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Une femme dans l'aube grise se lève, quitte le lit conjugal, la maison familiale laissant derrière mari et deux enfants. Elle s'en va de ce pays de montagnes et roule vers la mer, sans reliefs tragiques. Son séjour s'allonge, se prolonge, les enfants, la fille Lucie surtout, se débrouillent, épaulent leur père, grandissent. On ne sait si Clarisse reviendra, pas plus qu'elle-même, mais elle est avec eux en pensée, vit avec eux, les voit changer, se souvient, voudrait revenir et pourtant ne peut. Adaptée de la pièce de Claude Galla je reviens de loin, Serre moi fort est déjà le huitième film de Mathieu Amalric qui est, on l'oublie souvent, réalisateur avant d'être acteur. Filmé au plus près des corps, dans un jeu de lumière d'ombres et de lumières remarquables signé Christophe Beaucarne, ce film possède des paysages figés dans l'éternité à la Edward Hopper, et effectue des allers-retours sans cesse entre ellipses temporelles ou plutôt imaginaires magnifiques, et réalité épouvantable, voire insupportable, l'imaginé prenant une épaisseur plus consistante que la réalité comme dans ce poster de Robert Bechtle que Lucie, la fille de Clarisse, caresse. Porté par l'actrice allemande Vicky Krieps mélange de Meryl Streep et de Marina Hands au beau visage grave et miroir, par Arieh Worthalter en faux Romain Duris épais aussi bien physiquement que psychologiquement, et deux duos de jeunes acteurs, tous remarquables, dans le rôle des deux enfants grandissants, le film jouit d'une direction d'acteurs irréprochable: Mathieu Amalric sait de quoi il en retourne évidemment, et parvient à garder longtemps l'ambiguïté atmosphérique qui domine cette fuite... de la réalité.