l'homocystéine et de la méthionine) ou certaines formes de démence.