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"C 'est une agréable surprise," a déclaré le neurologue Pierre Vanderhaeghen à qui la Princesse Astrid a remis le Prix Generet pour les Maladies rares lors d'une cérémonie en petit comité. Décerné par un jury d'experts international pour la troisième année consécutive, ce prix prestigieux du Fonds Generet est géré par la Fondation Roi Baudouin, qui a l'ambition de faire de la Belgique un pôle international de la recherche sur les maladies rares et surtout il est doté d'un montant conséquent d'un million d'euros. L'année passée, ce prix avait été attribué au Pr Steven Laureys pour ses recherches sur les états de conscience altérée causées par de graves lésions cérébrales, et l'année encore avant, c'est le Pr Mikka Vikkula qui l'avait reçu pour ses travaux sur les causes génétiques des anomalies vasculaires. Autrement dit deux autres grosses pointures. Cette fois, le Prix Generet vient couronner les travaux menés depuis plus de dix ans par le Pr Vanderheaghen qui dirige le Laboratoire de Neurobiologie du Développement et des Cellules souches de la KU Leuven et travaille également à l'ULB. Ses travaux visent au départ à mettre au point un moyen de suivre "in vivo" le développement cérébral humain. " You can only fix what you understand," se plaît-il à dire. " Les maladies rares, qui occasionnent souvent des déficiences graves, ont encore beaucoup de secrets pour nous. Plus nous en savons sur la manière dont notre cerveau se développe, mieux nous comprenons quand et pourquoi des anomalies peuvent se produire et comment apparaissent certaines maladies rares."Pour parvenir à résoudre ce mystère, Pierre Vanderhaeghen, qui est aussi un ancien lauréat du Prix Francqui, et son équipe ont trouvé une solution. " Le cerveau humain est plus complexe que celui d'autres espèces animales. Une grande différence est qu'il se développe très lentement: il n'est entièrement fonctionnel qu'au bout d'une vingtaine d'années. Cela donne donc beaucoup plus de temps à l'être humain pour apprendre de nouvelles choses. Mais il est difficile d'étudier cela sur des cellules isolées en laboratoire, car c'est précisément l'interaction complexe entre ces cellules dans le cerveau qui détermine le déroulement de ces évolutions, et il faut donc pouvoir observer ce processus dans un organisme vivant." Et pour atteindre ce but, les chercheurs ont réussi à développer un nouveau modèle. "Une première étape importante a consisté à transformer des cellules souches humaines embryonnaires en cellules nerveuses de cortex humain, que nous avons ensuite transplantées dans le cerveau de souris. Nous avons observé que ces cellules cérébrales humaines conservent leur propre rythme de développement, très lent, et qu'elles forment des connexions très précises avec les neurones environnants de souris. Donc, elles collaborent, sans devenir pour autant des cellules de souris. Il y a une horloge interne aux cellules nerveuses qui va les faire se développer plus ou moins vite et cette horloge est réglée sur un temps très lent dans le cas des cellules nerveuses humaines." Parallèlement à ses recherches, le Pr Vanderhaeghe a développé une interaction avec le Pr Hilde Van Esch, directrice de la clinique de génétique humaine à la KU Leuven. " C'est une clinicienne, spécialiste des maladies neurodéveloppementales. Il y a quelques années d'ici, en voyant des enfants qui ont des déficiences intellectuelles et des épilepsies, elle a découvert une nouvelle maladie due à la duplication du gène MECP2. On connaît aussi une autre maladie neurodéveloppementale orpheline, le syndrome de RETT. Elle affecte les filles qui ont perdu le gène MECP2. Cela veut dire qu'il y a un dysfonctionnement quand ce gène est absent mais aussi quand il est doublé. Ce qui est assez inhabituel. Comme si la dose du gène était super importante." Du coup, Pierre Vanderhaeghen a émis une hypothèse physiopathologique. " De nombreuses maladies rares sont causées par des mutations génétiques qui entraînent des anomalies dans le développement cérébral. Celles-ci s'expriment par de graves déficiences mentales, de l'épilepsie, des symptômes du trouble de l'autisme, etc. Nous supposons que, pour un grand nombre d'entre elles, l'erreur est liée à la vitesse de développement des neurones qui se développent trop lentement ou trop vite. Un mécanisme qui expliquerait aussi pourquoi il existe de nombreuses similitudes dans les troubles du développement auxquels sont confrontés deux patients atteints de mutations génétiques entièrement différentes." Des recherches ont déjà été lancées sur les deux syndromes évoqués, en collaboration avec APTEEUS, une spin-off française spécialisée dans le repositionnement de médicaments existants pour le traitement de maladies rares, et avec le soutien d'une association de patients. " L'idée qui est vraiment originale, c'est de générer des cellules nerveuses qui ont perdu MECP2 ou qui l'ont deux fois, de les transplanter dans notre modèle animal et de voir comment elles évoluent afin de pouvoir ensuite développer des traitements appropriés. Nous espérons faire ainsi la différence pour les patients atteints de maladies rares, trop souvent laissés pour compte." " Grâce à ce Prix Generet, nous allons pouvoir financer la suite de nos recherches durant les quatre prochaines années. C'est une grande chance pour nous qu'il existe des moyens comme celui-là, qui nous donnent le temps et la liberté de tester des hypothèses radicalement nouvelles. Il y a donc un gros volet de recherche de base et puis nous allons ajouter une nouvelle corde à notre arc, en essayant de passer à des tests thérapeutiques, tout en sachant que cette partie-là est plus aléatoire et qu'on ne peut pas prédire dans quel délai cela pourra déboucher sur de nouveaux traitements." " Le fait que le jury ait reconnu l'importance de nos travaux de recherche fondamentale, c'est cela qui me fait le plus plaisir" conclut le Pr Vanderhaeghen . "Cela signifie qu'au-delà de notre petite sphère scientifique, d'autres personnes comprennent que pour les maladies de développement du cerveau, il faut investir à plus long terme..."