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Anesthésiste réanimateur de formation, Philippe Devos a été chef de service adjoint des soins intensifs au sein du groupe santé CHC (Liège). Il y exerçait également la présidence du conseil médical. Il a été président fédéral de l'Absym jusqu'en 2021 et y est resté administrateur. En politique, il a été conseiller communal à Liège jusqu'en 2012. Prendre la direction générale d'Unessa nécessitera qu'il abandonne l'essentiel de ses anciens mandats. Le journal du Médecin: C'est assez étonnant, malgré tout, de passer de l'Absym à une fédération hospitalière... Qu'est-ce qui vous a poussé? On est venu vous chercher? Philippe Devos: Oui, bien sûr. J'ai été contacté par un chasseur de tête. Je n'avais pas personnellement prévu de quitter le groupe hospitalier CHC (MontLégia à Liège, NdlR). Et puis voilà, la proposition était intéressante. Quelque part, il s'agit de participer à la conception de ce que seront, demain, les soins de santé en Belgique. C'est un challenge intéressant dans une structure qui regroupe toutes sortes d'associations de soins de santé différentes. C'est donc beaucoup plus large que le monde hospitalier ou le monde médical. Je pense à la transmuralité et aux soins multidisciplinaires. C'était un défi intéressant. En sus, c'est prendre la tête d'une entreprise avec plus de 60 personnes. Toute une série de choses correspondent à mes aspirations tout en me permettant de vivre de ce projet de "faire un monde meilleur dans les soins de santé en Belgique". Alors qu'à l'Absym, le mandat ne propose pas de rémunération. C'est toujours après vos heures. À l'Unessa, j'ai les moyens de m'y consacrer pleinement. C'est une possibilité de rentrer de manière plus intense dans les dossiers. Cependant, cela vous oblige-t-il à renoncer à tout le reste?Ça m'oblige à renoncer à mon activité de médecin. À terme, je sais que je n'aurai plus le temps de me consacrer à la médecine. C'est clair. Dans les prochains mois et années, je vais devoir arrêter puisque la DG d'Unessa est un poste à temps plein. Concernant la participation au conseil d'administration de l'Absym, les instances doivent encore décider. Certains mandats sont incompatibles. Ma participation à la Commission médecins-hôpitaux évidemment rendrait les choses totalement schizophréniques. D'autres mandats qui consistent à donner un avis sur certains dossiers pourraient être maintenus. J'ai des amis à l'Absym mais aussi au sein des autres syndicats médicaux. C'est une grande opportunité. Concilier le monde de la représentation médicale et le monde de la représentation des employeurs en soins de santé, on sait bien que ces dernières années cela n'a pas été facile. J'ai été le fer de lance du combat en faveur de la rémunération des assistants en médecine dans les hôpitaux... J'y vois une opportunité de réconcilier les points de vue et d'aller vers une vision commune des soins de santé de demain. Les objectifs à long terme sont identiques. C'est juste la mise en oeuvre qui diffère. À long terme, on veut le mieux pour les patients. J'imagine que le côté "renoncement à la médecine" a été le facteur qui vous a le plus mis en position de dilemme?Exact (il rit). C'est le plus dur. Moralement, psychologiquement, c'est difficile. Maintenant, d'autres médecins ont fait ces choix. Je pense au directeur général du Chwapi qui a dû abandonner ses activités médicales. Je ne suis pas le premier. La médecine, c'est améliorer la santé des patients. En tant que DG de l'Unessa, j'y contribuerai également. L'objectif pour lequel j'ai fait la médecine à 18 ans reste le même. Même si c'est par le biais d'une fédération qui va apporter des soins de qualité dans ce pays. Dans votre spécialité, y a-t-il moyen de revenir (sans vouloir aucunement envisager votre échec: imaginons que dans trois ou quatre ans, la médecine vous démange...)? Il me semble que oui... Oui... De toute façon, je suis dans une spécialité en pénurie comme beaucoup d'autres et il y a toujours des possibilités moyennant une petite remise à jour de quelques semaines. Ce n'est pas un aller-simple. Vous êtes plutôt un "esprit libre". Vous ne craignez pas le côté "grosse machine" de l'Unessa?Ah... Vous savez, comme grosse machine, l'Absym n'est pas mal non plus. Je l'expérimente toutes les semaines. On m'a posé la même question au CA d'Unessa qui compte plusieurs centaines de membres présents à l'AG. C'est une grosse fédération. Mais l'Absym est aussi une grosse fédération qui représente 20.000 médecins en Belgique. Dans les AG de l'Absym, on peut compter 100 personnes. Les intérêts entre Flandre vs. Wallonie, Bruxelles vs. la ruralité, sont parfois difficiles à concilier. Sans oublier les intérêts des généralistes et des spécialistes, les praticiens cliniciens et ambulatoires,... Devoir louvoyer entre les pressions de chacun, les conflits internes,... Je l'ai vécu. Ma force a toujours été d'aller chercher le plus large consensus possible. À l'Absym, je ne m'en suis pas trop mal sorti. Aux autres cependant d'en juger... Je l'ai plutôt bien fait. Je vais faire de même. Avoir une grande fédération, ce n'est pas simple de piloter le navire, mais c'est aussi un gros avantage pour peser politiquement, obtenir les moyens, faire que les missions et visions de l'Unessa soient défendues au niveau des autorités. Si on veut vraiment influencer les choses, il est inutile d'aller dans une petite structure. Qu'est-ce qui les a séduits, eux, dans votre profil?Plusieurs choses. Ils m'ont vu à la table des négociations face à eux: je suis à la fois respectueux mais je ne lâche pas mes positions. Deux: le panel de mon vécu fait qu'en moins de 50 ans, j'ai déjà eu plusieurs vies. Médecin, chef de service, administrateur d'un hôpital à Liège, conseiller du CPAS (avec une connaissance de la réinsertion sociale et des maisons de repos), président de l'Absym et donc négociateur au Fédéral, président du conseil médical... Ces jeux de casquettes que j'ai eues, dues à ma dépendance au travail et ma curiosité maladive, tout cela montre ma connaissance d'une grande partie des prérogatives de l'Unessa et ma capacité à ne pas aller mal négocier... Ils y ont vu une opportunité. En plus, le fait d'être médecin dans leur structure comble un manque. Tout le monde a l'air d'être content suivant les retours très positifs que je reçois quotidiennement des membres d'Unessa. C'est mieux que d'être mal accueilli. C'est une excellente nouvelle (il rit). Vous pourrez éviter les chausse-trapes grâce à votre expérience à l'Absym?À l'Absym, ça ne va pas être simple, c'est sûr. Après les élections, il y a une série de défis qu'ils devront relever pour arriver à une unité fédérale pour la prise de parole (entre autres). Il y a une réorganisation interne qui a lieu. Du côté de l'Absym Wallonie, il y a une réflexion sur un successeur pour un porte-parole a minima. Vous savez ce qu'on en pense à l'Absym ou bien c'est trop tôt? J'ai vécu une époque, et encore avant moi du temps d'André Wynen, où c'eut été impensable de passer d'un syndicat médical à une fédération hospitalière... C'est la preuve que le monde évolue?Oui. Le monde évolue. Le premier qui m'a félicité c'est Gilbert Bejjani, le président de l'Absym Bruxelles. Il est dans la même vision que moi. Il voit cela comme une "splendide" opportunité de s'unir pour certains défis. Vu la situation mondiale actuelle, c'est un défi de trouver des ponts au sein de la Belgique pour améliorer la cohérence. Selon Gilbert (et je le rejoins), c'est plus une opportunité qu'une menace. Vous allez garder d'excellentes relations avec l'Absym notamment? C'est votre objectif?À titre personnel, oui. Dans mon rôle de DG d'Unessa, mon devoir est de suivre les injonctions du conseil d'administration. C'est mon métier. Si le CA d'Unessa, sur certains dossiers, est en désaccord profond avec l'Absym et la relation se tend, je tendrai la relation. Mais ça, c'est le rôle d'un DG ou d'un président de CA. Au niveau du salaire, le package est, j'imagine, confortable et vous permet d'assumer pleinement vos fonctions... J'ai une perte financière donc ce n'est pas pour l'argent que je le fais. J'aurai un salaire de directeur d'hôpital donc bien sûr c'est plus qu'acceptable.