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Peut-on parler de "révolution" à propos des psychédéliques? "Oui", estime Olivier Taymans, documentariste et membre de la Psychedelic Society Belgium (1) qui vise à créer un cadre juridique pour l'usage sécurisé et thérapeutique des substances psychédéliques en Belgique. Il a précisé son point de vue lors de la Journée scientifique sur "les psychédéliques en psychiatrie: innovation thérapeutique ou retour du refoulé?", organisée le 14 mai dernier par la Clinique Ste-Anne St-Rémi (Bruxelles). "Les psychédéliques sont, à plus d'un titre, des substances révolutionnaires. Pour commencer, c'est la première avancée majeure en psychopharmacologie clinique depuis les années 80. On espère, pour cette décennie, les premières autorisations de psychothérapie assistée par psychédélique. En thérapeutique, leur utilisation nécessite une véritable synergie entre psychothérapie et pharmacothérapie. Il s'agit d'un traitement en profondeur plutôt qu'une suppression des symptômes, à répéter éventuellement dans certaines indications (certains résultats s'améliorent avec le temps sans nouvelles sessions psychédéliques)". Le nombre d'indications ne cesse de croître: dépression, anxiété, SSPT, addictions, algies vasculaires faciales, TOC... "On envisage les psychédéliques dans la dépression bipolaire, les troubles alimentaires, Parkinson, Alzheimer, coma (le Coma Science Group de Liège va tester la psilocybine chez des patients comateux)... Il n'y a pas de toxicité ni d'addiction avec les psychédéliques classiques (attention cependant en cas d'usage prolongé de kétamine, qui peut affecter la fonction des voies urinaires, prudence aussi avec la MDMA). Dans le contexte clinique, les effets indésirables sont négligeables (rares, légers, passagers). Quant au redouté 'mauvais trip' éventuel, il est accompagné et fait partie du travail." La renaissance des psychédéliques s'est traduite par la reprise de la recherche à partir des années 2000. "La première évolution concerne les substances: la psilocybine remplace le LSD parce qu'elle a une durée d'action inférieure permettant de traiter un patient en une journée et parce qu'elle est moins connotée que le LSD ; apparition de la MDMA (surtout pour le SSPT) ; recherche sur la DMT (diméthyltryptamine)/ayahuasca (breuvage amazonien) ; la kétamine ; et l'ibogaïne et la mescaline qui restent négligées", précise-t-il. Par ailleurs, les protocoles sont aujourd'hui plus rigoureux, l'imagerie médicale permet une meilleure compréhension des mécanismes d'action et des études de phases 2 et 3 (psilocybine/dépression résistante ; kétamine/trouble d'alcool sévère ; MDMA/SSPT) sont en cours, faisant espérer une autorisation prochaine. Parmi les développements sociétaux récents autour de la recherche, Olivier Taymans relève l'arrivée de l'argent: "Alors que la MAPS (Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies), l'ONG qui essaie de ratisser de l'argent pour la recherche, a rassemblé 130 millions de dollars en 35 ans, la capitalisation de Compass (Navigating Mental Health Pathways), arrivée sur le marché en 2021, et d'Atai Life Sciences, s'est élevée respectivement à 2 milliards de dollars et 2,85 milliards de dollars! Cette bulle financière risque aujourd'hui d'éclater: Atai est tombée à moins d'1 milliard de dollars et cette chute est d'autant plus vertigineuse que ces sociétés ne sont pas encore actives. C'est de la pure spéculation sur la promesse des psychédéliques!"Il poursuit: "L'avantage c'est qu'il faut des capitaux pour ouvrir des centres de recherche spécialisés. L'inconvénient c'est qu'il y a une inflation de (demandes de) brevets absurdes, l'apparition de centres de thérapie haut de gamme, compromettant leur accessibilité... Enfin, un corollaire lié en partie à l'irruption de l'argent, est qu'on veut faciliter l'accès à tous: est-ce que le 'trip' est un effet secondaire à éliminer ou est-ce le ressort thérapeutique comme beaucoup le pensent? Je souhaite bonne chance à ceux qui essaient de développer des substances qui ne donnent pas de 'trip' mais quand même des effets bénéfiques! ...En anglais, on parle de 'Betterment of the well', pour des personnes qui n'ont pas de pathologie mais qui désirent bénéficier de la prise de psychédéliques pour mieux créer, changer de personnalité..."Actuellement, il y a aussi une prise de conscience des enjeux éthiques, avec une sorte de #MeToo dans la recherche psychédélique, souligne-t-il: "Des thérapeutes sont mis en accusation pour des pratiques douteuses. Il faut dire que l'expérience psychédélique mène les personnes accompagnées à une grande vulnérabilité. Or, se pose bientôt le défi du grand nombre de praticiens à former rapidement, par exemple, si la FDA autorise en 2023 la MDMA dans le SSPT..."Promises à un bel avenir, les thérapies psychédéliques doivent encore faire l'objet de multiples recherches pour en préciser les indications, affiner les protocoles (dosages, nombre de séances, expériences en groupe...), mettre en place les cadres légaux et éthiques, assurer leur accessibilité (remboursement, accompagnement, en centres de bien-être ou par thérapeutes à domicile? ...)... "Les premières autorisations ne sont sans doute pas loin, mais diverses embûches éthiques et sociétales peuvent compromettre la pleine réussite de ces thérapies novatrices. Leur plein potentiel reste sans doute à découvrir, il faut néanmoins rester prudent: ce n'est pas la panacée, ni une pilule magique!", conclut Olivier Taymans.