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Vous avez dit "psychédéliques"? Ce mot qui vient du grec signifie "qui révèle l'âme". "Ce sont des substances de la famille des psychotropes, qui induisent des expériences psychédéliques, c'est-à-dire un état de conscience modifiée avec des débordements d'idées, des distorsions, des intensifications de la perception, des hallucinations psychosensorielles", précise le Dr Astrid Kaiserman, médecin en dernière année de spécialisation de psychiatrie adulte à l'ULB. "Le LSD, molécule de synthèse utilisée de manière récréationnelle, induit de gros trips, avec des hallucinations... La psilocybine est le composé actif des champignons hallucinogènes. La MDMA, le composé pur dans l'ecstasy, n'est pas typiquement un psychédélique, c'est plutôt un empathogène, une molécule qui va renforcer la relation de confiance entre le thérapeute et le patient et ainsi permettre d'aller chercher plus loin dans les souvenirs enfouis." Les psychédéliques sont-ils de la drogue? "Oui", répond-elle, "dans le sens où ce sont des substances psychotropes, mais elles ont un profil d'action et d'usage assez différent de ce qu'on pourrait croire. Par exemple, il n'y a pas d'addiction, et le profil des utilisateurs diffère de celui de ceux qui prennent des substances addictives. Souvent, ils ne sont pas pris quotidiennement, l'utilisation est certes régulière mais plus espacée. Et surtout, on n'est pas dans une recherche régulière de nouvelles défonces, on cherche de nouvelles sensations, dans une volonté d'introspection. Il y a très peu de toxicité et pas de mort par overdose. De manière générale, il y a peu de dégâts." La psychiatre invite à se demander ce que c'est que de prescrire de la drogue comme les benzodiazépines: "Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas en prescrire et je ne dis pas qu'il faut prescrire des psychédéliques à tout-va, mais il est parfois intéressant de se demander quels sont les critères objectifs selon lesquels une molécule devrait être psychiatrisée ou non, prescrite ou non." Si les psychédéliques font l'objet d'un usage rituel et religieux depuis des millénaires chez les peuples amérindiens, leur histoire commence en occident en 1943, lorsque Albert Hofmann synthétise du LSD. "À partir de là, le LSD et la psilocybine ont été utilisés en tant que psychomimétiques par les médecins et chercheurs. Dans les années 60, on assiste à la première vague de psychédéliques pour traiter des troubles psychiatriques. Des études ont eu des résultats prometteurs, mais leurs limitations méthodologiques n'ont pas permis de tirer de conclusions valides. Par ailleurs, c'était fortement associé à la contre-culture, il y a eu une prohibition totale dans les années 70 et la recherche s'est arrêtée." Actuellement, on assiste à une "renaissance psychédélique" et, depuis les années 2000, de plus en plus de pays font des études avec de la thérapie assistée par psychédéliques sur les TOC, les troubles cyclothymiques, les troubles de l'usage, l'anxiété, les troubles psychiatriques de fin de vie... "Le trip psychédélique, c'est un voyage dans sa conscience qui fonctionne différemment de d'habitude", explique le Dr Kaiserman. "C'est pour ça qu'on a des hallucinations, des expériences mystiques, et qu'on peut avoir des reviviscences de traumas. C'est un travail qu'on apparente souvent à une psychothérapie très intense, très chaotique. Mais ce trip n'est pas toujours agréable, on peut avoir de l'anxiété transitoire... C'est normal, ça fait partie du travail." Le patient peut aussi avoir un insight sur sa propre manière de fonctionner et une sensation transcendante de connexion universelle. D'un point de vue thérapeutique, il y a une diminution de la suicidalité, du neuroticisme et de l'évitement, et une augmentation de l'acceptation. "Au niveau cognitif, il y a plus de flexibilité psychologique (se dire qu'on pourrait faire autrement qu'à son habitude). Au niveau moléculaire, le mécanisme principal est un agonisme partiel sérotoninergique (5-HT2A). Au niveau de la connectivité cérébrale, l'hypothèse est qu'il y a moins de connectivité intra-réseau après administration de la psilocybine, mais il y en a plus entre les réseaux. Le cerveau est donc connecté différemment, c'est vraiment le point essentiel: dans un contexte psychédélique, il a le potentiel d'agir différemment et on voudrait utiliser ce potentiel-là." Les deux principales applications concernent la dépression, avec de l'Ayahuasca et de la psilocybine, et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), avec la MDMA. "C'est super intéressant parce que les études sur la thérapie assistée par psilocybine dans la dépression résistante sont en phase IIB (la FDA projette une autorisation en 2025). Pour la MDMA dans le SSPT, on est en phase III, elle pourrait donc être sur le marché fin 2023 aux États-Unis: ce n'est pas de la science-fiction! Cela a gagné le statut de "breakthrough therapy", accordé par la FDA pour des recherches aux résultats particulièrement prometteurs", commente-t-elle. "On donne une à maximum trois doses, ce n'est pas une prise quotidienne. Ce traitement se veut traiter la cause beaucoup plus fondamentalement qu'un traitement symptomatique: c'est très intéressant tant au niveau de l'adhésion que de l'efficacité, et du profil d'effets secondaires qui est très minime", poursuit-elle. Les pathologies cardiaques, les troubles bipolaires/psychoses et la suicidalité active sont néanmoins exclues par prudence. "On accompagne le patient dans un voyage. C'est là que le set et le setting interviennent: le set, c'est l'état émotionnel interne (humeur, pensées, attentes, intention... du patient) ; le setting, c'est l'environnement physique et social, qui doit être apaisant." Le patient est installé dans une chambre, sur un lit, avec une couette, un masque sur les yeux et un casque sur les oreilles pour diffuser de la musique calme. Le thérapeute intervient avant, pendant et après le trip. "Des semaines avant, on prépare le voyage avec le patient. Pendant, on est là pour le suivre et le guider, c'est non directif. Tout de suite après, on fait l'intégration des réponses, ou éléments de réponse obtenus, et on voit comment en faire un sens avec le patient (comment l'utiliser pour sortir de ses schémas habituels, de son addiction...)." "On est à mi-chemin entre un traitement pharmacologique et une psychothérapie très intense, parce qu'il y a cet effet de voyage à travers l'inconscient qui permet au patient de faire le travail. C'est dans cette symbiose entre les deux que le travail est intéressant et qu'on va en retirer beaucoup de choses", souligne la psychiatre.